Bref historique des interféromètres à ondes de matière

L’interférométrie atomique est un sujet séduisant par la beauté des principes fondamentaux qu’elle met en jeu et par la précision des mesures qu’elle permet. Les dix dernières années ont vu le développement de divers types d’interféromètres atomiques, développement intimement lié aux progrès de la manipulation d’atomes par laser. Cette croissance est accompagnée d’une augmentation de leur diversité et il existe aujourd’hui des interféromètres variés, certains utilisent des atomes froids, d’autres des jets thermiques. Les interféromètres diffèrent enfin par l’utilisation ou non des degrés de liberté internes des atomes dans le fonctionnement de leurs séparatrices.

Cette thèse est la première consacrée à l’interférométrie atomique dans l’équipe de Jacques Vigué. Elle présente le principe et le dispositif expérimental d’un interféromètre à ondes d’atomes que nous avons construit pendant ma thèse. Cet interféromètre, qui utilise des atomes de lithium, repose uniquement sur la fonction d’onde décrivant le mouvement du centre de gravité de l’atome et ne modifie pas leur état interne, d’où le terme de scalaire qu’on peut utiliser pour le caractériser, en référence aux ondes scalaires en optique. Le formalisme des ondes scalaires suffit, en optique, à expliquer les phénomènes d’interférence observés quand la polarisation de la lumière ne joue aucun rôle. Par opposition, les expériences d’optique atomique qui utilisent l’état interne des atomes pour distinguer deux chemins de propagation sont l’analogue des expériences d’optique qui reposent sur la polarisation de la lumière. L’interféromètre que nous construisons doit beaucoup aux premiers interféromètres à électrons ou à neutrons. Il possède une géométrie de type Mach-Zehnder très utilisée en interférométrie d’ondes de matière car elle permet de séparer spatialement les deux bras de l’interféromètre. Cette séparation est obtenue grâce à la diffraction d’une onde atomique par des ondes laser stationnaires, qui se comportent alors comme des réseaux de phase. La séparation spatiale entre bras de l’interféromètre peut être mise à profit pour des mesures interferométriques où une perturbation est appliquée à un seul des deux bras de l’interféromètre. Différentes mesures, possibles ou envisagées, sont présentées ici. D’une part, des mesures qui reposent sur l’interaction de l’atome avec un champ électrique et qui permettent, par exemple, de mesurer avec une grande précision la polarisabilité statique électrique de l’atome de lithium. D’autre part, des mesurent qui décrivent l’effet d’un gaz dilué sur la propagation de l’onde atomique. Cet effet peut être représenté par l’indice de réfraction de ce gaz pour l’onde atomique .

Bref historique des interféromètres à ondes de matière

C’est en 1801 que les expériences de T. Young ouvrent le champ de l’optique ondulatoire grâce à la mise en évidence du phénomène d’interférence associé à un système de deux fentes (expérience des fentes d’Young). La théorie corpusculaire construite par Newton pour expliquer l’observation des “anneaux de Newton” est alors définitivement abandonnée. Un siècle plus tard, l’interférométrie optique devient un outil aussi bien pour l’observation (interféromètre de Fabry-Pérot pour les mesures de spectres atomiques) que pour tester des principes fondamentaux (interféromètre de Michelson et Morley pour la mise en évidence de l’éther lumineux). Depuis, les interféromètres ont gagné en variété et sont même entrés dans l’industrie, pour la mesure de contrainte et de déformation par exemple (voir par exemple l’article [1] sur la mesure de grande déformation par interférométrie de speckle). Les interféromètres n’ont pas pour autant quitté les laboratoires de recherche et les interféromètres de Fabry-Pérot de grande finesse sont très utilisés, en particulier dans le domaine de la spectroscopie, comme références de fréquence pour les laser.

