Soutenance mémoire
Les aptitudes acquises pendant les premières années de la vie d’un enfant sont d’une importance cruciale dans son évolution subséquente. Elles s’acquièrent au sein de sa relation avec ses parents qui constituent le fondement de son expérience (Bornstein, 2015a, 2015b; Mäntymaa, Puura, Luoma, Salmelin et Tamminen, 2006, Sroufe, Carlson, Levy et Egeland, 1999). La qualité des interactions parents-enfants exercent un fort ascendant sur le développement d’un sentiment de sécurité intérieure chez l’enfant (Bornstein et Bornstein, 2007; Madigan et al., 2006; Madigan, Moran, Schiengel, Pederson et Otten, 2007; Madigan, Voci et Benoit, 2011; Sroufe et al., 1999; Stacks et al., 2014) et de ses capacités de régulation émotionnelle et physiologique (Gearity, 2005; Gunnar et Nelson, 1994; Spangler et Grossman, 1993). Elle est également déterminante pour le développement de ses habiletés sociales ultérieures et de la conception de soi et des autres (Bornstein et Bornstein, 2007; Bornstein, 2012; Bowlby, 1980, 1982; Sroufe, Carlson et Shulman, 1993). Certains effets se font même sentir jusqu’à l’âge adulte notamment sous la forme de divers problèmes internalisés et externalisés (Cicchetti et Lynch, 1993; Egeland, Jacobvitz et Sroufe, 1988; Pears et Capaldi, 2001). Dans cette perspective, il semble décisif que la relation qu’un enfant développe avec ses parents soient de bonne qualité.
Jusqu’à maintenant, les travaux qui ont analysé la qualité des interactions parentsenfants ont mis de l’avant l’importance de la sécurité de l’attachement de la mère pour déterminer la sensibilité des comportements parentaux qu’elle adopte (Ainsworth, Blehar, Waters et Wall, 1978; Bornstein et Manian, 2013; Bornstein, Tamis-LeMonda, Hahn, et Haynes, 2008; Bowlby, 1980, 1982; de Wolff et van IJzendoorn, 1997; Hughes, Blom, Rohner et Britner, 2005; Landry, Smith, Swank, Assel et Vellet, 2001; Luthar, 2006; Masten, Burt et Coatsworth, 2006; Slade, 1999). Des travaux ont également associé la présence de traumas et de pertes non résolues chez la mère à l’adoption de comportements parentaux extrêmement insensibles, apeurés et apeurants (Hesse et Main, 2006; Lyons-Ruth et Jacobvitz, 2008; Madigan et al., 2006, 2007, 2011). Une étude plus récente de Beebe et ses collaborateurs (2010) a identifié des lacunes temporaires manifestées par la mère à répondre aux signaux affectifs de son enfant d’une façon contingente comme étant également importantes dans le développement de la désorganisation de l’attachement de l’enfant. Des recherches préliminaires ont également suggérer que la capacité de la mère à mentaliser au sein des relations intimes et familiales est liées à des comportements maternels sensibles et inadéquats (Bethelot, 2010; Grienenberger, Kelly et Slade, 2005; Sharp et Fonagy, 2008; Slade, Grienenberger, Bernbach, Levy et Locker, 2005; Stacks et al., 2014).
Comportements maternels sensibles et négatifs
Définition
Le construit de sensibilité maternelle, particulièrement au sein du paradigme de l’attachement (Ainsworth et Bell, 1969; Ainsworth, Bell et Stayton, 1974; Bowlby, 1969, 1982; Pederson et Moran, 1996), a été exploré depuis plus d’un demi-siècle depuis les premières observations empiriques d’Ainsworth et ses collaborateurs sur le sujet (1969, 1974, 1978). L’équipe de chercheurs a fait ressortir que les différences individuelles dans les comportements d’attachement des enfants envers leurs mères sont liées à la façon dont ces dernières interagissent avec eux. Ils ont conclu qu’une figure d’attachement sensible doit être en mesure de fournir des soins empreints de protection, de réceptivité et de chaleur. Cette notion de sensibilité parentale implique que la figure d’attachement soit en mesure de comprendre les caractéristiques individuelles de l’enfant et de les accepter. Elle doit tenter d’harmoniser ses interactions avec l’enfant sur une base relativement stable. La sensibilité est prédominante dans la plupart des conceptualisations des comportements parentaux (Rohner, 1986, 2005, 2010; Skinner, Johnson et Snyder, 2005).
