Choix matériel et social d’un territoire de chasse

Contexte

Cadre réglementaire de la chasse

La loi du 26 juillet 2000 relative à la chasse précise dans l’article L.220.3 du code de l’environnement que « constitue un acte de chasse tout acte volontaire lié à la recherche, à la poursuite ou à l’attente du gibier ayant pour but ou pour résultat la capture ou la mort de celui-ci ».
Le gibier peut être défini comme l’ensemble des espèces non domestiques, c’est-à-dire, au sens de l’article R.211-5 du code rural, «n’ayant pas subi de modification par sélection de la part de l’homme et qui par leur nature ont été admises par la tradition comme susceptibles d’actes de chasse». Le droit distingue trois catégories : le gibier sédentaire, le gibier de passage et le gibier d’eau. Toutes les espèces sont protégées, sauf certaines, inscrites sur une liste officielle, qui peuvent être chassées. Un arrêté préfectoral d’ouverture peut limiter cette liste européenne d’espèces chassables pour un département. Les espèces dont la chasse n’est pas autorisée sont, a contrario, considérées comme protégées. Leur protection est renforcée par l’article L.211-1 du code de l’environnement.
Selon l’ONCFS « un mode de chasse se définit comme la manière utilisée pour parvenir à capturer l’animal de chasse ». En France, il existe différents modes de chasse :
• La chasse à courre ou vénerie, ou chasse à cor et à cri
• La fauconnerie
• La chasse à tir (la chasse individuelle devant soi, les autres modes de chasse à tir individuels : chasse à l’approche et à l’affût du grand gibier et la chasse à l’arc)
• La chasse en battue, chasse en groupe (la chasse du petit gibier et la chasse du grand gibier en battue)
• La chasse aux chiens courants
• Les chasses traditionnelles (pratiquées par des spécialistes autorisés possédant des connaissances techniques très approfondies).
Aujourd’hui, le statut légal et réglementaire des espèces animales sauvages résulte de décisions de la Commission européenne, de l’Etat, et du département. Les décisions prises sont éclairées par les comités consultatifs : Conseil national de protection de la nature, Conseil national de la chasse et de la faune sauvage, Conseil départemental de la chasse et de la faune sauvage.
La « loi chasse » de 2012 (n° 2012-325) confie aux chasseurs et aux Fédérations départementales des missions d’intérêt général et de service public. Ainsi, les fédérations départementales ont un rôle en matière de gestion de la biodiversité, mais aussi en matière d’information et d’éducation au développement durable. Cette loi permet aussi au préfet (sur proposition de la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs) d’imposer au propriétaire d’un territoire non chassé un prélèvement déterminé d’animaux causant des « dégâts de gibier ». Celui-ci « peut voir sa responsabilité financière engagée pour la prise en charge de tout ou partie des frais liés à l’indemnisation mentionnée à l’article L. 426-1 et la prévention des dégâts de gibier mentionnée à l’article L. 421-5. »
Les fédérations départementales, en concertation avec les chambres d’agriculture, les représentants de la propriété privée rurale et les représentants des intérêts forestiers, mettent en place un schéma départemental de gestion cynégétique, pour une période de six ans. Ce schéma départemental fixe les dispositions relatives à l’équilibre agro-sylvo-cynégétique et comprend :

Les plans de chasse et les plans de gestion

Un plan de chasse est proposé par les fédérations, il consiste à attribuer pour un territoire donné, un quota minimum et maximum d’animaux à prélever. Toutes les espèces ne sont pas soumises à un plan de chasse. Celles qui ne le sont pas sont soumises à un plan de gestion.
Les actions pour améliorer la pratique de la chasse, telles que la régulation des animaux prédateurs, les lâchers de gibier ou la fixation des prélèvements maximum autorisés.
Un Prélèvement Maximal Autorisé (PMA) est fixé, soit par le Ministre chargé de la chasse, soit par le Préfet après avis des Fédérations de Chasseurs et de l’ONCFS. Il a pour but de désigner un nombre maximal d’animaux à prélever par chasseur, pour une période déterminée et sur un territoire donné. Tout chasseur qui souhaite prélever une espèce soumise au PMA doit tenir à jour ce que l’on appelle un « Carnet de Prélèvement Universel » (CPU) fourni par la Fédération, qu’il devra ensuite lui retourner à la fin de la campagne de chasse. De la même façon, chaque animal prélevé doit être muni d’un dispositif de marquage. Grâce à ces éléments, l’ONCFS publie un bilan des prélèvements en fin de saison de chasse.
Les indemnisations des dégâts occasionnés aux agriculteurs par le grand gibier est à la charge des fédérations départementales de chasse. En effet, depuis la « loi de finances » de décembre 1968, les agriculteurs et forestiers ont renoncé au droit de défendre leurs cultures contre la faune en échange d’une indemnité dont la responsabilité financière incombe aux fédérations de chasseurs.
Les mesures relatives à la sécurité des chasseurs et des non-chasseurs.
Les fédérations départementales doivent notamment dispenser les formations au permis de chasser. Ces formations obligatoires comportent une partie pratique et une partie théorique.
Ces deux formations sont soumises à examen, sous l’autorité du Ministère de l’Écologie et du Développement Durable via des agents de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS).

