Chômage des jeunes et inégalités d’insertion sur le marché du travail

De l’âge du paupérisme à l’invention du chômage

     L’accélération de l’industrialisation s’est accompagnée, dès le début du XIXe siècle, d’une croissance quasi continue des effectifs ouvriers, d’un accroissement de la misère et la précarité des classes laborieuses. Est ainsi apparue la « question sociale » focalisée sur les dysfonctionnements sociaux liés à la société industrielle. Proudhon (1846) estime le phénomène de prolétariat comme conséquence des contradictions économiques de la société (division du travail, progrès technique, etc.) qui entraineraient des inégalités de fortunes entre ouvriers et capitalistes. Tout en remettant en question l’analyse de Proudhon, Marx (1847) admet que ce « qui est la source de tant de misère est en même temps la source de tout progrès » (Marx, 1847, 44) et d’ajouter « A mesure que la bourgeoisie se développe, il se développe dans son sein un nouveau prolétariat : un prolétariat moderne » (Marx, 1847, 88). Les travaux historiques dédiés à la question du chômage (Salais et al., 1986 ; Topalov, 1994) attribuent ainsi l’« invention du chômage » à celle du salariat moderne. Le chômage acquiert un statut à travers les premiers travaux économiques (Marshall, Lazard, Beveridge). Les préoccupations focalisées jusqu’alors sur les pauvres se dessinent autour du chômage, conduisant préalablement à une catégorisation et un classement des indigents à partir du double critère de l’aptitude physique et du rapport au travail.

Les classiques et l’impossibilité de chômage

    De position globalement libérale, les classiques estiment que les mécanismes et interactions économiques obéissent à un processus naturel de régulation des marchés dans lequel l’offre et la demande jouent le rôle de régulateurs de prix. Pour les classiques le fondement de la valeur est le travail puisqu’il contribue à l’enrichissement de la nation. Sa rémunération s’établit à un niveau naturel minimum qui assure la subsistance à l’ouvrier et à sa famille. Smith (1776, 64) précise qu’« il faut de toute nécessité qu’un homme vive de son travail, et que ce salaire suffise au moins à sa subsistance ; il faut même quelque chose de plus dans la plupart des circonstances ; autrement, il serait impossible de travailler et d’élever une famille ». Les économistes classiques n’excluent toutefois pas la possibilité de fluctuation du prix du travail (le salaire) par le rapport de l’offre et de la demande mais il ne peut exister de surnombre de main-d’œuvre dans un système qui obéit à un mécanisme de régulation naturelle de l’activité économique. Le marché du travail est ainsi parfait et rationnel ; il se réajuste de lui-même. L’approche malthusienne du chômage considère quant à elle que la régulation du marché du travail s’effectue par l’élimination physique des travailleurs les plus pauvres (Malthus, 1820, cité dans Arhab, 2010). Dans le même cadre de réflexion libérale, Say (1803) développe la loi des débouchés selon laquelle « l’offre crée sa propre demande » et non l’inverse. La demande s’ajuste à l’offre et la possibilité d’un déséquilibre provoqué par une insuffisance de la demande ne peut se concevoir dans la mesure où l’offre d’un produit assure un débouché à d’autres produits. Ce postulat sera le fondement de l’analyse néo-classique.