À l’opposé, l’hostilité parentale est définie par une tendance à adopter des comportements aversifs et punitifs. Par exemple, elle peut se manifester par de l’irritabilité, de la dureté et de l’hyperréactivité à l’égard de l’enfant. Il peut également s’agir de comportements explosifs ou d’expression directe de sentiments négatifs (i.e., dérision, désapprobation, critique) à l’enfant (Skinner et al., 2005). Les comportements maternels négatifs quant à eux incluent les pratiques parentales non seulement hostiles mais également chaotiques et coercitives en termes de structure et de contrôle.
Comportements maternels sensibles et négatifs et ajustement de l’enfant
Plusieurs études ont associé la disposition de la mère à répondre de manière sensible aux signaux de son enfant à l’ajustement psychologique de ce dernier (Khaleque et Rohner, 2002, 2012; Kourkoutas et Erkman, 2011; Paavola, Kunnari, Moilanen, et Lehtihalmes, 2005) et à plusieurs autres aspects de son développement notamment sa compétence symbolique, son habileté verbale, sa réussite intellectuelle et sa moralité (Bornstein et Bornstein, 2007; Bornstein et al., 2008; Landry et al., 2001; Paavola et al., 2005). À l’opposé, des comportements parentaux négatifs ont été associés au développement de différentes difficultés chez l’enfant, dont des troubles externalisés (Berlin et al., 2009; Crittenden, 1985, 1988; Gershoff, Landsford, Sexton, Davis-Kean et Sameroff, 2012; Solomon et Serres, 1999), des déficits de cognition sociale, une mauvaise estime personnelle et des difficultés à réguler les émotions (Berlin et al., 2009; Solomon et Serres, 1999). Certaines de ces répercussions pourraient même se faire sentir jusqu’à l’âge adulte (Rohner et Kahleque, 2010, 2013).
Comportements maternels sensibles et négatifs et attachement de l’enfant
Afin d’étudier les réactions d’attachement des enfants, Ainsworth et ses collaborateurs (1978) ont développé le Protocole de la Situation Étrangère (PSE) permettant leur étude en raison de conditions expérimentales spécifiques (i.e., approche d’une étrangère ; contexte non familier ; départ de la mère). Suivant de courtes phases de réunions et de séparations avec leur mère, les comportements des enfants à l’étude étaient analysés puis classés selon trois catégories : le type A dit anxieux-évitant (i.e., aucun signe d’inconfort lors des séparations et ignorance de la mère lors des réunions), le type B dit sécurisé (i.e., signes d’inconfort lors des séparations et accueil enthousiaste de la mère lors des réunions) et le type C dit anxieux-ambivalent (i.e., grande préoccupation par la mère tout au long de la procédure, détresse lors de la séparation, résistance au rapprochement lors de la réunion et pas de réconfort).
À partir de ses études et du PSE, Ainsworth a été capable de démontrer des liens statistiques entre la sécurité de l’attachement d’un enfant et la sensibilité maternelle, selon une taille d’effet assez élevée (r = .78). Il a été décrit qu’un enfant ayant développé une relation d’attachement de type B a habituellement une mère sensible, chaleureuse et soutenante, qui est disponible psychologiquement et capable de percevoir et d’interpréter ses besoins. Elle se montre plus à l’aise avec la proximité et le contact physique. D’autres recherches ont par la suite appuyé ces observations (e.g., Bretherton, 1992; Carlson & Sroufe, 1995). Les mères dont les enfants sont classés A valorisent l’autonomie précoce. Elles ont tendance à se montrer froides et rejetantes et ont de la difficulté à détecter adéquatement les signaux de détresse du bébé. Enfin, les mères d’enfants catégorisés C sont inconsistantes au plan affectif; elles sont parfois chaleureuses et à d’autres moments elles se montrent rejetantes. De plus, elles ont de la difficulté à distinguer leurs propres besoins de ceux de leur nourrisson (Ainsworth et al., 1978; Spieker et Booth, 1988). Sur une base quotidienne, ces comportements parentaux indiquent au bébé que la manifestation de ses besoins est inefficace ou contre-productive et qu’il n’obtiendra pas les soins ou le réconfort qu’il sollicite clairement. D’autres études ont également appuyé ces résultats (Cicchetti et Barnett, 1991; Crittenden, 1985; de Wolff et van IJzendoorn, 1997; Egeland et Sroufe, 1981; Isabella, 1993; Lamb, Gaensbauer, Malkin et Schultz, 1985; Schneider-Rosen, Braunwald, Carlson et Cicchetti, 1985).
