Complexification des tâches et progression dans l’apprentissage

Par : Antonio TRAJANOSKI

CONSTRUCTION DU DISPOSITIF DIDACTIQUE

INTÉGRATION DE LA CORPORÉITÉ

Afin de permettre une appropriation musicale privilégiant la corporéité, nous cherchons à établir une synchronisation motrice à une œuvre musicale dans le but d’incorporer la pulsation. Le type d’écoute privilégié lors de cette activité est l’écoute musicale active qui se distingue de l’écoute musicale passive (Afsin, 2009). Cette dernière ne permet pas au sujet d’agir musicalement, de raisonner corporellement avec le matériau musical alors que la première nécessite l’implication directe de l’acteur.trice dans l’écoute, par des actions observables faisant appel à l’activité et à l’initiative de l’apprenant.e. De plus, Afsin propose une classification permettant de mettre en avant un autre facteur : la complexité croissante et la complémentarité des différentes étapes nécessaires à l’écoute musicale. L’écoute analytique, que nous sollicitons dans notre recherche et identifiée aux côtés de l’écoute empathique et descriptive par l’auteur, se base sur des éléments musicaux concrets. Le sujet exprimera à l’aide d’un outil (corps, dessin, langage, chant, etc.) un ou plusieurs éléments particuliers étant rattachés aux différents paramètres du son (hauteur, timbre, durée, structure, intensité). L’écoute que nous sollicitons dans le cadre de cette recherche est donc une écoute active, de type analytique, visant l’expression corporelle du paramètre le plus basique de la durée, la pulsation. Afin d’atteindre ce but, la situation idéale allierait l’application des trois types d’objectifs présentés par Afsin dans une même activité didactique, favorisant ainsi différentes modalités d’apprentissages.
Il est important de faire la différence entre la perception de la pulsation se basant sur un support auditif (œuvre musicale), impliquant la théorie de l’écoute musicale et celle se basant, par exemple, sur le battement d’un métronome (ou un tambourin), ne partageant pas les mêmes particularités. En effet, une étude démontre qu’une personne peut être capable de suivre le battement d’un métronome sans pour autant suivre la pulsation musicale dans un morceau (Phillips-Silver & al., 2011). S’appuyant sur une personne de vingt-trois ans, cette même étude démontre que le candidat n’arrive pas à synchroniser ses mouvements aux rythmes de la plupart des morceaux de musique et ne réussit pas à détecter la plupart des asynchronismes d’autres danseurs modèles, malgré des systèmes moteurs, visuels et auditifs intacts (Phillips-Silver & al.). La synchronisation répond à une perception musicale grâce à l’engagement sensori-moteur, mais sans construire des programmes moteurs capables d’inférer la suite. C’est un traitement de l’information de bas niveau ne permettant pas de créer un système émotionnel. Au contraire, la syntonisation, implique la volonté du sujet qui se met en action afin de raisonner avec le matériau musical, présentant ainsi un traitement de l’information de niveau plus élevé (Leman, 2008, cité par Joliat 2008). Cela explique le cas de notre sujet. Ce dernier est capable de produire une synchronisation d’induction motrice (suivre le métronome) mais il ne réussit pas à engager un traitement de l’information plus élevé permettant la syntonisation et une mise en harmonie corporelle avec la musique, compétence que nous souhaitons développer chez nos élèves. Nous souhaitons donc permettre la construction de programmes moteurs capables d’inférer la suite (attentes perceptives) chez nos sujets.

Faciliter l’appropriation musicale (ou la théorie des facilitateurs)

Lors de chaque apprentissage, le sujet apprenant est amené à un déséquilibre mental selon la conception vygotskienne. Ce dernier est nécessaire, mais doit être mesuré. En effet, si le déséquilibre est trop important, l’élève ne se sentira plus dans une sphère sécurisée. Le système nerveux doit être, d’une certaine façon, manipulé afin que le déséquilibre reste mesuré et que l’appropriation puisse s’opérer. Pour ce faire, les conditions permettant l’incorporation de la pulsation doivent simplifier le travail et ainsi permettre au système nerveux de croire qu’il fait toujours la même chose. Une récompense neurologique sera alors activée, ce qui permettra de développer une motivation dans le travail. Afin de faciliter la synchronisation motrice à une œuvre musicale, nous souhaitons appliquer des facilitateurs d’accès, activant temporairement des « fonctionnalités de substitution (…) extérieures à l’appareil des moyens musicaux » (Zurcher, 2017, p. 63), permettant au sujet de prendre part intégrante à l’espace d’usage, même en l’absence des moyens musicaux nécessaires. Plus spécifiquement, les « facilitateurs d’accès moteur » peuvent favoriser l’appropriation musicale (Zurcher, 2017, p. 65), raison pour laquelle nous avons décidé de travailler avec ce type d’outils dans le dispositif didactique.