Dualisme et segmentation du marché du travail

    La question de la dualité du marché du travail est abordée initialement dans le courant néoclassique par Lewis (1954) proposant un modèle économique qui tient compte des mouvements de population. L’auteur présente l’économie des PED comme un système dualiste dans lequel coexistent un secteur traditionnel (agricole) dont la productivité du travail est proche de zéro, et un secteur moderne (industriel) où la productivité est croissante et positive en raison de l’accumulation du capital. Le salaire industriel étant supérieur au salaire agricole, un transfert géographique du surplus de main-d’œuvre agricole vers le secteur moderne est alors enclenché. Dans ce cadre, une création d’emplois dans le secteur moderne entraînerait une diminution du chômage. Le manque de réalisme de cette approche a laissé place à d’autres modèles avec sous-emploi. Todaro (1969) puis Harris et Todaro (1970) remettent en cause les prédictions de ce modèle en soutenant que la création d’emplois dans le secteur moderne aurait pour effet pervers une augmentation du niveau de chômage urbain (paradoxe de Todaro), sous un effet d’« appel d’air » qui attire de nouveaux migrants. En effet, les incitations à migrer représentent dans ce modèle la réponse au différentiel de salaire urbain-rural. Les auteurs ont tenté de faire le lien entre la théorie de la prospection d’emploi (job search) et la théorie de la migration pour rendre compte des incitations à migrer en tenant compte d’une période de transition pour obtenir un emploi urbain. Dans le sillage du modèle de comportement probabiliste de type Harris-Todaro, Fields (1975) introduit le secteur informel urbain, puis postule (Fields, 1990) une segmentation au sein même du secteur informel (segment inferieur et segment supérieur). A travers l’opposition entre secteur formel et informel, l’auteur met en évidence de nouvelles stratégies individuelles de recherche d’emploi : chômage ou emploi (dans le secteur formel ou informel) en comparant le revenu rural au revenu anticipé urbain (formel ou informel). Contrairement à l’approche néoclassique de rationalité des acteurs dans l’analyse du dualisme du marché du travail, la théorie de la segmentation et la distribution de l’emploi (Doeringer et Piore, 1971) met en évidence une forte concentration de certains types d’individus en fonction des « segments » occupés. Selon cette théorie, la distribution de l’emploi et des salaires sur le marché du travail dépend moins de la distribution du capital humain que de la structure du marché du travail. Les auteurs opposent deux segments entre lesquels la mobilité des travailleurs est fort réduite : (i) un segment secondaire caractérisé par des emplois vulnérables, peu qualifiés, faiblement rémunérés et des conditions de travail de moindre qualité. Ce segment regroupe généralement les minorités ethniques, les femmes et les personnes âgées ; (ii) et un segment primaire offrant des emplois de meilleure qualité, des rémunérations relativement plus élevées et une meilleure sécurité de l’emploi. Ce segment se divise à son tour en deux niveaux : le marché du travail primaire subordonné (lower-jobs tier) et le marché du travail primaire supérieur (upper-jobs tier). Ces deux niveaux se différencient par les mêmes clivages qui opposent le segment primaire et secondaire, dans une moindre mesure. Parallèlement, une partition entre marché interne et externe du travail permet de distinguer entre les grandes firmes qui ont recours principalement à la promotion interne de ses employés en offrant des rétributions élevées, et celles dont le mode de détermination des emplois et des salaires s’apparente au mécanisme concurrentiel, davantage accessible aux travailleurs. Ces phénomènes de segmentation du marché du travail, développés dans le cadre du courant « organisationnel », ne s’expliquent donc pas par des différences en termes de caractéristiques individuelles mais par des modes de gestion de la main-d’œuvre distincts.

La théorie insider-outsider et le phénomène d’hystérésis

    Le modèle développé par Lindbeck et Snower (1988) offre une explication du phénomène de persistance du chômage à travers l’opposition insider-outsider. Les insiders sont les employés titulaires expérimentés jouissant d’une protection de leur emploi, ce qui rend leur licenciement coûteux pour l’entreprise. Les outsiders (ou entrants) sont chômeurs ou travaillent dans le secteur informel. Ils ne disposent de ce fait d’aucune protection de l’emploi. La rigidité à la baisse des salaires découle de l’existence de coûts de licenciement et de recrutement (frais de recherche d’un nouveau travailleur, frais de sélection et frais de formation notamment) induits par le turn-over. L’ensemble de ces frais donnent un certain pouvoir au travailleur en poste. Il peut alors se voir offrir un salaire supérieur à celui du marché faisant apparaître un volant de chômage. Les auteurs démontrent ainsi que le pouvoir de négociation initié par Dunlop (1944) existe indépendamment de la présence ou non de syndicats. Cette théorie s’apparente à celle du salaire d’efficience, en revanche la source des rigidités des salaires diffère. Pour la théorie du salaire d’efficience, c’est l’entreprise qui opte pour des salaires élevés tandis que dans le modèle présent se sont les insiders (particulièrement s’ils sont représentés par des syndicats) qui contribuent à la dégradation des conditions d’emploi en s’accaparant la « rente ». Au-delà de la partition entre insider et outsider, ce modèle contribue à expliquer l’hystérèse du chômage initialement formulée par Blanchard et Summers (1986). Ce phénomène traduit la forte dépendance du niveau de chômage en t par rapport à son niveau en t-1. Dans le cadre du présent modèle, l’hystérèse du chômage peut être justifiée par le pouvoir de négociation des insiders. En effet, lorsque les chocs ne sont pas correctement anticipés par les syndicats et les reprises le sont, le chômage augmente (licenciement et non-embauche) compte tenu des salaires devenus fort élevés. Le chômage perdurera même après les reprises économiques (anticipées) en raison des salaires élevés négociés ex ante par les insiders ou leurs représentants. La persistance du chômage peut résulter en outre de la faible employabilité des chômeurs de longue durée en raison de la dépréciation de leur capital humain (Layard et Nickell, 1986). Ainsi, un déséquilibre transitoire sur la demande de travail est susceptible d’avoir un effet permanent sur le chômage, dans la mesure où les salariés licenciés suite au choc peuvent devenir des chômeurs de longue durée inemployables (Kramarz, 2008). Cette conception fournit un argument supplémentaire aux politiques de stabilisation macroéconomiques.