Grâce à l’idée formulée par L. de Broglie en 1924 qu’à une particule on peut associer une onde, l’interférométrie n’est plus réservée à la lumière. Le premier pas vers l’interférence d’ondes de matière est réalisé par Davisson et Germer qui, en 1927, mettent en évidence expérimentalement la diffraction d’un faisceau d’électrons par un cristal de Nickel [2]. Cette expérience précède de très peu l’observation par Stern dès 1929, ensuite rejoint par Estermann et Fritsch, de la diffraction d’un jet d’hélium par la surface d’un cristal de fluorure de lithium LiF [3]. Le premier interféromètre à électrons suit en 1952. Il repose sur une géométrie de Mach-Zehnder (voir figure I.1) où le rôle des miroirs et des séparatrices est joué par des réseaux de diffraction constitués de cristaux de quelques centaines d’atomes d’épaisseur [4]. Ces réseaux sont trop fins pour imposer une condition de Bragg à la diffraction et se comportent plutôt comme de simples réseaux de transmission où seule la périodicité dans le plan a une importance. Un des avantages de la géométrie de Mach-Zehnder, qui sera d’ailleurs conservée pour les interféromètres à neutrons et à atomes, est que contrairement aux interféromètres à division du front d’onde (comme les fentes d’Young ou les miroirs de Fresnel), le contraste du système de franges n’est pas réduit par l’étendue spatiale de la source. Tous les points qui composent la source contribuent au signal de la même façon. On peut ainsi utiliser une source étendue pour que son intensité soit suffisante à l’observation d’un signal d’interférences. L’avantage d’un interféromètre de Mach-Zehnder à réseaux sur un interféromètre de Michelson est que, même à différence de marche non nulle, il existe un système de franges indépendant de la longueur d’onde de la source. La polychromaticité de la source ne provoque alors pas de perte de contraste. Nous démontrerons plus loin cette propriété dans le cas d’un interféromètre atomique. Les interféromètres achromatiques sont d’un grand intérêt en optique électronique, neutronique ou atomique car ils permettent de conserver un bon contraste de signal malgré la dispersion en vitesse (et donc en longueur d’onde) de la source.

À partir de 1962, plusieurs tentatives ont pour but la construction d’un interféromètre à neutrons thermiques, mais ce n’est qu’en 1974 qu’est construit un interféromètre avec une intensité et un interfrange tels que l’observation d’un signal d’interférence soit possible [6] : cet interféromètre utilise une géométrie de type Mach-Zehnder où la séparation et la recombinaison des faisceaux sont réalisées par des réseaux de diffraction. Ces réseaux sont suffisamment épais pour imposer une condition de Bragg à la diffraction et la seule modification à la géométrie présentée plus haut est la nécessité d’avoir un jet qui rencontre les réseaux sous l’incidence de Bragg. L’inconvénient de cet interféromètre est l’intensité insuffisante des sources à neutrons thermiques et leur complexité. Malgré ces difficultés, de très belles expériences ont été réalisées avec des interféromètres à neutrons [7]. On peut citer par exemple la démonstration expérimentale, en 1975, de la période de rotation de 4π pour un spin 1/2 (au lieu de la valeur classique de 2π) ou encore la mesure de l’accélération locale de la gravité g

Le début des interféromètres atomiques 

Les interféromètres à atomes présentent de nombreux avantages par rapport à ceux utilisant des neutrons ou des électrons. Les sources d’atomes sont plus intenses et plus faciles à construire que celles de neutrons. Par ailleurs, les atomes subissent moins de perturbations que les électrons de la part des champs électrique et magnétique résiduels car ils sont électriquement neutres. Enfin, la structure interne des atomes offre des degrés de liberté supplémentaires. Ces états internes, souvent liés au moment cinétique de l’atome, jouent un rôle analogue à celui de la polarisation pour la lumière. Les interféromètres peuvent soit agir seulement sur la propagation soit agir à la fois sur la propagation et sur l’état interne de l’atome. Ceci permet de repérer les différents chemins qui interférent quand ceux-ci ne sont pas séparés spatialement. L’idée d’utiliser des interféromètres à atomes comme accéléromètres ou gyroscopes de grande précision est proposée en 1988 [8] et il  faut attendre 1991 pour voir fonctionner le premier interféromètre à bras séparés. Ce développement tardif comparé à celui des interféromètres à électrons ou à neutrons s’explique par l’absence d’outils pour manipuler les atomes de façon cohérente, en particulier les dévier ou les réorienter. Les cristaux utilisés pour les électrons et les neutrons ne sont bien sûr pas utilisables pour les atomes, tout au moins en transmission. L’émergence de l’interférométrie atomique est directement liée à celle de la manipulation d’atomes par laser, technique “dérivée” de la recherche du refroidissement et du piégeage des atomes. Une de ces techniques est d’utiliser une onde laser stationnaire pour diffracter une onde atomique. C’est la méthode que nous avons choisie et nous en expliquons le principe plus loin (voir chapitre II). L’onde laser stationnaire se comporte comme un réseau de phase pour l’onde atomique si la fréquence du laser est proche d’une fréquence de transition résonante de l’atome. Même si la diffraction d’atomes par une onde laser stationnaire est mise en évidence dès 1983 [9], ce ne sont pas de tels réseaux qui sont employés dans le premier interféromètre atomique à bras séparés, construit par le groupe de Pritchard, au MIT. Cet appareil donne ses premiers signaux d’interférence en 1991 [11] avec un contraste pouvant atteindre 50 %. Comme les interféromètres à électrons et à neutrons dont nous avons parlé, cet interféromètre, qui a largement inspiré le nôtre, utilise une géométrie de Mach-Zehnder. Les réseaux utilisés pour séparer et recombiner les faisceaux qui interfèrent ne sont plus des cristaux mais une succession de fils. Ils se comportent comme des réseaux d’amplitude si on néglige l’interaction de van der Waals entre les atomes de l’onde et les parois des fils. Les premières expériences utilisaient des réseaux de période 200 nm, réalisés par nanolithographie par faisceau d’électrons, sur une fine membrane d’or ou de nitrure de silicium [12]. La réalisation de tels réseaux représente une prouesse de la nanolithographie, à cause des contraintes très fortes sur le dessin du réseau, telles que l’excellent parallélisme entre traits et leur périodicité. Pour la qualité de la diffraction, on ne peut tolérer que de faibles écarts à ces contraintes, qui doivent rester bien inférieurs à la période du réseau sur toute la surface utile . Plus récemment, des réseaux de période 100 nm ont été réalisés au MIT, par holographie UV [13].

