Composé parent et dopage

Alors qu’ils ont réussi à liquéfier de l’hélium en 1908 et réalisent des mesures systématiques sur la résistance des métaux, H. Kamerlingh Onnes et son équipe ne se doutent pas qu’ils vont faire une découverte qui va révolutionner la physique du solide au XXème. En effet, en 1911, ils mesurent une résistance nulle pour le mercure en-dessous de 4.2 K [1]. Il s’agit là de la première manifestation expérimentale de la supraconductivité. Il faut attendre 1933 et les travaux de Meissner et Orchsenfeld [2] pour découvrir une deuxième signature de la supraconductivité qui porte aujourd’hui le nom de son découvreur : l’effet Meissner. Il s’agit de l’expulsion du champ magnétique par le matériau supraconducteur.

Dans les années suivantes, plusieurs matériaux supraconducteurs sont découverts, notamment des alliages à base de niobium (Nb3Sn, NbTi, Nb3Ge, …) qui présentent les records de température critique pendant de nombreuses années (Tc < 30 K) [3]. En 1957, la première théorie de la supraconductivité est proposée par Bardeen, Cooper et Schrieffer (théorie BCS dans la suite) [4]. Ils suggèrent que la supraconductivité est due à la condensation d’électrons appariés en paires, dites de Cooper, par le biais des phonons. Pour leur contribution, ils seront récompensés du prix Nobel en 1972. Tous les supraconducteurs connus alors vérifient cette théorie.

En 1979, on découvre que CeCu2Si2 , un fermion lourd présentant une phase magnétique, est supraconducteur en-dessous de Tc = 0.6 K [5]. Dans ce composé, l’appariement des électrons ne se fait pas au travers des phonons comme décrit dans la théorie BCS. Dès l’année suivante, une nouvelle famille de supraconducteurs ne vérifiant pas la théorie BCS est découverte [6]. Il s’agit des conducteurs organiques qui présentent des Tc faibles sous-pression. On commence, alors, à parler de supraconductivité non-conventionnelle en opposition à la supraconductivité conventionnelle qui vérifie la théorie BCS.

Mais la grande révolution de la supraconductivité se produit en 1986 quand Bednorz et Müller découvrent que des oxydes de cuivre, aussi appelés cuprates, sont supraconducteurs [7]. Ils obtiendront le prix Nobel dès l’année suivante, preuve de leur découverte extraordinaire. En effet, ces composés présentent des températures critiques anormalement élevées. Le premier composé découvert, La2–xBaxCuO4 , a une Tc ≃ 30 K. Mais dès l’année suivante, un nouveau cuprate est découvert et brise une nouvelle barrière : YBa2Cu3Oy présente une température critique supérieure à la température de liquéfaction de l’azote (Tc = 93 K au dopage optimal) [8]. Dans les années qui suivent, l’engouement est fort pour ces nouveaux supraconducteurs et les records s’enchainent. En 1993, on arrive à la plus haute Tc mesurée jusqu’à aujourd’hui à pression ambiante dans cette famille : Tc = 133 K dans HgBaCa2Cu3O1+x [9]. On cherche encore aujourd’hui à comprendre le mécanisme responsable de la supraconductivité dans ces composés.

D’autres familles de supraconducteurs non-conventionnels ont été découvertes plus récemment. On peut citer les supraconducteurs à base de fer, découverts en 2008 [10]. Ils présentent certaines similitudes avec les cuprates et ont ainsi suscité beaucoup d’intérêt chez les scientifiques au début des années 2010 notamment. Enfin, plus récemment, des alliages à base d’hydrogène ont montré des températures critiques très proches de la température ambiante mais sous haute pression [11] avec un record à Tc = 260 K sous 200 GPa. On a récemment annoncé la découverte de supraconductivité à température ambiante dans ces composés mais ces résultats sont encore soumis à controverse [12].

Les supraconducteurs à haute température critique sont, aujourd’hui encore, au centre de l’attention en physique de la matière condensée. Tout d’abord, d’un point de vue purement fondamental, ils représentent un grand mystère de la physique du solide moderne car on ne connait pas les mécanismes responsables de cette supraconductivité nonconventionnelle. Par ailleurs, ils suscitent beaucoup d’intérêt dans la physique appliquée. En effet, les applications de la supraconductivité sont nombreuses (stockage et transport de l’énergie, production de champ magnétique intense, …) mais la production de basses températures est coûteuse. La compréhension des mécanismes responsables de la supraconductivité à haute température critique (telle qu’entendue actuellement : Tc > 30 K) apparaît donc essentielle pour espérer un jour avoir accès à des supraconducteurs dans des conditions de température et de pression ambiante.

