Comment aider ces élèves à développer leurs stratégies de lecture ?

Introduction

Lors de mon parcours professionnel de professeur des écoles, j’ai été amenée à enseigner la lecture à des élèves du CP au CM2. Très vite, j’ai été confrontée aux difficultés de certains d’entre eux à devenir des lecteurs experts et j’ai tenté par divers moyens de les aider à entrer réellement dans la lecture. Cependant, malgré mon intervention, certains élèves « résistaient ». Pourquoi, malgré les multiples aides apportées, certains élèves gardent de grandes difficultés à entrer dans la langue écrite, à en comprendre les codes et à les utiliser ?
Comment aider ces élèves, pour qui beaucoup de choses ont déjà été tentées, à accéder au sens d’un message écrit ? Cette problématique, à laquelle je réfléchissais déjà en tant qu’enseignante en classe ordinaire, il m’intéresse à présent de m’y pencher avec un autre regard, en tant qu’enseignante  du RASED. En effet, étant maintenant en permanence avec des élèves en grande difficulté, je peux étudier plus finement les processus mis en jeu dans l’apprentissage de la lecture, je peux observer plus précisément les méthodes, efficaces ou non, utilisées par ces élèves face à un écrit.
Il est vrai que, plutôt que de raisonner en termes de savoirs (« cet élève de CE1 ne connaît pas les sons, il faut qu’il les mémorise, donc je lui donne de nouveau des exercices sur les sons», « cet élève de CE2 lit trop lentement pour comprendre ce qu’il lit, il faut qu’il lise plus vite, donc je vais lui donner des exercices defluence »…), j’ai choisi de m’intéresser aux méthodes utilisées par les élèves. Ce focus sur les méthodes est d’ailleurs une recommandation des Nouveaux Programmes de 2015, dont le Domaine 2 du Cycle 2 s’intitule « Méthodes et outils pour apprendre », un volet quine figurait pas aussi explicitement dans les Programmes précédents. L’autonomie de l’élève, par le biais de l’amélioration de ses démarches, de ses stratégies, est mise en valeur.
Travailler les méthodes et stratégies des élèves est une composante essentielle de l’intervention de l’enseignant du RASED, comme le précise la circulaire n° 2014-107 du 18 août 2014, et c’est pourquoi j’ai décidé de m’y intéresser particulièrement cette année.

Quelle est la situation de départ et pourquoi m’interpelle-t-elle ?

En lisant les demandes d’aide faites par trois enseignants différents de deux écoles situées en REP dans la ville de Sin-Le-Noble (Nord)et qui ont en charge des élèves de CE2 ou CM1, j’ai été frappée par les profils similaires d’élèves, en difficulté, décrits dans le document. Les six élèves, pour qui on me demandait une aide pédagogique, n’étaient pas (ou pas encore) diagnostiqués comme étant porteurs de troubles, ils n’avaient pas non plus de problèmes d’attention ou de comportement en classe. Tous avaient des difficultés en « lecture-compréhension ». Pourtant, tous étaient capables de déchiffrer un texte, n’avaient pas de problème pour lire les sons, parfois même avaient une fluidité de lecture orale tout à fait correcte.

Pourquoi ces élèves ne comprennent-ils pas l’écrit ? Qu’est-ce qui les empêche d’accéder au sens des textes ?

