Commutation de code entre le ouïghour et le chinois

Les Ouïghours, ethnie minoritaire musulmane de langue turcique, sont de nos jours de plus en plus présents dans le discours autour de la Chine et de l’Asie Centrale, dans les média comme dans la recherche académique. Souvent mentionnés lorsqu’il s’agit de parler de géopolitique, d’instabilité politique et de terrorisme dans ces régions du monde, de nos jours les Ouïghours vivent d’importants changements de nature sociale, culturelle et identitaire. De même, la région habitée par cette communauté, le Xinjiang, est également en train de vivre des transformations en ce qui concerne son organisation démographique, son développement économique ainsi que la gestion de ses ressources naturelles.

Le territoire : le Xinjiang, carrefour d’Asie

Le Xinjiang est situé dans le nord-ouest de la République populaire de Chine (dorénavant RPC). Il constitue un sixième de l’ensemble du territoire chinois (avec une superficie de 1.664.900 km² ) et il partage ses frontières avec 8 pays d’Asie Centrale : la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde. Il s’agit d’une terre très riche en paysages naturels : le désert du Taklamakan, les chaines montagneuses du Pamir (situé à la frontière avec le Pakistan et l’Afghanistan), du Kunlun (au sud, situé à la frontière avec la région du Tibet), des Altaï (situés à la frontière avec la Mongolie) et du Tian Shan (connu également en ouïghour comme Tengri tagh) qui divise les deux bassins de la région, celui du Tarim au sud et celui de la Dzoungarie au nord.

Il s’agit également d’un territoire abondant en ressources naturelles : gaz, combustibles fossiles et énergies renouvelables, qui attirent investissements locaux et étrangers et font de la région une zone d’intérêt stratégique pour les pays voisins de l’Asie Centrale .

Le paysage ethno-culturel est également très riche et complexe; parmi les 56 ethnies minoritaires reconnues par la RPC, le Xinjiang en accueille 13. Selon le recensement de 2010, les groupes majoritaires sont constitués par les Ouïghours et les Han, qui comptent aujourd’hui respectivement 10.019.756 et 8.416.807 membres (Xinjiang Weiwu’erzu Zizhiqu, 2010, feuille 3.5). Les deux ethnies majoritaires ont une distribution démographique différente : les Han sont majoritaires dans les villes autour du bassin de Dzoungarie et des monts Tianshan comme Ürümchi, Hami, Changji et Karamay, tandis que les Ouïghours sont plus nombreux dans le sud, notamment dans les villes de Kashgar, de Hotan et dans la préfecture autonome de Kizilsu (Xinjiang Weiwu’erzu Zizhiqu, 2010, feuille 3.5).

Les autres ethnies sont de différentes origines géographiques et parlent des langues appartenant à diverses familles linguistiques : les Kazakhs et les Kirghizes (de langue turcique kipchak et d’origine nomade), les Hui-Dungan (d’origine centrasiatique mais locuteurs de langue chinoise), les Mongols, les Xibe (populations parlant une langue manchoue déplacées au Xinjiang sous la dynastie Qing), les Tadjiks (locuteurs de langue persane), les Uzbeks (de langue turcique chagatay, groupe auquel appartient le ouïghour), les Russes, les Daur (de langue mongolique) ainsi que les Tatars (de langue turcique et d’origine nomade).

Les spécificités ethnoculturelles du Xinjiang sont étroitement liées aux spécificités géographiques : le nord, avec ses vastes prairies et ses forêts était adapté au développement des civilisations nomades, tandis que le sud, avec ses vastes déserts et ses oasis, était un environnement convenant au développement de l’agriculture et de sociétés sédentaires.

Les Ouïghours du passé et les Ouïghours d’aujourd’hui

Le groupe ethnique de notre étude, les Ouïghours, sont décrits par les études académiques comme une population sédentaire, de langue turcique, de religion musulmane et de tradition culturelle turcique-centrasiatique (Bellér-Hann, 1991 : 72 ; Gladney, 1990 ; Bellér-Hann, 2000 ; Smith, 2002 ; Bovingdon, 2004 ; Dwyer, 2005 ; Caprioni, 2011). Un élément supplémentaire, et comme nous allons le voir controversé, qui définit cette ethnie est le territoire. Les Ouïghours, particulièrement vis-à-vis de la population han, se considèrent comme les habitants autochtones du Xinjiang (Gladney, 1990 ; Bovingdon, 2004 : 117).

Ces éléments qui constituent aujourd’hui l’identité ouïghoure sont en fait le résultat de vicissitudes historiques, de migrations et de contacts avec différentes populations ayant eu lieu dans le territoire appelé aujourd’hui Xinjiang et dans les territoires adjacents, que nous allons présenter à travers l’ethnogenèse des Ouïghours.