Composé parent et dopage

Structure cristalline du composé parent 

Les cuprates sont des céramiques constituées d’un empilement de plans CuO2 qui sont une caractéristique commune à tous ces composés. Entre ces plans, différents éléments s’intercalent dans des couches dites intercalaires. Selon les éléments que l’on retrouve dans les couches intercalaires, on obtient différentes familles de cuprates dont les propriétés diffèrent. On peut citer par exemple :
• les cuprates au lanthane : La2–xSrxCuO4 (LSCO), La1.8–xEu0.2SrxCuO4 (Eu LSCO), La1.6–xNd0.4SrxCuO4 (Nd-LSCO), La2–xBaxCuO4
• YBa2Cu3Oy (YBCO) et sa variation stochiométrique YBa2Cu4O8 (YBCO-248)
• les cuprates au bismuth : Bi2Sr2Can–1CunO4+2n avec n = 1, 2, 3, …. On utilise souvent une notation simplifiée avec le symbole du premier élément et les nombres stœchiométriques des différents éléments. Donc pour n = 1, on a Bi-2201, pour n = 2 Bi-2212, pour n = 3 Bi-2223, …
• les cuprates au mercure (qui détiennent les records de Tc) : HgBa2Can–1CunO2+2n avec n = 1, 2, 3, …. Comme pour les composés au bismuth, on note Hg 1201, Hg1212, Hg-1223 pour n = 1, 2, 3.
• les cuprates au thallium : Tl2Ba2Can–1CunO4+2n avec n = 1, 2, 3. Comme pour les composés au bismuth et au mercure, on note Tl-2201, Tl-2212, Tl-2223 pour n = 1, 2, 3.

Dans ces composés, le paramètre de maille c (direction perpendiculaire aux plans CuO2) est beaucoup plus grand que les paramètres a et b (a ≃ b = 3.79 Å et c = 13.14 Å dans Eu-LSCO x ≃ 0.125 − 0.15 [13]). Les plans CuO2 sont donc assez éloignés, donnant des propriétés électroniques quasi-bidimensionnelles aux cuprates.

Les trois familles de cuprates au bismuth, thallium et mercure présentent la particularité d’avoir un nombre de plans CuO2 variable (donné par n) dans la cellule unitaire. Il a été montré expérimentalement que la Tc maximale augmente avec le nombre de plans jusqu’à n = 3 avant de diminuer à nouveau quand n continue d’augmenter ( [15] et références incluses).

Structure électronique du composé parent 

En l’absence de dopage, dans les plans CuO2 , le cuivre est formellement sous la forme Cu2+ et l’oxygène sous la forme O2–. Leur configuration électronique est donc respectivement [Cu2+] = [Ar] 4s0 3d9 et [O2–] = [He] 2s2 2p6 . Le champ cristallin provoque une levée de dégénérescence des orbitales d du cuivre et p de l’oxygène (Figure 1.2). L’orbitale partiellement remplie du cuivre est donc la 3dx2−y 2 qui s’hybride avec les 2px et 2py de l’oxygène.

Pour rendre un cuprate conducteur (et a fortiori supraconducteur), il faut donc le doper pour avoir des charges mobiles. Il y a deux possibilités de dopage :
• en électrons : on ajoute des électrons dans les plans CuO2 et on a donc des électrons de conduction à caractère 3d .
• en trous : on retire des électrons dans les plans CuO2 et on a donc des électrons de conduction à caractère 2p . C’est ce dopage qui donne les plus hautes températures critiques dans les cuprates et qui a été le plus étudié. On ne s’intéressera qu’à cette forme de dopage dans la suite.

On remarque que lorsqu’on dope, les charges passent d’une orbitale associée aux atomes d’oxygène à une orbitale associée aux atomes de cuivre. On parle donc d’isolant à transfert de charge. Avant d’étudier le dopage en trous des cuprates, il est important de décrire la structure magnétique des plans dans le composé parent. Le recouvrement des orbitales 2p de l’oxygène et 3d du cuivre permet une interaction de super-échange entre les spins de cuivre au travers des orbitales d’oxygène.

Dopage en trous 

Il existe plusieurs manières de doper les plans en trous. Dans tous les cuprates, les couches intercalaires servent de réservoirs de charges positives qui compensent la charge négative des plans CuO2 . Le principe du dopage est donc d’insérer des éléments avec une valence plus faible dans les couches intercalaires. Pour s’entourer du bon nombre d’électrons, ce substituant va donc pomper des électrons aux plans CuO2 et ainsi libérer des trous dans ces plans. Dans La2–xSrxCuO4 , le dopage est obtenu en remplaçant des atomes de lanthane (La3+) par des atomes de strontium (Sr2+) de valence plus faible. Chaque substitution introduit un trou dans les plans, le dopage est donc directement relié au nombre de strontium introduit : p = x. Dans les autres cuprates, le dopage est souvent provoqué par l’augmentation de la concentration d’oxygène dans les couches intercalaires. C’est le y ou δ que l’on voit dans les formules des différents composés (YBa2Cu3Oy avec y = 6 + δ par exemple). Le lien entre cette concentration et le dopage p est moins direct, on le précisera dans chaque cas étudié dans la suite (pour YBCO [22]).