Les entretiens avec les enseignants et les familles ne m’ayant pas donné beaucoup d’éléments d’information à ce sujet, j’ai dû faire mes propres investigations. Par ma pratique et mes recherches antérieures, j’avais une première hypothèse : la cause de leur échec était peut-être liée à un manque de clarté cognitive. Ce concept a été initié en France par Downing et Fijalkow dans les années 80. Ces chercheurs en psychologie sociale font le lien entre le degré de représentation que peuvent avoir les élèves d’une tâche scolaire et leur niveau d’efficacité. Ainsi, des élèves qui n’ont pas une représentation claire de l’objet d’apprentissage, ici la lecture, mais aussi du rôle de l’école et de leur métier d’écolier, auraient moins d’efficacité dans la réalisation de la tâche.
J’ai donc d’abord décidé d’évaluer individuellement ces six élèves en portant une attention particulière à leur degré de clarté cognitive. Ont-ils une représentation claire des buts et usages de la lecture ? Savent-ils comment s’y prendre pour bien comprendre un texte ? Voici un extrait du tableau de synthèse réalisé à la suite de la passation de ces évaluations individuelles (Partie : « Projet de lecteur et clarté cognitive »). Précisons que toutes les autres compétences entrant dans l’acte de lecture (composantes sonores de la langue, correspondance oral/écrit, lexique mental…)ont aussi été évaluées, n’ont pas posé de gros problèmes et ne peuvent expliquer les difficultés en lecture de ces élèves.
A la lecture de ce tableau synthétique, je me suis rendue compte que les élèves dont j’avais la charge, dans l’ensemble, n’éprouvaient pas de répulsion vis-à-vis de la lecture, savaient dire à quoi servaient la lecture, avaient un projet de lecteur, connaissaient les différents usages de la lecture et connaissaient les termes techniques entourant l’acte de lire. Il semblait donc avoir un degré de clarté cognitive sur la lecture plutôt élevé.
Par contre, ces élèves ont été mis particulièrement en échec quand il s’agissait d’évoquer les stratégies utilisées pour lire et comprendre en texte (en rouge sur le tableau du document 4). La plupart n’a qu’une seule stratégie, ou du moins n’évoque qu’une seule stratégie : le déchiffrage mot à mot et la compréhension basée sur des mots familiers reconnus et compris. Ce qui implique de nombreuses difficultés : non reconnaissance des marques grammaticales, impossibilité de comprendre un mot inconnu d’après le contexte, aucune stratégie de « déblocage» en cas de non-compréhension, aucune prise en compte des éléments implicites…
Voici quelques extraits de réponses de ces élèves à la question : « comment fais-tu pour comprendre ce que dit le texte » (textes issus du Test ECOSSE Compréhension CE1, La Cigale»:

Comment aider ces élèves à développer leurs stratégies de lecture ? De quelles ressources ai-je besoin ?

Tout d’abord, j’ai recherché quelles étaient les caractéristiques communes aux élèves en difficulté de compréhension en lecture auprès des chercheurs en Sciences de l’Education spécialistes de l’apprentissage de la lecture. J’ai trouvé auprès de Roland Goigoux, Sylvie Cèbe et Serge Thomazet, des éléments de réponse : les élèves en difficulté de lecture ont de mauvaises statégies et contrôlent mal leur activité.
Premier élément de réponse pour aider les élèves qu’on me confie: ils ont vraisemblablement des difficultés de compréhension car ils n’ont pas de stratégies de contrôle de leur lecture et ils accordent du sens une phrase après l’autre sans lien entre elles, ce qui nuit à la cohérence du texte. Ils ne construisent pas non plus d’inférence, et n’évaluent jamais leur compréhension en cours de lecture.
Deuxième élément de réponse : les élèves dont j’ai la charge n’ont pas non plus la stratégie de modulation de la vitesse de la lecture, ils ne savent pas s’arrêter non plus, faire des retours en arrière… En bref, ils ne prennent pas conscience du moment où ils « décrochent », où ils ne comprennent plus, et de ce fait ne peuvent pas y pallier. Ils ne contrôlent pas leur activité de lecture.
Dans un autre écrit de vulgarisation destiné à tousles enseignants, Roland Goigoux, donnant son avis sur les résultats des petits français à l’Evaluation Internationale PIRLS 2016, explique que les mauvais résultats de nos élèves sont dus notamment à un problème de « régulation de leur propre compréhension ».

Comment vais-je opérationnaliser mes nouvelles connaissances sur la métacognition et modifier ma pratique professionnelle en incorporant la prise en compte des besoins métacognitifs de mes élèves ?

Evaluation fine de leurs besoins métacognitifs

Nous avons vu plus haut que la métacognition est un concept complexe qui recouvre plusieurs compétences. Afin de définir précisément quelles compétences possèdent ou non mes six élèves de CE2/CM1 en difficulté de lecture, j’ai choisi de les évaluer finement sur leurs compétences métacognitives. Pour cela, je me suis servie du document de travail de Céline Ryckebusch « Grille d’observation des difficultés métacognitives», et j’ai observé et questionné les six élèves pendant deux séances de remédiation en groupes. A chaque fois, la tâche pour les élèves était de lire individuellement un texte de cinq lignes et de répondre à des questions de compréhension (pour deux d’entre elles la réponse à la question était explicitement dans le texte, pour les trois autres, l’élève devait comprendre l’implicite du texte). Voici le résultat de cette évaluation (les compétences d’auto-évaluation et d’autorégulation n’ont pas été évaluées, à ce stade les élèves ne les possèdent pas).

