Compréhension de l’origine de l’évolution sous irradiations de la ténacité des verres nucléaires

Le verre est un matériau très ancien. Depuis l’invention de la technique du soufflage du verre au premier siècle avant J.C., le verre s’est banalisé pour devenir un matériau largement utilisé. Au début du XIVème siècle, le premier verre plat est né dans un four verrier, puis les vitrages ont commencé à apparaître dans les ouvrages de construction. Le verre est un matériau fragile et une faible déformation suffit à le fracturer. C’est pourquoi son emploi dans le domaine de la construction est resté limité pendant longtemps. Avec le temps, de nouvelles techniques ont été inventées pour améliorer sa résistance et son emploi dans la construction devient courant. Avec le développement de l’industrie nucléaire, le problème du stockage à long terme des déchets nucléaires, dont certains se caractérisent par une période radioactive de plusieurs millions d’années, s’est posé. Pour résoudre ce problème, le verre a été choisi comme matrice de confinement en raison à sa bonne résistance chimique et mécanique à long terme et de sa capacité à incorporer de fortes concentrations de déchets radioactifs. Au cours du stockage, la matrice de confinement doit rester stable sous l’effet du milieu environnant ainsi que sous celui des auto-irradiations. La résistance à la fracturation est une propriété importante car elle va définir la surface de fissuration. Cette dernière affecte la capacité d’échange entre le milieu environnant et le verre, ce qui influence sa vitesse d’altération par l’eau. Pour comprendre la résistance à la fracturation d’un verre, la connaissance de la structure atomique est un facteur important car c’est elle qui contrôle la fissuration. En particulier, l’existence de zones de faibles résistances permet l’amorçage de micro-fissures, premier pas vers le développement du réseau fissuré. Dans les verres nucléaires, une amélioration notable de la résistance à la fracturation après irradiation a été observée, mais l’origine de cette évolution n’est pas encore totalement comprise.

Les déchets nucléaires et le confinement dans le verre nucléaire 

L’énergie nucléaire est une source énergétique importante dans le monde, spécialement en France où la quantité d’électricité d’origine nucléaire représente 78% du total. Cette énergie produit extrêmement peu de dioxyde de carbone qui est un gaz à effet de serre, c’est pourquoi elle est incontournable dans l’optique d’une lutte contre le réchauffement climatique. Mais le traitement et la gestion des déchets nucléaires demandent des précautions particulières. Ces déchets sont classés en trois catégories :
♦ Catégorie A : déchets de faible et moyenne activité. Ces déchets contiennent essentiellement des radionucléides à vie courte (période inférieure à trente ans). L’intensité de la radioactivité (β, γ) au cours du stockage diminue rapidement et devient nulle après 300 ans. Depuis l’origine des centrales nucléaires, les déchets de cette catégorie représente plus de 90% du volume total des déchets pour une radioactivité inférieure à 0.1% de la radioactivité totale. Ces déchets sont conditionnés sur les sites des producteurs ou sur les sites d’entrepôt en surface construits par l’ANDRA (Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs).
♦ Catégorie B : déchets de faible et moyenne activité, contenant des radionucléides à vie longue (de trente ans à plusieurs dizaines de milliers d’années). Ce sont des déchets qui proviennent des installations de fabrication et de retraitement du combustible. Ils représentent environ 4% du volume total des déchets. La radioactivité de ces déchets est issue essentiellement des désintégrations α, c’est-à dire la décroissance d’un noyau père en un noyau de recul et un noyau d’hélium X Y He A Z A Z 4 2 4 → 2 + − − (on appelle He 4 2 la particule α). Ces déchets sont conditionnés provisoirement dans des installations d’entreposage agréées avant un éventuel stockage en profondeur.
♦ Catégorie C : déchets de haute activité, à forte puissance thermique résiduelle et à vie longue. Ce sont des actinides mineurs et des produits de fissions (PF) issus des réactions nucléaires. Ils représentent environ 2% du volume total mais concentrent plus de 97% de la radioactivité totale. Au cours du stockage, il faut prendre en compte l’émission des rayonnements β, γ dans les premières années et du rayonnement α dans les années suivantes. En France, il est prévu de stocker ces déchets dans des sites en profondeur sous forme de colis vitrifiés [1, 2]. Des trois catégories, les déchets de la catégorie C sont les plus dangereux pour l’environnement. Leur durée de vie est très longue et leur radioactivité perdurera plusieurs millions d’années. C’est pourquoi ces déchets sont stockés dans une matrice de confinement qui a été déterminée à partir des critères suivants :
• Facilité de mise en œuvre
• Bonne tenue mécanique pour le transport à court terme
• Comportement à long terme garantissant un faible impact sur le milieu environnant: auto-irradiations, contraintes externes, altération par l’eau, corrosion.
• Capacité de confinement des radionucléides .