Facilitateur d’accès à l’espace de partage I : la marche naturelle

Le pas sautillé est relativement répandu dans les activités didactiques pour les élèves du cycle 1, popularisé par la méthode dalcrozienne. À travers l’observation sur le terrain, Zurcher (2017) observe l’émergence de deux facilitateurs, à savoir, « la régulation visuelle de l’action et la cadence par défaut qui règle spontanément les enchaînements moteurs » (Zurcher, 2017, p. 66). La synchronisation motrice se fait, dans le cadre de cette recherche, sur une œuvre musicale ayant une pulsation de 120 battements par minute. Cela reflète la cadence de la marche naturelle d’un enfant, impliquant ainsi peu d’efforts cognitifs. De nombreuses activités quotidiennes, comme la marche, la danse et certains sports, nécessitent un contrôle temporel précis des mouvements corporels qui sont rythmiques. Ces mouvements présentent un timing quasi-périodique (Maes & al., 2015). Si l’on demande à l’enfant de marcher à une cadence différente, l’effort cognitif est alors supérieur. La marche naturelle, ou « cadence par défaut » (Zurcher, 2017, p. 121) que nous nommons marche mobile dans notre dispositif didactique, est supposée être une fonctionnalité de substitution agissante comme un facilitateur de l’accès à l’espace de partage favorisant ainsi l’entrée dans l’activité (synchronisation motrice à une œuvre musicale). Elle engage des habiletés motrices complexes (tâche avec peu de contraintes motrices) et des mouvements morpho- et topocinétiques (Lafont & Martin, 2014 ; Joliat, 2008).

Facilitateur d’accès à l’espace de partage II : la régulation visuelle de l’action

Plusieurs expériences scientifiques (Blandin et al, 1999 ; Shea et al., 2001 ; Vogt, 1995) démontrent qu’il existe un lien favorable à l’apprentissage si l’on associe l’apprentissage visuel à l’apprentissage moteur, car cette combinaison favorise la mémoire, comme le soulignent Brown et Palmer (2012). Selon Blandin (2002), l’association visuelle et motrice est bénéfique, car :
La seule observation d’un sujet modèle ne permet pas aux observateurs d’obtenir une performance égale à celle obtenue grâce à la pratique physique et que par conséquent l’observation doit être combinée à la pratique physique. Toutefois, les effets bénéfiques de l’observation apparaissent dès lors que les observateurs ont l’opportunité de pratiquer physiquement la tâche. Par conséquent, on peut parler d’apprentissage latent suite à l’observation puisqu’il ne faut que quelques essais de pratique physique aux observateurs pour obtenir des performances identiques à celles des modèles. (p.545)
La régulation visuelle de l’action (Zurcher, 2017) favorise donc l’appropriation musicale et agit ainsi comme un facilitateur. Ainsi, l’espace de quiétude que nous créons, l’imitation interactive et les stratégies d’apprentissage permettant l’autorégulation doivent permettre la régulation visuelle de l’action et ainsi agir comme notre deuxième facilitateur de l’accès à l’espace de partage (Zurcher, 2017, p. 121).