Les dispositions permettant d’atteindre l’équilibre agro-sylvo-cynégétique

Organisation de la chasse en Isère

Le département de l’Isère est soumis à la loi Verdeille (loi du 10 juillet 1964), qui instaure des Associations Communales de Chasse Agréées (ACCA) ou des Associations Intercommunales de Chasse Agréées (qui sont de même nature), pour faciliter le regroupement et la gestion des territoires.
Les ACCA délimitent un territoire de chasse. Elles regroupent par principe la totalité des territoires de la commune (sur les territoires communaux situés à plus de 150 mètres des habitations). Chaque ACCA doit mettre 10% de son territoire en « réserve de chasse », c’est à dire que tout acte de chasse y est interdit afin de préserver le développement de la faune sauvage.
Chacune des ACCA doit être adhérente à la Fédération des chasseurs de son département. Les décisions (soumises à l’autorité du préfet) sont prises à la majorité en assemblée générale. Un conseil d’administration est responsable de sa gestion et est renouvelé tous les deux ans. Sont membres des ACCA des chasseurs ou non chasseurs :
• domiciliés ou résidents dans la commune
• propriétaires de terrains dans la commune
• locataires de terrains agricoles dans la commune
• apporteurs de terrains, même s’ils ne chassent pas
• extérieurs à la commune (10%)
Tous les membres de l’ACCA doivent payer une cotisation dont le montant varie en fonction de la catégorie à laquelle ils appartiennent et de l’ACCA : propriétaire, résident, possesseur de résidence secondaire et étranger (ces derniers payant la cotisation la plus élevée).
Les ACCA ont en effet l’obligation d’accepter au minimum 10 % de membres extérieurs à la commune (du nombre total des membres de l’ACCA). Ce statut a donc été créé afin de permettre la chasse du plus grand nombre, et notamment pour les chasseurs citadins qui éprouvent des difficultés pour trouver une place dans une ACCA. Les chasseurs qui souhaitent entrer en tant que membre extérieur dans une ACCA, doivent faire une demande écrite qui sera examinée par le bureau de l’ACCA.
En Isère, la fédération propose la « bourse aux territoires ». L’objectif est de mettre en relation les ACCA qui souhaitent accueillir des chasseurs étrangers avec les chasseurs qui n’ont pas de territoires de chasse ou qui sont issus de territoires restreints ou dégradés.
Jusqu’en 2000, la loi Verdeille obligeait les propriétaires de terrains de moins de 20 hectares à y adhérer et permettait ainsi que l’on puisse y pratiquer la chasse. Cependant, depuis la condamnation de ce principe par la Cour européenne des droits de l’homme, un particulier peut refuser la pratique de la chasse sur son territoire quelle qu’en soit sa superficie.
Ce sont les ACCA qui délivrent, aux chasseurs détenteur du permis, une carte de chasse leur permettant d’exercer leur activité sur le territoire.