Enfin, il existe certains cas où les deux types de dopages se cumulent comme par exemple dans Bi2Sr2–xLaxCuO6+δ . Dans ce cas particulier, la situation x = 0, δ = 0 correspond au dopage maximal. On le diminue en substituant les atomes de strontium par des atomes de lanthane (l’inverse du dopage dans LSCO). Et on peut l’augmenter en ajoutant de l’oxygène (comme dans YBCO). Le dopage en trous permet de balayer le diagramme de phase des cuprates que l’on se propose de présenter à présent.

Composé sur-dopé

Commençons par nous intéresser à l’autre extrémité du diagramme de phase : le composé sur-dopé. Dans les plans CuO2 , à dopage nul, on a vu que la présence d’un électron libre par site de cuivre rendait le composé isolant. Si on retire des électrons (dopage en trou), on débloque cette situation et on peut imaginer intuitivement que le mouvement des électrons est alors possible. Cette intuition est vérifiée pour un dopage en trou supérieur à p ∼ 0.25 dans les cuprates. On retrouve des signatures expérimentales d’un liquide de Fermi dans les composés sur-dopés, à commencer par la résistivité qui suit une loi T 2 à basse température. La première observation du liquide de Fermi dans les cuprates a été réalisée dans Tl-2201 [23]. Ce composé est le plus étudié à haut dopage car les hauts dopages y sont facilement accessibles avec des échantillons encore assez propres, ce qui n’est pas le cas de tous les cuprates.

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Table des matières

Introduction
1 Présentation des cuprates
1.1 Composé parent et dopage
1.1.1 Structure cristalline du composé parent
1.1.2 Structure électronique du composé parent
1.1.3 Dopage en trous
1.2 Composé sur-dopé
1.3 Enchevêtrement de phases aux dopages intermédiaires
1.3.1 Pseudogap et métal étrange
1.3.2 Supraconductivité
1.3.3 Stripes et ordre de charge
1.3.4 Ordre antiferromagnétique et verre de spin
2 Technique expérimentale : Résonance Magnétique Nucléaire
2.1 Introduction à la RMN dans les solides
2.1.1 Principe de la RMN
2.1.2 Mouvement de précession d’un spin dans un champ magnétique externe
2.1.3 Impulsion radio-fréquence et référentiel tournant
2.2 Interactions avec l’environnement
2.2.1 Aspect statique des interactions : modification du spectre RMN
2.2.2 Variations dynamiques de l’aimantation : phénomènes de relaxation
2.2.3 Théorie de la relaxation de Bloembergen, Purcell et Pound
2.3 Dispositif de mesure
2.3.1 Canne de mesure et circuit résonant
2.3.2 Spectromètre et séquence d’impulsions
2.4 Champs intenses permanents
2.4.1 Aimants supraconducteurs
2.4.2 Aimants résistifs
3 Gel de spin dans Eu-LSCO autour de p*
3.1 Motivations pour ces mesures
3.1.1 Survol du diagramme de phase de LSCO
3.1.2 Précédente étude en RMN et en ultrasons dans LSCO en champs intenses
3.1.3 Etudes en champs intenses dans Eu-LSCO
3.1.4 Quelques spécificités du diagramme de phase de Eu-LSCO
3.2 Caractérisation des échantillons
3.2.1 Transitions structurales
3.2.2 Transition supraconductrice
3.3 Mesures de T1 dans Eu-LSCO
3.3.1 Eu-LSCO p ≃ 0.21
3.3.2 Eu-LSCO p ≃ 0.24
3.3.3 Eu-LSCO p ≃ 0.26
3.3.4 Coefficient d’étirement des ajustements des courbes de relaxation
3.4 Discussion
3.4.1 Disparition du gel de spin à p*
3.4.2 Lien avec l’onde de densité de charge
3.4.3 Cas particulier de l’échantillon à p ∼ p*
4 (Absence de) gel de spin dans Bi2Sr2–xLaxCuO6+δ
4.1 Motivations
4.1.1 Quelques particularités de Bi-2201
4.1.2 Survol du diagramme de phase de Bi-2201
4.1.3 Précédentes études en champ dans Bi-2201
4.2 Mesures de T1 dans Bi-2201
4.2.1 Caractérisation des échantillons
4.2.2 Echantillon de référence
4.2.3 A la recherche de magnétisme induit sous champ
4.2.4 Discussion
Conclusion

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