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Table des matières

Introduction générale
1. Le cadre global de l’économie algérienne
2. Contexte de l’étude : persistance du chômage des jeunes sur fond de crise
3. Problématique et hypothèses de recherche
4. Approche méthodologique
5. Plan de la thèse
Chapitre 1 : Le chômage : des théories aux politiques
Introduction
Section 1 : Le chômage dans les théories du marché du travail
1. Introduction au concept de chômage
1.1. De l’âge du paupérisme à l’invention du chômage
1.2. Du dénombrement des chômeurs à la mesure du chômage
2. Les interprétations traditionnelles du chômage
2.1. Les classiques et l’impossibilité de chômage
2.2. Marx et l’armée industrielle de réserve
2.3. Les néoclassiques et la théorie du chômage volontaire
2.4. Keynes et la première théorie de l’emploi
3. Les interprétations contemporaines du chômage
3.1. Des assouplissements aux dépassements du modèle néoclassique de base
3.1.1. La théorie du job search
3.1.2. La théorie du capital humain
3.1.3. Les modèles de tri
3.2. L’emprunt de l’économie du travail au courant hétérodoxe
3.2.1. Dualisme et segmentation du marché du travail
3.2.2. Négociations et chômage
3.3. Les prolongements du modèle keynésien
3.3.1. Le courant du déséquilibre
3.3.2. Les théories du salaire d’efficience
3.3.3. La théorie des contrats implicites
3.3.4. La théorie insider-outsider et le phénomène d’Hystérèse
3.3.5. Le modèle WS-PS et le chômage d’équilibre
3.4. Les récents apports de l’économie à la compréhension du chômage
3.4.1. Les modèles d’appariement
3.4.2. Les chocs macroéconomiques et les institutions du marché du travail
Section 2 : Les politiques de l’emploi
1. Une construction récente
2. Des politiques variées
2.1. Les politiques de demande de travail
2.1.1. L’allègement du coût de travail
2.1.2. La flexibilisation du marché du travail
2.2. Les politiques d’offre de travail
2.2.1. La restriction des prestations de chômage
2.2.2. L’incitation au retour à l’emploi : la tendance à « l’activation »
2.3. Les politiques mixtes
2.3.1. Les politiques d’appariement
2.3.1.1. L’organisation institutionnelle du marché
2.3.1.2. L’adaptation des qualifications
2.3.2. La « flexicurité » : nouvelle stratégie de réforme du marché du travail
Conclusion
Chapitre 2 : Les jeunes et le chômage : une analyse descriptive
Introduction
Section 1 : Évolution du marché du travail sur la période 2000-2016
1. Caractéristiques du marché du travail algérien
1.1. Une population active en hausse constante
1.2. Une mutation dans la structure de l’emploi
1.3. Une baisse du taux de chômage
2. Insertion des jeunes et inégalités face au chômage
2.1. Les inégalités fondées sur l’âge
2.1.1. Répartition de la population algérienne en fonction de l’âge
2.1.2. Évolution du chômage des jeunes
2.1.3. Durée du chômage et sortie précoce du marché du travail
2.2. Les inégalités fondées sur le niveau de capital humain
2.2.1. Une population jeune de plus en plus scolarisée
2.2.2. Évolution des effectifs inscrits au niveau du SEF
2.2.3. Analyse du chômage des jeunes selon le niveau d’instruction
2.2.4. L’insertion économique des jeunes diplômés
2.3. Les inégalités fondées sur le genre
2.3.1. De faibles taux d’activité féminine
2.3.2. Des taux d’emploi déguisés
2.3.3. Un chômage massif et sélectif dans un contexte de repli général
2.3.4. Des statistiques biaisées
3. Les facteurs déterminants du chômage des jeunes en Algérie
3.1. Les facteurs démographiques
3.2. Les facteurs politico-économiques
3.3. Les facteurs socioculturels
Section 2 : Promotion de l’emploi et lutte contre le chômage des jeunes en Algérie
1. L’action des pouvoirs publics
1.1. Les ébauches d’une politique de l’emploi