Etat de l’art de la chasse en France

La pratique de la chasse a subit des modifications en terme de réglementation, de mission et donc d’image. Après la vision romantique de la chasse, qui voit la pratique comme un échange, un don entre l’Homme et l’animal, ou sous la métaphore amoureuse (Bernardina, 1995), le chasseur devient un gestionnaire. La chasse doit alors favoriser le maintien et la reproduction du gibier, mais aussi le repeuplement (production). On passe ainsi à ce que Traïni (2004) appelle la « chasse-gestion » dans les années 60-70. La pratique de la chasse devient une « rationalisation de la production du gibier ». Les chasseurs se revendiquent alors comme des « protecteurs de la nature », mais aussi comme des « aménagistes du territoire » (Traïni, 2004, p44). Pour Traïni (2004), ces arguments de gestion servent à justifier l’appropriation du territoire par les chasseurs face aux controverses liées à la pratique. Pour Fabiani (1982), les justifications de gestion permettraient aux chasseurs de pouvoir continuer leur pratique sans trop de contraintes car ils savent que leur situation est précaire. Elles permettent ainsi « d’apparaître comme irréprochable sous le rapport du respect de la nature et de la compétence de la gestion» (Fabiani, 1982, p316).
La création des ACCA va permettre d’ouvrir la pratique de la chasse à une population diverse, mais le nombre de chasseur est en diminution constante depuis 1975. Il est passée de 10,7% en 1983 à 6,4 % en 1998/99 selon les données de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage. Si on constate une forte baisse du nombre de chasseur à partir de 1952, il s’ensuit une hausse dans la période de 1957 à 1976. On passe alors d’environ 1 550 000 à 2 225 000 chasseurs (Scherrer, 2002). Pour Chamboredon (1982), l’accroissement du nombre de chasseur durant cette période est du à la diversification des pratiquants dans la population rurale. Il constate que la répartition géographique des chasseurs ne correspond pas à la répartition de la population rurale. Ainsi selon lui, de nombreux « ruraux » doivent migrer (« dé-ruralisation »), mais ces derniers continuent de chasser, alors la pratique « permettrait de garder un lien avec la commune et le territoire rural d’origine » (Chamboredon 1982, p241). De plus, la diversification des pratiquants dans la population rurale permet aussi de comprendre l’augmentation du nombre de chasseur. Les retraités, ouvriers et employés seraient de nouveaux pratiquants de la chasse et les paysans ne seraient alors plus majoritaires dans le groupe des chasseurs. Fabiani (1982) constate aussi une diversification de la population rurale (diminution de la population active employée dans l’agriculture, augmentation du nombre d’ouvriers etc.) qui participerait à la transformation de la pratique de la chasse. La création des ACCA à partir de 1964 serait une raison à la diversification des pratiquants. Elle aurait permis de limiter le monopole de la chasse aux agriculteurs/paysans propriétaires et permettrait aux « chasseurs ruraux non propriétaires de disposer d’un instrument de pression sur les propriétaires locaux» (Fabiani,1982, p312). Néanmoins, si aujourd’hui plus de la moitié des chasseurs sont des inactifs (29,5 %) et des ouvriers (26,1 %), « les agriculteurs conservent un lien fort avec la chasse puisqu’un agriculteur de 16 ans ou plus sur quatre chasse » (Rapport Scherrer, 2002). Ainsi, si on relativise avec l’importance des catégories professionnelles dans la population française, les agriculteurs restent proportionnellement plus chasseurs que le reste des catégories professionnelles (12,1 % des chasseurs).
En 2001 on comptait 1 384 000 chasseurs. On parle alors de « crise » de la chasse car la population en plus de diminuer, vieillit : la moyenne d’âge des chasseurs dépasse aujourd’hui 50 ans (rapport Scherrer, 2002). De plus cette pratique n’attire plus : « la perception de la chasse dans la société fait l’objet de positionnements en voie de durcissement des extrêmes sur les quinze dernières années malgré l’évolution générale positive de la majorité » (Rapport Scherrer, 2002). En effet, même si l’on constate que l’image de la chasse s’améliore depuis 1989, elle garde un image négative chez les femmes et les jeunes. Un sondage BVA de 2002, réalisé auprès d’un échantillon national composé de 987 hommes et femmes âgés de 18 ans et plus, montre que les femmes et les jeunes ont une image défavorable de cette pratique à 53% et 52% respectivement, contre 40 % chez 8 les hommes. Chamboredon relève deux critiques externes au monde de la chasse : la première serait une condamnation morale (« bellicisme, sadisme ») et la seconde rationnelle (« valeur esthétique et scientifique du «capital» naturel ») qui renvoie à l’apparition de « 1’« écologie» comme «science» du milieu naturel, des rapports avec ce milieu et, par extension, fondement de règles de conduite et d’une morale » (Chamboredon, 1982, p247). Traïni (2004) constate aussi que la pratique de la chasse serait remise en cause par « une opinion publique » due à une « divergence des représentations de la « Nature» (Traini, 2004, p47).
Le rapport Scherrer (2002) analyse une mauvaise image de la chasse dans l’opinion publique par un manque de communication : « Les chasseurs appréciant peu les journalistes ; ils en venaient à commettre de graves erreurs». Ce n’est que très récemment que la communication en faveur de la pratique de la chasse s’est développée, avec par exemple la campagne de 2002, organisée par l’Union nationale des chasseurs, axée sur le slogan « la chasse c’est naturel». De plus, avec la loi Chasse de 2000, un « code du bon comportement du chasseur et des bonnes pratiques cynégétiques » est établit par chaque fédération départementale afin de valoriser les principes d’un développement durable de la chasse et sa contribution à la conservation de la biodiversité.
Les jeunes ne seraient plus attirés par cette pratique. Selon le rapport Scherrer ce phénomène serait probablement lié « avec le temps libre disponible, l’aisance financière, le caractère traditionnel/versus moderne de l’activité» (Scherrer, 2002, p75). On compte en 2002 environ 100 000 chasseurs de moins de 25 ans (Scherrer, 2002). Une étude sur les nouveaux chasseurs réalisée par CSA en 2004 pour la Fédération Nationale des Chasseurs, montre que 39% des nouveaux chasseurs ont moins de 18 ans, que 42% sont ouvriers et que « l’entourage et la tradition familiale à hauteur de 65% sont les facteurs qui ont contribué à leur décision de devenir chasseur ». Leurs principales motivations mettent en avant le contact avec la nature, la convivialité, l’entretien des territoires avant la recherche du gibier. L’enquête Nomadisme de 2006 portant sur des anciens chasseurs qui revalident leur permis de chasse après au moins trois années d’interruption et des nouveaux chasseurs (qui viennent de réussir l’examen du permis de chasser et qui valident) de Charente Maritime et de Gironde montre que les principales raisons qu’ils invoquent pour chasser « mieux ou davantage » sont : le temps libre, le gibier, le territoire. La relation avec un proche chasseur ou l’aide de la fédération pour la recherche d’un territoire est largement sollicitée, surtout pour les nouveaux chasseurs. La chasse serait pour les nouveaux chasseurs un « loisir de proximité », 72% d’entre eux font moins de 20 km pour se rendre sur leur territoire de chasse, exceptés les chasseurs d’Île de France (enquête CSA, 2004). Plus d’un tiers des chasseurs ont plus de deux territoires selon l’enquête Nomadisme (2006), les nouveaux de Gironde se distinguant par une forte majorité à plus de deux territoires. L’enquête conclue que même pour deux départements voisins, il peut y avoir des différences « probablement en relation avec des politiques fédérales, les modes de chasse pratiqués et des contextes démographiques et urbains différents» (Nomadisme, 2006). L’enquête CSA de 2004, montre que la dépense moyenne d’un nouveau chasseur s’élève à 1 300 euros et 50% du budget serait consacré à l’achat de l’arme. Selon l’enquête BIPE de 2015 portant sur l’impact économique et social de la chasse en France, les grands postes de dépense liés à la pratique de la chasse sont tout d’abord l’entretien des auxiliaires (chiens, appelant..) à 61%, suit la validation du permis de chasser (18%), ensuite les munitions, l’entretien et les autres accessoires pour l’arme (16%), enfin, l’achat de revues cynégétique, de livres et les assurances à 3% et 2% respectivement.