Dans certains pays (France, Allemagne, Japon, Etats-Unis…), on utilise couramment les verres nucléaires comme matrice de confinement de déchets. En France, ces déchets sont confinés dans des colis de verre, appellé verre R7T7, dont la composition complexe contient une trentaine d’oxydes. Les avantages de la matrice de verre sont nombreux. Elle peut incorporer les produits de fissions et les actinides mineurs dans des concentrations importantes. Le conteneur en verre reste homogène au niveau de sa structure. D’autre part, il présente une bonne durabilité chimique, une faible porosité (peu sensible aux agressions externes) et sa compacité facilite son transport. Le verre est adaptable aux différentes compositions de déchets provenant des différents types de combustible usé. En comparaison, le réseau cristallin des céramiques limite l’incorporation des éléments de produits de fission (PF). Certaines phases secondaires peuvent cependant apparaître au cours de la fabrication. Pour la vitrification, les déchets de catégorie C sont séchés et calcinés dans un calcinateur à la température de 850o . Après calcination, la fritte de verre est ajoutée. Les oxydes des PF, d’actinides et la fritte de verre sont mélangés dans un pot de fusion à la température de 1100o . Ce procédé permet de fabriquer une matrice vitreuse dans laquelle les PF et les actinides sont confinés. Le verre liquide est alors coulé, solidifié et refroidi dans un conteneur en acier inoxydable. Chaque conteneur de volume 80L contient environ 400 kg de verre [1].

La structure du verre nucléaire 

Structure du verre 

Le verre est un matériau désordonné ; aucun arrangement atomique périodique n’est observé à longue distance. La structure du verre garde la mémoire du désordre du liquide initial dans un état métastable «vitreux». À l’origine, un modèle de la structure atomique du verre a été proposé par Goldsmith [3]. Il pensait qu’un verre pouvait se former si le rapport des rayons ioniques entre le cation et l’oxygène valait entre 0.2 à 0.4. Ce rapport correspond aux sites tétraédriques, c’est-à-dire un cation entouré par quatre atomes d’oxygène. Goldsmith pensait que des cations tétracoordonnés pouvaient former un verre. La justification de cette idée est venue plus tard. En développant l’idée de Goldsmith, Zachariasen a proposé un premier modèle pour le verre appellé Random Network Theory [4]. Ce modèle décrit les caractères du réseau tridimensionnel du verre. Dans le cas du verre de silice, le réseau contient des tétraèdres SiO4 comme ceux présents dans le cristal de silice (voir Figure I.1b), mais sans périodicité ou symétrie (voir Figure I.1a). Au niveau structural, Zachariasen pensait que chaque oxygène ne se lie qu’avec 2 cations au maximum. Si la coordinence oxygène-cation est plus grande, elle empêche la flexibilité des angles cation-oxygène-cation, ce qui est une condition à la formation d’un réseau non-périodique. Si un oxygène est lié à deux cations, on l’appelle oxygène pontant. Autour des cations, on peut observer des triangles ou des tétraèdres d’atomes d’oxygène. La coordinence des cations doit être faible (3 ou 4). Les polyèdres formés par les oxygènes autour d’un cation peuvent avoir des sommets communs avec les autres, mais ils ne doivent pas comporter d’arête ou de face commune. Au moins trois des sommets des polyèdres formés par les atomes d’oxygènes doivent être partagés avec des polyèdres voisins pour former un réseau tridimensionnel.