Ethnogenèse des Ouïghours

Comme nous l’avons évoqué, le territoire du Xinjiang, habité en majorité par des Ouïghours et par des Han, est de nos jours considéré comme un élément fondamental dans la définition de l’ethnie ouïghoure moderne. Cependant, cette distribution démographique et la valeur identitaire qu’elle a de nos jours pour les Ouïghours ne sont que récentes. Les premiers groupes qui ont habité les oasis du Tarim (entre 2000 et 650 avant notre ère) n’étaient en fait ni d’origine sinitique comme les Han ni d’origine turcique comme les Ouïghours, mais indo-européens. Il s’agissait de populations appelées Tokhariens et Saka, provenant des régions agricoles d’Asie Centrale et de langue persane (Millward, 2007 : 12-15). Les premières tentatives d’établissement du contrôle du Xinjiang de la part de Han remontent à l’envoi de l’ambassadeur Zhang Qian sous le règne de l’empereur han Wudi en 139 avant notre ère, avec l’objectif de s’allier avec les Yuezhi (probablement une dénomination chinoise pour les Tokhariens) et de battre les nomades Xiongnu (avec lesquels ils n’étaient pas arrivés à avoir des relations pacifiques malgré les relations tributaires). En 120 avant notre ère, les Han arrivent à pénétrer le corridor du Gansu jusqu’au Lop Nor (dans le sud-est de l’actuel Xinjiang) et à établir les premières colonies militaires agricoles (túntiān) après 60 avant notre ère (ibid. : 19 23). L’historiographie chinoise attribue à cette dynastie le début du contrôle han sur la région ; cependant, il faut souligner que le premier empire han était établi en majorité dans le bassin du Tarim et il était régulièrement en lutte contre les Xiongnu et d’autres pouvoirs nomadiques pour s’assurer son contrôle (ibid. : 24-25).

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Table des matières

TABLE DES MATIERES
INDEX DES TABLEAUX
INDEX DES FIGURES
Introduction
Organisation de la thèse
PREMIERE SECTION : CADRE THEORIQUE
Chapitre 1 Le Xinjiang, les Ouïghours et les politiques linguistiques à l’égard de la langue ouïghoure
1.1 Le territoire : le Xinjiang, carrefour d’Asie
1.2 Les Ouïghours du passé et les Ouïghours d’aujourd’hui
1.2.1 Ethnogenèse des Ouïghours
1.2.2 La revitalisation du terme uyghur
1.2.3 Les Ouïghours et les relations politiques avec la RPC
1.3 La question de la langue : politiques linguistiques à l’égard du ouïghour
1.3.1 La dynastie Qing et les débuts de l’unification de la langue chinoise
1.3.2 Avant la RPC : la promotion du multilinguisme
1.3.3 Les débuts de la RPC : politiques accommodationnistes
1.3.4 Pendant la révolution culturelle : les politiques d’assimilation
1.3.4.1 La réforme de l’écriture : rapprocher les langues à travers l’orthographe
1.3.4.2 Formation de nouveaux emprunts : la supériorité lexicale de la langue chinoise
1.3.5 Les années 1980 : les droits linguistiques et la diffusion du chinois standard
1.3.6 Les années 1990 et 2000 : l’imposition du chinois standard
1.4 Considérations conclusives
Chapitre 2 Notions introductives pour l’étude des langues et sociétés
2.1 La communauté linguistique
2.2 La diglossie
2.2.1 La diglossie fergusonienne
2.2.2 La diglossie fishmanienne
2.2.3 Prises de distances
2.4 Considérations conclusives
Chapitre 3 Le code switching : cadre théorique
3.1 Contact des langues et code switching
3.2 Le code switching et ses définitions
3.3 L’étude des aspects structurels du code switching
3.3.1 La recherche des régularités dans l’hétérogénéité
3.3.2 La recherche de nouvelles perspectives
3.3.3 Le continuum entre code switching et borrowing
3.4 L’étude du code switching et ses aspects sociaux et interactionnels
3.4.1 L’approche interactionnelle
3.4.2 L’approche socio-culturelle : universalisme et particularisme
3.4.3 Code switching et idéologies linguistiques
3.4.5 Hétérogénéité des contextes, pluralités d’approches
3.6 Considérations conclusives
DEUXIEME SECTION : METHODOLOGIE ET CONTEXTE SOCIOLINGUISTIQUE
Chapitre 4 Méthodologie de l’enquête
4.1 Changement de l’orientation de la thèse
4.2 Quelle méthodologie utiliser dans l’étude des langues et sociétés au Xinjiang ?
4.2.1 Considérations sur les méthodes d’enquête utilisées dans l’étude des langues et sociétés
4.2.2 Enquêter le code switching ouïghour-chinois : un phénomène caché
4.2.3 Dimension éthique et émique
4.3 Description du corpus
4.3.1 Les données ethnographiques
4.3.2 Les données linguistiques
4.4 Réflexions sur la méthodologie employée
4.4.1 Réflexions sur l’efficacité pratique
4.4.2 Réflexions légales et éthiques
4.5 Observations conclusives
Chapitre 5 La communauté linguistique ouïghoure de Ürümchi : aspects sociolinguistiques d’une minorité dans un espace sinisé
5.1 La ville de Ürümchi : un modèle de développement chinois
5.1.1 Les zones « ouïghoures » et les zones « han » de notre terrain d’enquête
5.1.1.1 La circonscription de Tiānshān
5.1.1.2 La circonscription de Shāyībākè et Xīnshì
5.2 Le ouïghour dans la sphère publique : l’affirmation du chinois standard comme variété haute
5.2.1 L’environnement linguistique de la ville : le ouïghour, « sourcils de l’écriture chinoise »
5.2.2 La relation diglossique entre le ouïghour et le chinois
5.2.2.1 Education
5.2.2.2 Média
5.2.2.3 Administration
5.2.2.4 Le chinois standard comme moyen de ressources
4.2.2.5 Particularités de la relation diglossique entre ouïghour et chinois
5.3 La communauté ouïghoure dans la sphère privée : la ségrégation dans les relations avec les Han et l’insertion du chinois dans la langue ouïghoure
5.3.1 Les « espaces ouïghours »
5.3.2 Les relations entretenues avec la communauté han
5.3.3 Un aperçu des usages langagiers in-group
5.4 Considérations conclusives
TROISIEME SECTION : ANALYSE DES DONNEES
CONVENTIONS DE TRANSCRIPTION, DE GLOSAGE ET DE TRADUCTION DES DONNEES
ABREVIATIONS DES TERMES GRAMMATICAUX
CONCLUSION

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