Outils théoriques mobilisés

L’apport de la géographie culturelle permet tout d’abord de comprendre les différentes dimensions que revêt le territoire.
Il est tout d’abord une structure physique, géographique et matérielle. En effet toute société produit un territoire, le construit, créant ainsi « des pays », « des pôles », « des voix de communications », « des zones industrielles », « des flux » etc. Ce découpage permet le contrôle et l’organisation de ces espaces afin de répondre à certains besoins, et traduit des choix ou des processus plus ou moins voulus, plus ou moins anticipés. Sous cette dimension le territoire peut être appréhender en tant qu’actant non-humain, au sens de Bruno Latour (2005). Pour cet auteur un actant a la faculté d’avoir un poids dans le déroulement de l’action, sur les comportements, d’exercer une action. Pour Bruno Latour (2005) un actant peut être une personne, mais aussi un dieu, un objet, une règle etc. Le territoire, dans sa dimension physique, réglementaire et organisationnelle, mais aussi en terme de ressources (paysagères, de gibier) sera alors appréhendé comme actant nonhumain dans le sens où il intervient comme une entité agissante sur le chasseur.
Appropriation politique, économique, idéologique, le territoire revêt aussi une dimension sociale. En effet, selon Halbwachs (1938), « tout se passe comme si la pensée d’un groupe ne pouvait naître, survivre, et devenir consciente d’elle-même sans s’appuyer sur certaines formes visibles de l’espace». Bonnemaison (1981), différencie l’espace du territoire par la dimension culturelle, selon lui l’espace commence là où le territoire se termine. L’espace est uniforme, il est peu ou pas appréhendé, connu. Le territoire quant à lui, est vécu. Il existe une relation subjective entre lui et les individus ou les groupes qui l’appréhendent. Par l’aspect social du territoire, on peut parler de territorialité. La territorialité est l’expression d’un comportement vécu. Elle se comprend par la relation sociale et culturelle qu’entretient un groupe avec un territoire et non par une référence physique à des frontières par exemple. La territorialité se conçoit comme un noyau c’est à dire « un centre beaucoup plus qu’une clôture, et un type de relation affective et culturelle à une terre » (Bonnemaison, 1981, p254).
Par sa dimension sociale, le territoire peut être créateur de liens ou au contraire d’altérité, par l’importance qu’il tient dans le « sentiment d’appartenance ». La pratique d’un territoire va donc être influencé par les représentations et inversement, les représentations vont influencer les pratiques : « Les représentations et les pratiques s’engendrent mutuellement, c’est un système, il serait vain de chercher à savoir si c’est la pratiques qui produit la représentation ou l’inverse. » (Abric, 2011).
Cette dimension sociale du territoire va donc permettre d’appréhender les processus d’intégration, de relation avec un territoire donné et avec les êtres qui l’habitent. Le concept d’épreuve développé notamment par Boltanski et Thévenot semble alors interessant : « L’épreuve conduit les personnes à s’accorder sur l’importance relative des être qui se trouve engagés dans la situation, aussi bien sur l’utilité relative de deux machines ou de deux investissements que sur les mérites respectifs de deux élèves, sur la compétence de deux cadres ou encore sur les marques de respect que doivent l’un à l’autre deux notables locaux » (Boltanski et Thévenot, 1991). Ce concept sous-tend l’idée d’un acteur capable d’ajuster ses actions, ses discours aux situations et donc d’avoir une prise sur la réalité.
Malgré la liberté dont il dispose, l’acteur doit tenir compte des contraintes de la situation. Le concept d’épreuve va alors permettre d’analyser les mises à l’épreuve auxquelles est confronté un chasseur arrivant sur un territoire, c’est à dire les compétences qu’il doit mobiliser pour entrer, chasser, être intégré sur un territoire de chasse etc.
Le territoire est aussi vécu (Frémont, 1976), il est en effet fréquenté. Les individus en ont une expérience concrète : des usages, des idées, des souvenirs etc. « les rapports spatiaux épousent un espace social vécu à sa manière par chaque individu » (Di Méo, 1998, p107). Nous l’avons vu, le territoire est porteur des codes culturels, idéologiques, des valeurs propres aux groupes qui l’habitent. Cependant, même si ces représentations lui donnent un sens, elles ne sont pas universelles. Il n’est en effet, pas perçu, représenté, utilisé de façon univoque, car chaque individu peut l’interpréter à sa façon et en avoir une expérience différente. Le territoire vécu est alors l’ensemble des lieux fréquentés par l’individu (résidence, espace de loisir, cadre de travail etc.), mais aussi l’imaginaire que sous-tend pour chaque personnes les pays, les lieux etc. forgé sur des idées, des rêves, des informations… Dans cette dimension, le territoire va alors être appréhendé par le vécu propre, individuel de chaque acteur à son territoire physique et social. Même s’il semble important de différencier les différentes dimensions que revêt le territoire, il est indispensable de prendre en compte la superposition, le chevauchement de ces différentes dimensions. En effet, ces différents aspects (physique, social, individuel), sont interconnectés, l’un n’est pas construit sans les autres. La sociologie pragmatique permet alors de mettre en évidence cela, puisqu’elle n’oppose pas les faits d’ordres macrosociologiques et microsociologiques, les effets de structures (macrosocial) s’accomplissent dans la réalité sociale des acteurs (microsocial).
Cette perspective sociologique permettra d’entrer par les expériences pratiques des acteurs, mais aussi de comprendre la dimension normative des actions. Il va alors s’agir d’analyser la construction pratiques, des relations aux autres, aux objets, aux normes, aux institutions etc..