Selon la nature de leur liaison avec l’oxygène, les cations sont classés en trois catégories:
♦ Formateurs de réseau: Le formateur de réseau est un type de cation dont l’oxyde peut former un matériau vitreux sans l’ajout d’autres éléments. Les formateurs possèdent une grande électronégativité, la liaison entre les formateurs et l’oxygène est donc rigide et essentiellement covalente. Ils forment des polyèdres liés par leurs sommets. Dans le réseau vitreux, la coordinence des formateurs est faible (3 ou 4). Les oxydes formateurs utilisés dans l’industrie sont SiO2, B2O3 pour les plus courants (on rencontre également les oxydes GeO2, As2O3 et P2O5). Le réseau des formateurs est caractérisé par les anneaux que l’on définit comme des boucles fermés par les liens F-O (F sont les formateurs).
♦ Éléments intermédiaires : Ces éléments possèdent une électronégativité moins grande que celle des formateurs, c’est pourquoi leur liaison avec l’oxygène est plus ionique. Ils ne peuvent former un verre à eux seuls, mais ils peuvent remplacer partiellement les formateurs dans le réseau vitreux. Les éléments intermédiaires associés aux verres silicatés sont Al, Fe, Ti, Ni, Zr.
♦ Modificateurs du réseau : L’électronégativité des modificateurs est petite par rapport de celle de l’oxygène. La liaison devient donc fortement ionique. À eux seuls les modificateurs ne peuvent former un verre ; ils ne remplacent pas les formateurs dans le réseau vitreux comme les éléments intermédiaires. Parmi les modificateurs de réseau, on trouve : les alcalins, les alcalino-terreux et les terres rares. Dans le verre, ils forment des polyèdres de grande coordinence. Un modificateur peut jouer un rôle de compensateur de charge à proximité d’un polyèdre formateur de réseau dont il compense la charge négative. Dans d’autres cas, un modificateur de réseau provoque une dépolymérisation, c’est-à-dire une liaison entre deux polyèdres du réseau est cassée par un modificateur et il se crée un oxygène non pontant (lié à un seul formateur). Afin de caractériser le degré de polymérisation d’un verre, la notion d’environnements Qn a été introduite pour les formateurs dans un environnement tétraédrique, l’indice n représentant le nombre d’oxygène pontant du tétraèdre.

En 1985, le modèle du réseau aléatoire modifié (Modifying Random Network) a été proposé par Greaves [6]. Selon ce modèle, le verre se compose de deux types de zones atomiques: les zones riches en formateurs et les zones riches en modificateurs. Pour une composition binaire SiO2-Na2O dont le pourcentage molaire en sodium est supérieur à 16%, les zones riches en sodium se regroupent pour former des chaînes tri-dimensionnelles. En raison de l’existence de ces chaînes, la diffusion des ions sodium dans le verre devient plus facile. Certains résultats expérimentaux ont semblé confirmer le regroupement des alcalins ou des alcalino terreux dans les verres silicatés. Ainsi, en utilisant la diffusion des neutrons, Gaskell a trouvé dans des verres CaSiO3 des zones riches en calcium dans lesquelles se regroupent les octaèdres CaO6 [7]. L’existence des zones octaédriques CaO6 a été également observée dans les simulations de Dynamique Moléculaire [8]. Les simulations atomistiques ont ainsi mis en évidence des zones de ségrégation des alcalins dans les verres silicatés [9, 10, 11].

Évolution des propriétés mécaniques des verres nucléaires sous irradiation 

Au cours du stockage, les verres nucléaires sont le siège d’émissions α, β et γ. Les particules β- sont des électrons issus des produits de fission tels que le césium et le strontium. Cette désintégration s’accompagne d’émissions d’énergies allant d’une centaine keV à quelques MeV sous forme d’émission de rayons γ, de photons de haute énergie et de particules β. L’irradiation α est générée par les actinides mineurs. Ces désintégrations produisent chacune un noyau d’hélium (particule alpha) et un noyau fils avec des énergies respectives d’environ 5MeV et 0,1 MeV. L’irradiation du matériau s’effectue selon deux types d’interactions :
♦ Les interactions électroniques induites principalement par les particules de fortes énergies (particule α) qui conduisent à une modification de la structure électronique de la matrice vitreuse. Ces interactions inélastiques créent certains défauts dont la nature a été identifiée par la technique de résonnance paramagnétique électronique (RPE) [22]. Ces particules α très légères et énergétiques provoquent un processus d’ionisation. Leur décroissance énergétique est due principalement à l’interaction électronique (99.7%).
♦ Les interactions nucléaires induites par les particules plus massives et de plus faibles énergies qui correspondent à des chocs élastiques entre les noyaux de recul et les ions du verre. Les pertes d’énergie des noyaux de recul sont pour 63% dues aux interactions nucléaires et pour 37% dues aux interactions électroniques. À noter que le nombre des déplacements atomiques associés aux noyaux de recul, lors des processus de cascades de déplacements, est très grand par rapport à ceux induits par les autres particules .