Mise en évidence de leurs besoins éducatifs particuliers

A la suite de ces évaluations, et afin de rédiger les projets individuels des élèves et les projets de groupe, j’ai cherché à définir quels étaient les besoins éducatifs particuliers de ces élèves. Je ne listerai ici que les besoins éducatifs particuliers métacognitifs que j’ai cherché à développer principalement chez ces élèves, avec toujours comme objectif d’améliorer leur compréhension écrite.
Pendant ce débat, j’ai utilisé les deux méthodes décrites plus haut, et empruntées à mes différentes lectures sur la métacognition, pour inciter les élèves à se confronter à leurs procédures peu efficaces et à la procédure d’un autre, plus efficace : la verbalisation de leur manière de fonctionner et la confrontation avec les pairs (présents physiquement ou par leur production). J’ai pu réaliser que cette manière d’organiser le débat était très productive et permettait réellement une prise de conscience chez les élèves de leur fonctionnement cognitif.
Elle leur permettait aussi d’accéder à la décentration, si difficile à obtenir parfois, pour pouvoir comprendre l’autre.
A la fin de cette deuxième séance de remédiation en lecture, les élèves ont mis sur une affiche, qui servira de référent collectif, les trois stratégies pour répondre à des questions de compréhension. Cette affiche sera refaçonnée, et enrichie, dans les séances suivantes, ce n’est qu’un premier jet.

Quel impact cette pratique de la métacognition a-t-elle eu sur les compétences des élèves ?

Deux outils m’ont aidée à évaluer les progrès des élèves en lecture-compréhension : une auto-évaluation des élèves et une grille d’évaluation de compétences de lecture mise en place après l’évaluation diagnostique des élèves et la définition de leurs besoins métacognitifs.

L’auto-évaluation des élèves

Lors des évaluations diagnostiques réalisées en décembre 2017 avant ma prise en charge des groupes de remédiation, j’ai demandé aux élèves d’évaluer eux-mêmes leur propre fonctionnement en tant que lecteur. A la fin de la séquence de remédiation, j’ai demandé aux élèves de faire à nouveau cette auto-évaluation afin de voir si les élèves avaient évolué dans leur rapport à la lecture. Je propose ici d’analyser les réponses d’une élève, Stacy, données en décembre 2017, avant la séquence de remédiation, et en février 2018, après la séquence de remédiation (cf page 24). Ses réponses représentent bien celles des autres élèves. Le questionnaire a été fait oralement, afin de pouvoir expliciter le sens de certaines questions, parfois inhabituelles pour les élèves.
En comparant les réponses de Stacy avant et après le travail métacognitif de recherche de son mode de fonctionnement et la prise de conscience de la nécessité de se réguler dans la lecture pour accéder plus facilement au sens, on note un grand changement. D’abord, en terme de volume, Stacy a été bien plus loquace en février qu’en décembre. On pourrait penser que la cause est affective, Stacy me connaissant mieux, elle se livre plus facilement. C’est possible en effet, même si Stacy n’est pas une élève facilement impressionnable. Je pense plutôt que cela montre que Stacy a réussi à prendre de la distance par rapport à sa manière d’aborder un texte, qu’elle a compris le travail réalisé pendant toutes ces séances, et qu’elle est maintenant capable d’expliquer certaines stratégies de lecture. C’est une élève pour qui cela a été une révélation d’apprendre qu’on pouvait s’arrêter de lire et revenir en arrière si on n’avait pas compris. Elle pensait que c’était impossible car elle avait une représentation fausse du contrat didactique : il fallait lire jusqu’au bout le plus vite possible sans s’arrêter, c’est ce que demandait la maîtresse, selon elle. L’effort de compréhension lui était inconnu, et j’ai bien senti la transformation de son fonctionnement au fil des séances. On voit encore ici combien la clarté cognitive des élèves est vraiment à prendre en compte au sein des classes si on veut éviter le plus possible d’engendrer des représentations fausses chez les élèves.
Ensuite, on voit cette évolution de Stacy au niveau des questions sur la régulation cognitive: elle a bien compris qu’il fallait se faire des images mentales du texte, qu’il fallait s’arrêter quand on ne comprenait plus, et qu’il fallait se demander à la fin de la lecture si on avait tout compris. C’est une chose qu’elle pratique maintenant aisément.
Tout n’est pourtant pas acquis : Stacy n’est pas du tout entrée dans la phase d’orientation et de planification : elle ne se donne toujours pas de but avant de lire, et ne planifie pas les étapes avant de se lancer dans la tâche. Elle a toujours tendance à l’impulsivité face au travail et manque de réflexion parfois. C’est un point qu’il faudra continuer à travailler avec elle dans les séances futures.