Facilitateur d’accès moteur I : la privation progressive des degrés de liberté

En plus des deux facilitateurs de l’accès à l’espace de partage, nous ajoutons dans le dispositif didactique des facilitateurs d’accès au système moteur. Concrètement, la plupart des articulations corporelles, principalement du système moteur inférieur, sont engagées lors de la marche naturelle, ce qui suppose l’utilisation d’un grand nombre de degrés de liberté (Berthouze & Goldfield, 2007). Lorsque le corps est sollicité dans son intégralité, le « gel » des degrés de liberté est très faible et la tâche est complexe (Bernstein, 1967) :
[Lors de] l’apprentissage d’une nouvelle compétence motrice, la complexité de la tâche est initialement réduite en gelant certains des degrés de liberté (souvent, les degrés de liberté périphériques), soit en les gardant rigidement fixés, soit en les couplant étroitement.
(Bernstein, cité dans Berthouze & Goldfield, 2007, p. 28)
Au contraire, lorsque le système moteur engage une seule articulation, la privation des degrés de liberté est forte, la majorité des degrés de liberté étant « gelés » et n’étant pas engagés dans l’accomplissement de la tâche simple (Teulier & Nourrit-Lucas, 2008). La privation progressive des degrés de liberté engage donc d’abord les habiletés complexes, la privation progressive permettant d’aboutir à l’utilisation d’habiletés simples. Pour Bernstein (1967), l’apprentissage peut être défini comme le processus par lequel le sujet parvient peu à peu à maîtriser ses degrés de liberté, c’est-à-dire de les transformer en un système plus simple, et contrôlable.
Afin de permettre l’incorporation de la pulsation, nous souhaitons appliquer une privation progressive des degrés de liberté de cette marche naturelle. Cela signifie que le sujet devra passer par différentes postures corporelles, pour tendre uniquement vers l’engagement d’une psychomotricité fine lui permettant de marquer la pulsation par des frappes digitales. En réduisant progressivement les mouvements corporels, nous évitons une surcharge cognitive chez l’apprenant.e. Dans notre dispositif, le sujet passe par trois phases posturales : la marche mobile (marche naturelle), la marche immobile et la posture assise non-marchée associée à des « claps » (frappes digitales). La suite de postures appliquées (afin de permettre une privation des degrés de liberté) partage certaines caractéristiques avec la danse (Lafont & Martin, 2014). En effet, le sujet doit reproduire à plusieurs reprises une série de postures, impliquant des mouvements tout en se synchronisant à un matériau musical. Le sujet est amené à reproduire un ensemble de postures sur lesquelles il greffe des gestuelles préétablies, créant ainsi la « chorégraphie ». L’élève ne doit pas être perçu comme une « machine biologique productrice d’habiletés motrices » mais en tant que personne agissante (Parlebas & Dugas, 2005). L’apprenant.e engage volontairement son système moteur. L’ingénierie didactique que nous proposons implique une pédagogie des conduites motrices, faisant appel à des particularités personnelles comme la perception, la représentation ou l’image mentale du sujet. La conduite motrice est donc une organisation signifiante du comportement moteur (Parlebas & Dugas).
Certaines de ces postures, comme la marche immobile ou la marche assise, peuvent nécessiter une réorganisation posturale chez nos sujets. Comme le montrent Lafont et Martin (2014), en éducation physique certaines activités plongent les sujets dans des circonstances posturales peu familières (motricité terrienne ou aérienne mobilisée selon le type de gymnastique). En revanche, Bandura (1982) relève qu’« il est possible pour un sujet d’avoir une représentation correcte de la configuration du mouvement à effectuer sans pour autant qu’il puisse le faire, ne possédant pas les capacités motrices et physiques nécessaires » (Bandura, 1982, cité par Cicero & Lafont 2007, p. 339). Cela signifie, dans notre cas, que nous devons tenir compte dans nos hypothèses d’éventuelles déficiences motrices ou physiques dans l’analyse des résultats.
Les actions sont de nature topocinétiques, ayant une cible localisée dans l’espace, mais également morphocinétiques, faisant appel à l’espace des formes, tout comme la danse.
Zurcher (2017) fait la distinction entre les activités posturales et les activités de la motricité fine. Les premières peuvent être assimilées aux habiletés topocinétiques tandis que les deuxièmes aux habiletés morphocinétiques. Zurcher suggère que « la première pratique posturale de partage de l’espace musical est la danse » (Zurcher, 2017, p. 66). Des activités cinétiques viennent donc s’ajouter sur des activités posturales. Le système moteur corporel organise donc les éléments du corps humain dans certaines activités posturales sur lesquelles s’additionnent les activités cinétiques, à savoir les mouvements du corps, les déplacements et la coordination entre les différents systèmes moteurs corporels (Paillard, 1974).
En se basant sur l’expérience d’Arutyunyan, Gurfinkel et Mirskii (1968) – qui démontre qu’un tireur débutant « gèle » ses articulations afin de pouvoir utiliser ses habiletés topocinétiques – nous devrions proposer un dispositif didactique engageant d’abord les habiletés simples pour tendre vers des habiletés complexes. Une autre expérience corrobore cette tendance. L’expérience de Newell et van Emmerik (1989) propose à des sujets de réaliser une signature avec leur main non dominante. Ils observent que le mouvement est entièrement contrôlé par l’épaule alors que les autres articulations sont gelées, y compris les articulations du poignet et du coude. Le sujet novice utilise alors les articulations qui sont les plus proches de l’axe du corps (l’épaule) et qui se trouvent dans les segments corporels supérieurs. Nos sujets étant des débutant.e.s, nous pouvons alors supposer qu’ils « gèleront » un certain nombre de leurs articulations et qu’ils engageront d’abord les articulations les plus proches de l’axe du corps, qui se trouvent dans les segments supérieurs du corps.
Néanmoins, notre dispositif va à l’encontre de cette littérature puisque nous incluons le concept de facilitateur d’accès. Comme nous l’avons vu, l’entrée dans l’activité par l’engagement d’habiletés psychomotrices complexes – la marche naturelle – se comprend par le fait que cette activité possède un pouvoir de facilitateur (cadence par défaut chez Zurcher, 2017). L’effort cognitif nécessaire à l’apprenant.e afin d’entrer dans l’activité est réduit et, de ce fait, permettra au sujet de se focaliser sur d’autres apprentissages, dont l’incorporation de la pulsation. De plus, l’utilisation d’une habilité topocinétique, la marche, déjà établie et utilisée quotidiennement par le sujet, lui permettra d’entrer plus facilement dans l’accomplissement de la tâche et ainsi d’en atteindre le but.