1.2. Les dispositifs relevant du Ministère de la Solidarité Nationale et de la Famille
1.2.1. Les dispositifs gérés par l’Agence de Développement Social (ADS)
1.2.2. Les dispositifs gérés par l’Agence Nationale de Gestion du Micro crédit (ANGEM)
1.3. Les dispositifs relevant du Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité Sociale
1.3.1. L’Agence Nationale de l’Emploi (ANEM)
1.3.2. L’Agence Nationale de Soutien à l’Emploi des Jeunes (ANSEJ)
1.3.3. La Caisse Nationale d’Assurance Chômage (CNAC)
1.3.4. Les organismes privés de placement agréés par l’État
1.4. Les autres partenaires intégrant la politique de promotion de l’emploi
1.4.1. Les partenaires du secteur bancaire
1.4.2. Les fonds de garantie
1.4.3. L’encouragement à l’investissement
2. Impact de la politique nationale de l’emploi sur l’évolution du marché du travail
2.1. Réalisations des différents dispositifs
2.1.1. Activité d’intermédiation de l’ANEM et les programmes pour l’emploi des jeunes
2.1.2. Création d’emploi dans le cadre du filet social
2.1.3. Aide à la création de micro-entreprises
2.2. L’effet des dispositifs publics sur la dynamique du chômage en Algérie
2.3. Les limites observées à la mise en œuvre et suivi des dispositifs
Conclusion
Chapitre 3 : Chômage des jeunes et participation des femmes au marché du travail 
Introduction
1. Présentation et sources des données mobilisées
1.1. L’échantillon de chômeurs
1.1.1. Présentation des enquêtes ménages
1.1.2. Précisions d’ordre méthodologique
1.2. L’échantillon de la wilaya de Tizi-Ouzou
2. Caractéristiques et typologie des jeunes chômeurs
2.1. Caractéristiques descriptives de l’échantillon de chômeurs
2.2. Typologie des demandeurs d’emploi enquêtés
2.2.1. L’Analyse des Correspondances Multiples (ACM)
2.2.2. La Classification Ascendante Hiérarchique (CAH)
2.2.3. Confrontation des typologies des jeunes demandeurs d’emploi et des adultes
3. Les déterminants du chômage des jeunes
3.1. Identification des variables et étapes de réalisation de l’étude
3.2. Résultats et interprétations
3.2.1. L’effet « caractéristiques sociodémographiques »
3.2.2. L’effet « capital humain »
4. De la participation des femmes au marché du travail
4.1. Les théories explicatives des inégalités de genre
4.2. Analyse de la décision de participation des femmes au marché du travail
4.2.1. Choix des variables
4.2.2. Résultats et interprétation
4.3. Discussion
Conclusion
Chapitre 4 : La discrimination à l’embauche à l’origine des inégalités de genre sur le marché du travail algérien ?
Introduction
1. Cadre théorique : les théories économiques de la discrimination
1.1. Les premières théories de la discrimination
1.1.1. Le goût pour la discrimination
1.1.2. La discrimination statistique
1.1.3. Les théories de discrimination en concurrence imparfaite
1.2. Le prolongement des versions initiales
1.2.1. Le développement de la théorie de discrimination par le goût
1.2.2. L’élargissement de la théorie de la discrimination statistique
1.3. Les récentes approches de la discrimination
1.3.1. La théorie de la pollution
1.3.2. La multi-discrimination
1.3.3. Discrimination et identité personnelle
1.3.4. Les approches psychologiques et sociologiques
2. Mesure de la discrimination à l’embauche
2.1. L’évaluation par testing
2.2. Limites du testing
2.3. Principaux résultats empiriques
3. L’application d’un testing au marché du travail algérien
3.1. Le protocole expérimental
3.2. Résultats et interprétation
3.2.1. La discrimination à l’embauche à raison du genre
3.2.2. La discrimination conditionnelle
3.3. Une explication alternative aux inégalités de genre
4. Les mesures de lutte contre les inégalités de genre en Algérie
Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie

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