L’historique de traumas parental
L’histoire de traumas (i.e., abus sexuels, physiques et émotionnels et négligence) a été largement documentée dans la littérature qui la présente comme étant déterminante pour expliquer la sensibilité des pratiques parentales actuelles d’un individu de même que la désorganisation de l’attachement de l’enfant. D’une part, elle a été associée à l’adoption de comportements parentaux négatifs et, dans certains cas (i.e., ≈ 30%), à la reproduction des mauvais traitements subis (Egeland et al., 1987; Éthier, Bourrassa, Klaper et Dionne, 2006; Ferrari, 2002; Heyman et Slep, 2002; Koren-Karie, Oppenheim et Getzler, Yosef, 2008; Newcomb et Locke, 2001). D’autre part, comme mentionné précédemment, elle a également été associée à une plus grande prévalence de désorganisation de l’attachement de l’enfant (77 à 90%; Barnett et al., 1999; Carlson et al., 1989; Cicchetti et al., 2006; van IJzendoorn, 1995).
Avant de présenter la littérature qui a fait état des associations entre l’expérience traumas en enfance, les comportements parentaux et l’organisation de l’attachement de l’enfant, il importe de faire une définition de ce concept.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION
Comportements maternels sensibles et négatifs
Définition
Comportements maternels sensibles et négatifs et ajustement de l’enfant
Comportements maternels sensibles et négatifs et attachement de l’enfant
Comportements maternels sensibles et négatifs et désorganisation de
l’attachement de l’enfant
Facteurs contextuels d’influence des comportements maternels sensibles et négatifs
L’historique de traumas parental
Définition de l’abus
Historique de traumas et pratiques parentales.
Historique de traumas maternel et désorganisation de l’attachement de l’enfant.
Les attributs psychologiques parentaux
Fonctionnement réflexif
Définition
FR et pratiques parentales
FR et attachement de l’enfant
FR-G et historique de traumas maternel
FR-T et historique de traumas maternel
La personnalité maternelle.
Traits de personnalité et pratiques parentales.
Névrosisme et historique de traumas maternel.
Névrosisme maternel et attachement de l’enfant
L’ajustement conjugal.
Ajustement conjugal et ajustement de l’enfant.
Ajustement conjugal et pratiques parentales.
Ajustement conjugal et historique de traumas maternel
Objectifs
Hypothèses
CHAPITRE 2 : MÉTHODE
Participants et procédures
Mesures
Les comportements maternels sensibles et négatifs
L’HOME
La désorganisation de l’attachement de l’enfant.
Le PSE
L’historique de comportements parentaux de faible qualité et de traumas
Le PBI.
Le CECA
La gravité des traumas
Le FR
L’AAI.
L’Adult Reflective Functioning Scale (ARFS).
Le FR-T.
La personnalité maternelle.
Le NEO-FFI
L’ajustement de la relation maritale.
Le CAME.
Plan d’analyses statistiques
CHAPITRE 3 : RÉSULTATS
Analyses corrélationnelles : Déterminants des pratiques parentales
Analyses préliminaires : Variables associées à la désorganisation de l’attachement de
l’enfant
Prédiction de la désorganisation de l’attachement de l’enfant à 17 mois
CHAPITRE 4 : DISCUSSION
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