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Table des matières

INTRODUCTION
PROBLÉMATIQUE 
I. REPRÉSENTATION MENTALE ET OBJECTIFS D’APPRENTISSAGE D’UN POINT DE VUE COGNITIVISTE ET CONSTRUCTIVISTE
I.1 Les limites de l’imitation immédiate
I.2 Création d’un espace de travail favorisant l’appropriation musicale
II. OPÉRATIONNALISER LA REPRÉSENTATION MENTALE PAR LA CORPORÉITÉ 
II.1 Les stades d’appropriation motrice (Fitts, 1964)
II.2 La Corporéité : le corps comme outil d’appropriation musicale
III. LES HABILETÉS MOTRICES
III.1 Les habiletés topo- et morphocinétiques
III.2 Les habiletés simples et les habiletés complexes
IV. CONSTRUCTION DU DISPOSITIF DIDACTIQUE
IV.1 Intégration de la corporéité
IV.2.1 Faciliter l’appropriation musicale (ou la théorie des facilitateurs)
IV.2.1 Facilitateur d’accès à l’espace de partage I : la marche naturelle
IV.2.2 Facilitateur d’accès à l’espace de partage II : la régulation visuelle de l’action
IV.2.3 Facilitateur d’accès moteur I : la privation progressive des degrés de liberté
IV.2.4 Facilitateur d’accès moteur II : le transfert d’apprentissage
V. QUESTIONS ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE 
MÉTHODOLOGIE
VI. L’EXPÉRIENCE MENÉE EN CLASSE : LA PROCÉDURE 
VI.1 Échantillon
VI.2 Données récoltées (corpus)
VI.3 La démarche méthodologique
VII. OBJECTIFS D’APPRENTISSAGES
VII.1 Objectifs opérationnels
VII.2 Le dispositif
VII.2.1 Description générale du dispositif
VII.2.2 Description de l’expérience filmée au sein du dispositif : atelier 3, poste 2
Consignes du pré-test et post-test
Étapes de la privation progressive des degrés de liberté
Complexification des tâches et progression dans l’apprentissage
ANALYSE DES RÉSULTATS
VIII. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DU SUJET 4
VIII.1 Pré-test
VIII.2 Post-test
VIII.3 Progression
VIII.4 Analyse et interprétation des résultats
VIII.4.1 Formulation d’hypothèses
VIII.4.2 Vérification des hypothèses et argumentation
IX. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DU SUJET 1 
IX.1 Pré-test
IX.2 Post-test
IX.3 Progression
IX.4 Analyse et interprétation des résultats
IX.4.1 Formulation d’hypothèses
IX.4.2 Vérification des hypothèses et argumentation
X. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DU SUJET 3 
X.1 Pré-test
X.2 Post-test
X.3 Progression
X.4 Analyse et interprétation des résultats
X.4.1 Formulation d’hypothèses
X.4.2 Vérification des hypothèses et argumentation
XI. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DU SUJET 2
XI.1 Pré-test
XI.2 Post-test
XI.3 Progression
XI.4 Analyse et interprétation des résultats
XI.4.1 Formulation d’hypothèses
XI.4.2 Vérification des hypothèses et argumentation
XII. SYNTHÈSE DES HYPOTHÈSES ET CONCLUSION DES ANALYSES 
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE

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