Chaque acteur n’est pas doté des mêmes équipements cognitifs et sensoriels et développe des prises particulières à partir des expériences pratiques. En effet, les personnes disposent de capacités qui leur permettent d’exercer leurs jugements, coordonner leurs actions pour pouvoir s’ajuster aux situations ou mener des opérations de justification ou de critique. Ces opérations vont
être différentes en fonction du ou des mondes dans lesquels les personnes se trouvent. Selon Boltanski et Thévenot (1991), les sociétés complexes relèvent de plusieurs mondes, elles sont pluralistes, c’est à dire qu’il existe une diversité de valeurs ou « ordres de généralité », parfois incompatibles, mais aucun n’étant supérieur à l’autre. Les auteurs ont construit un modèle idéaltypique des mondes et des cités en vue de dégager la pluralité des biens communs, des « généralités » qui permettent aux personnes de s’accorder entre elles et de coordonner leurs actions de manière légitime dans la société. Boltanski et Thévenot ont construit ce modèle à partir d’oeuvres classiques de philosophie politique dont les auteurs (Rousseau, Smith, Saint-Simon, Bossuet, Saint Augustin, Hobbes, Weber) auraient participé à la fondation d’un ordre du juste. Ce modèle est donc construit selon deux volets complémentaires : les cités et les mondes. Les cités sont les justifications auxquelles les acteurs font référence et qui permettent d’expliciter, clarifier, faire valoir leur point de vue pour le rendre acceptable par autrui. Le second volet est celui des mondes, qui est le déploiement concret de ces ordres de grandeur, c’est à dire l’ajustement en situation. A chaque monde correspond une cité et vice versa. Chacun des « mondes » ou « cités » est donc un système cohérent qui a son univers propre d’argumentation et de justification, mais aussi de compétences spécifiques que les personnes mobilisent. Chaque monde ou cité est donc constitué de différents éléments qui lui sont propre et qui forment une sorte de « grammaire », c’est à dire, un ensemble de règles pour agir dans ce monde:
• un principe supérieur commun : la valeur ultime mobilisée
• un ordre de grandeur : état des personnes et des choses. Dans chaque monde sont en présence des « grands » et des « petits ». Est « grand » dans un monde, l’être qui incarne le principe supérieur commun, est « petit », au contraire celui qui s’en éloigne.
• la capacité des personnes : chaque personne à la capacité de participer au bien commun, de s’ajuster à la situation et ainsi de changer d’état.
• le prix à payer : Ce principe explique le fait qu’il y ait des différences d’états entre les êtres : des « grands » et des « petits ». La formule d’investissement suppose alors que l’accès à l’état de grand exige un coût, un sacrifice.
• des objets : chaque monde est constitué d’actants non-humains qui lui sont propre.
• des épreuves : moment d’incertitude au cours duquel se révèlent les « forces » en présence.
La mise à l’épreuve peut aboutir à la redéfinition de l’état d’une personne ou d’une chose. Boltanski et Thévenot (1991) distinguent ainsi, sept mondes et cités fondés sur des principes d’équivalence différents : inspiration, domestique, opinion, civique, marchand, industriel et connexionniste.
L’intérêt de ce modèle est d’insister sur l’incertitude dans laquelle les acteurs sont continuellement, à des degrés divers selon les situations, mais aussi de mettre en évidence leurs capacités à s’ajuster aux situations en fonction des mondes dans lesquels ils sont, c’est à dire une capacité du « général », qui permet de dépasser les particularismes pour s’accorder sur des formes de généralités. Néanmoins, ces capacités sont relatives aux situations et aux dispositifs qui agissent comme des contraintes, mais aussi relative à la singularité de chaque personne. Ainsi, Boltanski dans La condition foetale (2004), reconnaît l’existence d’une « identité personnelle fixe » qui suit les actants à travers leurs passages dans différents mondes et dans la redéfinition de leurs états. La sociologie pragmatique envisage l’identité personnelle en distinguant la personne, de l’étatpersonne.
Chaque individu est un être multiple qui peut changer d’état (de « grandeur ») à l’épreuve de la situation. Cependant, certaines propriétés rigides permettent d’identifier la personne en propre, sans qu’il soit possible de la confondre avec une autre, quand elles passent d’un monde à l’autre. Ces « désignateurs rigides » sont le produit, à la fois de processus de singularisation et de catégorisation, qui permettent de caractériser l’identité dont dispose un individu, à l’instar des noms propres ou de l’exploitation par exemple. En effet, dans Le nouvel esprit du capitalisme, Boltanski et Chiapello (1999) considèrent que l’exploitation peut être irréversible « dans la mesure où elle implique de traiter les personnes dans le monde industriel d’une façon si mutilante que la possibilité d’accéder à la grandeur dans un autre monde ne leur soit plus donnée » (Nachi, 2006). Il existerait donc une identité personnelle fixe dont il est possible de rendre compte par une analyse de ce qui demeure, se maintient dans le passage d’un monde à l’autre mais aussi en tenant compte de la temporalité.
Ainsi, faire une enquête sur le passé (d’une société, d’un groupe, d’un individu) permet d’analyser, à travers les pratiques, comment cet héritage intervient dans le présent ou au contraire n’est plus activé. On parle alors d’analyse généalogique. Elle permet au chercheur de « rapporter le comportement observable d’un acteur à ses comportements passés, pour souligner comment – c’est-à-dire à travers quelles séries d’épreuves et quels dispositifs – les tendances ou les habitudes que cet acteur manifeste maintenant ont été développées chez lui précédemment. » (Barthe et al, 2013, p193).