Grille d’évaluation de compétences en lecture des élèves

Lors de l’évaluation diagnostique et de l’évaluation finale des élèves qu’on me confiait, j’ai évalué, entre autres : la vitesse et la fluidité de lecture avec un premier texte (le même en décembre et en février), la compréhension des informations explicites avec un second texte adapté à leur niveau de lecture et cinq questions de compréhension (différents en décembre et en février), et les compétences d’inférence avec cinq courts textes et une question (différents en décembre et en février). Pendant l’épreuve de compréhension des informations explicites, j’ai observé comment l’élève gérait sa lecture, quel contrôle il exerçait sur elle, et s’il évaluait son travail une fois terminé. Voici quels ont été les résultats de Stacy, là-aussi plutôt représentatifs des autres élèves.
Nous voyons ici aussi que les compétences de Stacy en lecture ont évolué favorablement de manière générale : elle lit plus vite et avec plus de fluidité, elle trouve systématiquement les réponses explicites dans le texte et elle comprend mieux les inférences, elle exerce un début de contrôle sur sa lecture, et elle s’auto-évalue à la fin. Même si le chemin est encore long pour accéder à la compréhension de tout texte, Stacy est en train de modifier son comportement face à la lecture, une prise de conscience a eu lieu, et elle va la mener loin. Cette prise de conscience a eu lieu, de manière inégale, chez tous les élèves des deux groupes de CE2 et CM1. Jonathan, le plus en difficulté, a eu le plus de mal à abandonner sa stratégie inefficace. Mais face aux autres en réussite, il a commencé en fin de séquence à se sentir déstabilisé et à envisager d’autres manières de faire, ce qui est très encourageant pour la suite de notre travail.

Conclusion

Nous voici au terme de ce dossier, mais pas du travail engagé auprès des élèves dont j’ai la charge. J’ai découvert de nouveaux éléments théoriques qui ont enrichi ma pratique professionnelle, j’ai fait entrer la métacognition dans chaque séance, avec des élèves du CP au CM1. J’ai déjà pu évaluer les effets qu’avait cette pratique sur les progrès des élèves, et je suis persuadée que c’est dans cette direction que le maître du RASED doit travailler pour aider au mieux les élèves en difficulté. Dans le Référentiel de Compétences de l’Enseignant Spécialisé (Annexe 1 BO n°7 du 16 février 2017), il est précisé que l’enseignant spécialisé doit « exercer une fonction d’expert de l’analyse des besoins éducatifs particuliers et des réponses à construire en se dotant et utilisant des méthodes et outils d’évaluation adaptés».
Il me semble que, grâce à l’élaboration de ce dossier, je me suis dotée de nouvelles méthodes adaptées au public particulier dont j’ai la charge.
Cependant, je vais devoir enrichir ma réflexion en poursuivant mes recherches, car plusieurs problèmes se sont présentés à moi. Pour n’en citer qu’un, j’ai été confronté à des élèves, jeunes pour la plupart, qui avaient des difficultés avec la langue orale. Difficile alors de savoir rapidement si l’élève a un problème de procédures, ou s’il a un problème avec l’explicitation de ses procédures… Et parfois, l’élève utilisait de bonnes procédures pour répondre à la tâche donnée, mais ne savait pas du tout l’exprimer… J’ai mis du temps à m’en rendre compte, et c’est dommage d’avoir fait un travail inutile avec cet élève, ses difficultés n’étant pas là où je pensais qu’elles étaient… Comment évaluer les besoins métacognitifs d’un élève en difficulté avec l’oral ? Y a-t-il d’autres méthodes qui ne demandent pas à l’élève de verbaliser ? Voilà de quoi nourrir à présent ma réflexion…

Résumé

Certains élèves arrivent en fin de cycle 2 en sachant tout à fait déchiffrer un texte, mais n’en comprennent pourtant pas le sens. Comment l’enseignant du RASED peut-il aider ces élèves à accéder au sens des textes, et les inciter à réfléchir sur leurs stratégies de fonctionnement quand ils lisent ? Par quel biais peut-il introduire la métacognition dans ses pratiques d’enseignement ? Comment la réflexion métacognitive peut-elle aider les élèves à améliorer leurs compétences en lecture-compréhension ? Un exemple de pratiques.

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Table des matières

Introduction 
I. Quelle est la situation de départ et pourquoi m’interpelle-t-elle ? 
II. Comment aider ces élèves à développer leurs stratégies de lecture ? De quelles ressources ai-je besoin ? 
III. Comment vais-je opérationnaliser mes nouvelles connaissances sur la métacognition et modifier ma pratique professionnelle en incorporant la prise en compte des besoins métacognitifs de mes élèves ?
A. Evaluation fine de leurs besoinsmétacognitifs page
B. Mise en évidence de leurs besoins éducatifs particuliers
IV. Quel impact cette pratique de la métacognition a-t-elle eu sur les compétences des élèves ?
A. L’auto-évaluation des élèves
B. Grille dévaluation de compétences en lecture des élèves
Conclusion 

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