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Table des matières

Introduction
I Le verre nucléaire et son comportement sous irradiation
1 Les déchets nucléaires et le confinement dans le verre nucléaire
2 La structure du verre nucléaire
2.1 Structure du verre
2.2 Le verre nucléaire
2.3 Les verres simplifiés sodo-borosilicatés
3 Évolution des propriétés mécaniques des verres nucléaires sous irradiation
3.1 Évolution de la densité
3.2 Évolution de la dureté
3.3 Évolution du module d’Young
3.4 Évolution de la ténacité
3.5 Formation des bulles
4 Évolution structurale du verre sous irradiation
4.1 Modification de la structure atomique
4.2 Simulation des effets d’irradiation par simulations de Dynamique Moléculaire
4.2.1 Simulation de cascades de déplacement
4.2.2 Modification structurale du verre sous l’effet des cascades de déplacement
4.2.3 Analogie entre l’effet d’irradiation et l’effet de trempe
5 Introduction du sujet de thèse
6 Références
II La rupture du verre
1 Mécanique linéaire de la rupture
1.1 Concentration des contraintes autour de la fissure
1.2 Approche énergétique de Griffith
1.3 Taux de restitution d’énergie
1.3.1 Méthode d’intégrale de contour
1.3.2 Méthode Gθ
1.4 Introduction de la ténacité
1.5 Définition de la « process zone » (zone d’élaboration)
2 Endommagement des matériaux poreux
2.1 Modèle de Rice-Tracey
2.2 Modèle de Gurson-Tvergaard-Needleman
2.3 Modèle de Rousselier
3 Fracturation du verre à l’échelle nanométrique
3.1 Rupture du verre
3.2 La fractographie
3.3 Mécanisme de fracturation à l’échelle nanométrique
3.3.1 Verre de silice
3.3.2 Verre complexe
4 Références
III Ajustement des potentiels
1 Potentiels actuels pour la modélisation des systèmes borosilicatés
1.1 Potentiels pour les systèmes boratés
1.2 Potentiels pour les systèmes borosilicatés
2 Ajustement des potentiels sur la structure et les propriétés élastiques
2.1 Nécessité de développer de nouveaux potentiels
2.2 Choix des paramètres de départ
2.3 Modèle simple : Résultats et discussions
2.3.1 Les propriétés structurales
2.3.1.1 L’environnement local du silicium
2.3.1.2 L’environnement local du bore et du sodium
2.3.2 La densité et les modules élastiques
2.3.3 Conclusions sur le modèle simple de potentiel B-O
2.4 Développement du modèle affiné
2.4.1 Modification des paramètres des potentiels
2.4.2 Propriétés structurales
2.4.3 Comportement des oxygènes non pontants et tricoordonnés
2.4.4 Facteur de structure
2.4.5 Densité et modules élastiques
2.4.6 Validation du modèle sur un cristal de Reedmergnerite
2.5 Impact de la modification des charges
3 Conclusion sur l’ajustement des potentiels
4 Simulation de grands systèmes
5 Références
IV Simulation de la fracturation des verres : méthode et analyse phénoménologique
1 Simulation de la fracturation des verres par Dynamique Moléculaire
2 Méthode d’analyse de la fracturation des verres
2.1 Calcul des contraintes et de la taille de la process zone
2.1.1 La contrainte globale
2.1.2 Détermination de la process zone à l’aide du champ de déplacement
2.1.3 Détermination de la process zone à l’aide du champ de la contrainte
2.2 Détermination du front de la fissure
2.3 Calcul de la ténacité
2.4 Comportement des cavités
2.4.1 Analyse des cavités
2.4.2 Modélisation de la croissance des cavités
2.5 La rugosité
3 Analyse phénoménologique de la fracturation des verres
3.1 Mécanismes de fracturation
3.2 Comportement mécanique du verre au cours de la fracturation
3.3 Évolution de la structure
3.3.1 Les distributions radiales
3.3.2 Les distributions angulaires
3.3.3 Distribution des anneaux
3.4 Croissance des cavités au cours de la fracturation
3.5 Évolution de la process zone (zone d’élaboration)
3.6 Évolution du front de la fissure
3.7 Calcul de la ténacité
3.8 La rugosité
4 Références
Conclusion

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