On peut alors se demander quels sens donnent les nouveaux chasseurs à leur pratiques ?

Quelles justifications emploient-ils?

Quelles sont les justifications à leur choix de territoire de chasse? S’agit-il d’un lien particulier avec lui ou les autres usagers qui le pratique, ou le considèrent-ils comme un simple support à leur loisir ? Si les nouveaux chasseurs ont un lien particulier avec leur territoire de chasse, ce lien vient-il du fait qu’ils l’habitent, le vive au quotidien, le pratique souvent, dans la durée?
Est ce que le fait de vivre ce territoire, de le pratiquer souvent, de le connaître, d’y être attaché participe à la définition des états de grandeur.
Quelles sont les épreuves que les nouveaux chasseurs traversent en entrant sur un territoire ?

Problématisation

Afin d’appréhender la question initiale du stage, nous nous sommes intéressés à la notion de territoire et notamment à la différenciation et la délimitation du « rural » et de l’ « urbain ». Laurent Rieutort (2012) montre, qu’aujourd’hui les territoires sont en voie de mutations rapides et que l’opposition ville/campagne tend de plus en plus à s’atténuer, même si des écarts demeurent en termes d’accès aux services par exemple. L’auteur prend l’exemple de l’apparition et du développement de plus en plus important du péri urbain ou « tiers espace ». Ce « tiers espace » serait un « lieu d’interface, de transition, à la fois urbains dans leur fonctionnement (emplois, modes de vie) et ruraux par leur « paysage » (place des usages agricoles) et par les perceptions de leurs habitants qui considèrent qu’ils vivent dans le rural». Le rural et l’urbain sont étroitement imbriqués et interdépendants. Les chercheurs montrent « la pénétration des influences urbaines dans le monde rural (la ville est alors créatrice de campagnes) et parfois la persistance du rural dans la ville (dans les pratiques agricoles comme dans les constructions sociales) » (Rieutort, 2012, p6). En France, l’INSEE utilise désormais un zonage en aires urbaines établie sur des dynamiques liées à l’emploi : il parle « d’aire urbaine » pour parler d’un ensemble de communes constitué par un pôle urbain de plus de 10 000 emplois et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle.
Ce découpage traduit une vision du territoire comme une entité matérielle produisant des flux de mobilité, de valeur. Ce choix de délimitation des territoires reste surtout un outil pour les politiques d’aménagement du territoire plus qu’il ne révèle les véritables caractéristiques de ces espaces. En revanche il permet d’avoir une vision moins binaire ville/campagne du territoire. Ces références m’ont permis de questionner la dimension dichotomique de mon stage entre des chasseurs « ruraux » et « urbains » et de concevoir une méthodologie adaptée en intégrant la dimension de tiers-espace pour mes choix de terrains.
Dès 1982 Chamboredon faisait déjà l’hypothèse d’un « continuum rural/urbain » (Chamboredon, 1982, p234) qui participe au changement des relations entre la campagne et la ville et aux « conditions d’insertion de la chasse parmi les différents usages de l’espace naturel». Selon lui, malgré « l’émigration rurale », (émigration de travail), il remarque une certaine «inertie des appartenances maintenues » (participation politique, entretien d’un réseau de relations etc.) qu’il explique par une distance faible entre le lieu de provenance et le lieu d’émigration. Pour Chamboredon « c’est donc l’expérience d’une double scène sociale qui se généralise, la scène urbaine, lieu de travail et d’acquisition, la scène villageoise, lieu des appartenances symboliques et des affirmations statutaires » (Chamboredon, 1982, p241).
Cela nous amène donc à nous demander si aujourd’hui les chasseurs qualifiés « d’urbains » sont toujours dans ce processus de mobilité professionnelle de faible distance avec un attachement et un retour fréquent au lieu de provenance notamment pour la pratique de la chasse. Bernard Picon (1991) analyse que même si la pratique de la chasse se dissocie de l’agriculture par la diversification de ses participants, elle revêt toujours « les caractéristiques d’un imaginaire lié à la ruralité et le paysan est toujours la référence» (Picon, 1991, p98). Ainsi on peut se demander si l’attrait pour la chasse pour un chasseur vivant en ville découle d’un phénomène de «renaissance rurale» ? Laurent Rieutort (2012), analyse qu’à partir des années 80, un certain retour au rural se produit, le rural « conserve certaines spécificités par les représentations qu’il suscite et notamment grâce aux rapports particuliers qu’il entretient avec l’environnement et la « nature» (Rieutort, 2012, p5). Le rural devient alors un objet à protéger ou à mettre en valeur et qui touche toute la société « globale».
Ainsi on peut se demander si la pratique de la chasse pour un chasseur citadin vient de cette « attractivité rurale » ?
Selon Traini (2004), le territoire de chasse est perçu par les chasseurs comme un patrimoine à préserver en lien avec le patrimoine familial, ainsi « la chasse se présente surtout comme le fruit d’une initiation précoce le plus souvent orchestrée par le père ou le grand-père » (Traini, 2004, p45). Par cette relations familiale, la pratique de la chasse est vue comme un héritage et le territoire est alors doté d’une charge affective car il est le lieu où se transmet cette tradition « À travers leurs gestes, leurs codes, et leurs rites, les chasseurs se glorifient de perpétuer « une culture », des « racines », bref ,pour le dire en termes wéberiens, des « coutumes sanctionnées par leur validité immémoriale et par l’habitude enracinée en l’homme de les respecter » [Weber, 1979 : 102]» (Traini, 2004, p46). On remarque qu’en 1983, très peu de chasseur n’ont aucun lien avec leur territoire de chasse.
Pour Fabiani (1982), l’attachement au territoire de chasse apparaît comme atténué par le fait que « la chasse tend à devenir une activité parmi d’autres dans la constellation des loisirs » avec le passage « du bois comme lieu de production » à un « lieu de récréation » (Fabiani, 1982, p315). Le territoire est alors vu comme un lieu où on pratique un loisir, que l’on pourrait pratiquer sur n’importe quel autre territoire. D’ailleurs Fabiani remarque que « les chasseurs, naguère strictement locaux, ne se limitent plus, dès qu’ils en ont la possibilité, au territoire de la commune» (Fabiani, 1982, p315).
Il va alors s’agir de questionner le lien au territoire de chasse des nouveaux chasseurs aujourd’hui. Quelles sont les justifications des nouveaux chasseurs quant à leur choix de territoire ? S’agit-il d’un lien particulier avec lui, du fait qu’ils l’habitent, d’un attachement familial, d’un « vécu » personnel? Est ce que dans ce cas là, le territoire peut être considéré comme une « propriété rigide » au sens de Boltanski ? Ou alors, considèrent-ils leur territoire de chasse comme un simple support à leur loisir en terme de ressources de gibier par exemple ?
Il semble aussi important de prendre en compte l’organisation de la chasse et ses conditions d’accès et d’exercice qui semblent être des dimensions importantes pour comprendre les relations qu’entretient un chasseur avec son territoire et avec les autres chasseurs. En 1982, Chamboredon (1982) évoque la création des ACCA et les statuts de « résident », « propriétaire » ou « étranger » qui y sont associés. La politique à l’égard de ces différents statuts est différente. Les étrangers qui « ne répondent ni au critère de propriété, ni au critère de naissance, ni au critère de parenté proche avec un habitant » doivent alors subir des mises à l’épreuve pour être accepté (invitations journalières pendant une ou deux saisons par exemple). Le fait d’être résident ne garantit pas non plus une bonne intégration : « la propriété n’est pas par soi-seule un critère, elle doit être qualifiée par l’appartenance locale ou la résidence durable […] il y a une différence entre le principe de propriété et le principe d’appartenance locale : celle-ci est conférée par la naissance (les «natifs» sont membres actifs de la société), ou gagnée par la résidence prolongée, assortie sans doute d’un processus et d’un travail d’intégration» (Chamboredon, 1982, p239).
Il semble alors intéressant d’analyser si aujourd’hui encore il existe des mises à l’épreuve semblables à celles évoquées par Chamboredon en 1982. Est ce qu’un chasseur qui réside sur le territoire où il chasse va être désigné comme plus « grand » qu’un chasseur qui n’y vit pas ?
Il va alors s’agir de comprendre dans quelles mesures les pratiques et les motivations des nouveaux chasseurs de l’Isère vont être différentes en fonction de leurs liens aux territoires.
Nous faisons alors l’hypothèse que le phénomène de « renaissance rurale » participe à l’attrait de la pratique pour des chasseurs urbains. Nous pouvons aussi supposer qu’un chasseur résident en ville choisis son territoire en fonction de son lieu de provenance familiale et qu’il existe ainsi une certaine «inertie des appartenances maintenues ». Nous pouvons ensuite faire l’hypothèse qu’un chasseur qui a un lien a son territoire de chasse particulier comme un attachement familial ou qui y vit depuis longtemps sera plus facilement intégré et subira moins de mise à l’épreuve qu’un chasseur qui a un statut d’« étranger ».

Méthodologie

Par « nouveaux chasseurs » nous entendons ceux qui ont passé et validé leurs permis de chasse au plus tard en 2011. Nous avons pensé qu’il était intéressant de se référer à la commune de résidence de ces nouveaux chasseurs, afin de construire notre échantillonnage. Se référer à la commune de résidence permet en effet, de comprendre les processus d’accès à un territoire. Pour cela, nous avons préféré un gradient de l’urbain au rural, qui nous paraissait plus pertinent que la distinction dichotomique urbain/rural, de l’intitulé du stage. Nous avons donc décidé de nous baser sur une carte de l’Isère relevant du zonage en aires urbaines de l’INSEE (établi sur des dynamiques liées à l’emploi). Nous avons fait ce choix afin d’avoir un support de base pour sélectionner les communes de résidences. Nous avons ensuite réalisé un croisement de données entre les différents zonages en aires urbaines, la topographie des territoires (plaine/montagne), la superficie chassable sur les communes et le nombre de nouveaux chasseurs par commune. Nous avons alors dégager des communes avec différentes caractéristiques.
Nous avons alors choisi trois types de terrains :
• Deux communes limitrophes appartenant à « un grand pôle » : Grenoble et St Martin d’Heres. La commune de St Martin d’Hères a une petite superficie chassable (100 hectares) et Grenoble n’en a pas. Néanmoins ces communes sont celles où résident le plus de nouveaux chasseurs.
• Deux communes limitrophes appartenant à la « couronne d’un grand pôle » : Bourgoin- Jallieu et St Savin. Ces communes étaient, il y a encore 50 ans, considérées comme rurales.
Elles ont les caractéristiques d’être des communes de plaine, avec une superficie chassable qui se rétrécie de plus en plus, à cause de l’urbanisation.
• Deux communes limitrophes appartenant au zonage « commune isolée hors influence des pôles » : Le bourg d’Oisans et Allemond. Ces deux communes sont des communes rurales de montagne. Elles ont une grande superficie chassable mais peu de chasseurs y résident.
Nous avons choisis deux types d’acteurs à enquêter :
• Les nouveaux chasseurs pour comprendre leurs pratiques, leurs motivations et leurs liens aux territoires.
• Les présidents des Associations Communales de Chasse Agréée de ces communes afin de comprendre les évolutions des territoires dans leurs dimensions matérielles (faune, poids de l’agriculture etc.), dans leurs dimensions sociales avec le poids de l’ACCA sur la commune par exemple. Mais aussi pour comprendre, s’il y en a eu, les évolutions des pratiques de chasse.
Pour ces deux types d’acteurs, nous avons choisi deux méthodologies de passations d’entretiens différentes.
Nous avons fait le choix de l’entretien par récit de vie et plus particulièrement le récit de pratiques pour les nouveaux chasseurs. Dans cette forme d’entretien, le chercheur demande à l’enquêté de lui raconter une partie de son expérience vécue. Cette méthode met en évidence l’enchaînement des situations vécues et des pratiques des acteurs qui permettra de comprendre par quels processus un individu en vient à chasser. Le récit de pratiques va alors permettre de rendre compte de l’action qui se déploie dans le temps et de son articulation avec l’expérience vécue et permettra à terme, de passer du particulier au général, pour mieux rendre compte de phénomènes sociaux plus globaux (Bertaux, 2010). La méthode pour réaliser des entretiens par récit de vie est alors de ne pas construire de guide thématique, mais d’avoir une courte liste de thèmes à aborder si l’enquêté de les aborde pas naturellement.
Pour les entretiens avec les présidents d’ACCA, nous avons réalisé des entretiens semidirectifs.
Le guide d’entretiens s’articulait autour de trois grands thèmes : la pratique personnelle, l’évolution de l’ACCA depuis qu’il y chasse et l’évolution de la chasse en Isère. Nous avons réalisé trois observations. Deux observations à la formation pratique au permis de chasser et une observation à la formation théorique.
Nous avons réalisé au total cinq entretiens avec les présidents des ACCA sélectionnées, sachant qu’il n’y a pas d’ACCA à Grenoble et que le président des communes d’Allemont et du Bourg d’Oisans est la même personne. Après la passation des entretiens des six chasseurs citadins, on a pu constater que trois d’entre eux chassaient sur la même commune, celle de Chateau-Bernard. Nous avons donc décidé de faire aussi passer un entretien au président de cette ACCA. Nous avons aussi réalisé 17 entretiens avec des nouveaux chasseurs résidant sur les communes sélectionnées : 6 nouveaux chasseurs résidant dans les communes appartenant à la catégorie « grand pôle », 6 nouveaux chasseurs résidant sur les communes « couronne d’un grand pôle » et 5 nouveaux chasseurs résidant en « communes isolées hors influence des pôles ».

L’entrée dans la pratique

Dans cette partie nous allons voir par quels processus un individu entre dans la pratique de la chasse et quels sont les freins à cette entrée. Enfin, nous verrons quelles sont les justifications des nouveaux chasseurs isérois, que nous analyserons comme leurs motivations à chasser.

La connaissance d’un chasseur

La première constatation que l’on peut faire après la passation des entretiens, est que pratiquement tous les nouveaux chasseurs, évoquent la rencontre ou la connaissance d’un ou plusieurs chasseurs pour expliquer leur entrée dans la pratique de la chasse. Ces relations avec des chasseurs initiés sont tout d’abord de l’ordre familial. Les enquêtés évoquent une personne de leur famille proche (père, grand-père) ou moins proche (belle famille, famille éloignée) pour expliquer l’entrée dans la pratique. Les autres évoquent des amis ou des collègues.
La pratique de la chasse serait alors quelque chose à laquelle il faut être confronté, la vivre, pour en développer l’envie. La plupart commence d’ailleurs par « suivre » un chasseur plusieurs fois, certains durant plusieurs années, avant de se décider à passer le permis de chasse. «Mon père était chasseur, mon grand-père est chasseur, mon beau-père est chasseur, mon oncle est chasseur. » (enquêté 9)
« il y a aucun chasseur dans ma famille. Euh… j’ai découvert la chasse en fait à travers un copain, avec qui je faisais beaucoup de montagne, et… qui chasse euh, pas mal le chamois » (enquêté 11)
Il semble alors que la pratique de la chasse soit une pratique qui s’inscrive dans une certaine chaîne de filiation personnelle. Il apparaît rare que l’envie de devenir chasseur se manifeste du jour au lendemain, sans contact avec un chasseur. Ces aspects relèvent du monde domestique. Pour Boltanski et Thévenot (1991), ce monde n’est pas seulement en rapport avec la famille, mais est relatif aux relations personnelles entre les personnes. Les auteurs parlent de « monde domestique » car la famille est l’exemple type avec « l’image du père dont l’état de grandeur est le plus élevé parce qu’il est l’incarnation de la tradition » (Boltanski et Thévenot, 1991, p206). Néanmoins, toutes les relations personnelles basées sur la confiance peuvent faire partie du monde domestique, on peut alors lire la chaîne de dépendance comme une chaîne générationnelle ou comme une chaîne hiérarchique. L’un des sujets valorisé, considéré comme « grand », est « l’ancien », parce qu’il connaît les habitudes, la tradition, les convenances, mais aussi parce qu’il a la volonté de transmettre un héritage. Cette volonté de transmission est une caractéristique forte du monde domestique parce qu’elle sert la permanence, la reproduction, la stabilité des conduites. Avoir une relation personnelle avec un grand, un chasseur initié, permet le passage à l’état de grand : « ils sont grands par la relation qui les lie à de plus grands dont ils sont appréciés, par lesquels ils sont considérés et qui les ont attachés à leur personnes » (Boltanski et Thévenot, 1991, p206). Traini avait alors analysé qu’un certain respect envers les « mentors cynégétiques » apparaissait en échange de « la bienveillance et de l’attention dont ils firent preuve dans la transmission des secrets de cet art de la chasse » (Traini, 2004, p46) . On retrouve alors ce discours chez certains des enquêtés avec les « anciens chasseurs », garants des connaissances notamment.

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Table des matières

Introduction
I-Contexte
Cadre réglementaire de la chasse
Organisation de la chasse en Isère
État de l’art
II- Outils théoriques mobilisés 
III- Problématisation
IV- Méthodologie 
V- Résultat 
Chapitre 1 : l’entrée dans la pratique 
La connaissance d’un chasseur
Les freins à l’entrée dans la pratique
Les justifications à chasser
Chapitre 2 : Les liens au territoire
Choix matériel et social d’un territoire de chasse
Choix par facilité d’accès à un territoire
Choix par attachement au territoire
Chapitre 3 : les effets de la pratique de la chasse 
Une richesse de connaissances
Une prise d’autonomie
Conclusions
Bibliographie
Annexes

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