L’interféromètre de Pritchard a jusqu’ici été utilisé avec des atomes de sodium et des dimères de sodium mais, et c’est sa grande force par rapport aux interféromètres que nous détaillerons plus loin, il pourrait être utilisé avec d’autres atomes ou même molécules en ne modifiant que la source. L’utilisation de réseaux d’amplitude présente malgré tout des inconvénients. Outre la perte en intensité due à la surface fermée des réseaux, la grande fragilité de ces réseaux due à la finesse de la membrane qui les supporte et la facilité de bouchage rendent leur usage délicat et limitent leur durée de vie. L’utilisation d’ondes laser comme réseaux de diffraction permet de s’affranchir de ces défauts et offre de plus la possibilité de modifier continûment (et donc d’optimiser) la répartition de l’intensité dans chaque ordre de diffraction. Ceci est possible en jouant sur la puissance et la fréquence de l’onde laser ou sur le temps d’interaction avec celle-ci. Nous décrivons ci dessous comment observer des franges d’interférences avec un interféromètre de Mach-Zehnder à trois réseaux. Dans une première approche, cette observation ne dépend pas du type de réseau utilisé.

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Table des matières

I Introduction
I.1 Bref historique des interféromètres à ondes de matière
I.2 Le début des interféromètres atomiques
I.2.1 Signal d’interférence avec un interféromètre de Mach-Zehnder à trois réseaux
I.2.2 Les interféromètres utilisant la structure interne des atomes
I.2.3 Les interféromètres utilisant des réseaux de phase
I.3 Mesures interférométriques
I.4 L’interféromètre de Toulouse
I.5 Plan de la thèse
II Diffraction par une onde laser stationnaire
II.1 États de l’atome habillé
II.2 Effet de la structure atomique
II.2.1 Couplage entre états de structure fine
II.2.2 Prise en compte de la structure hyperfine
II.3 Diffraction par une onde mince
II.3.1 Amplitudes diffractées
II.3.2 Interprétation corpusculaire de la diffraction par une onde mince
II.3.3 Validité de l’approximation de l’onde mince
II.4 Diffraction par une onde épaisse
II.4.1 Amplitude de diffraction dans le régime de Bragg
II.4.2 Validité de l’approximation
II.4.3 Sélectivité en vitesse de la diffraction de Bragg
II.5 Formalisme plus général
II.5.1 Motivations
II.5.2 Hypothèses
II.5.3 États propres dans un potentiel périodique
II.5.4 Propagation de l’onde atomique à travers un réseau
II.5.5 Différents régimes de couplage par le potentiel
II.5.6 Synthèse
II.6 Application à la diffraction d’une onde de lithium
II.6.1 Transition utilisée pour la diffraction
II.6.2 Choix des paramètres de diffraction utilisés
II.6.3 Conclusion
III L’interféromètre atomique
III.1 Propagation d’une onde dans un interféromètre
III.1.1 Modèle en ondes planes
III.1.2 Un modèle plus réaliste
III.1.3 Choix des dimensions de l’interféromètre
III.1.4 Choix des paramètres définissant les réseaux
III.2 Contributions des chemins multiples
III.2.1 Cohérence des différents chemins
III.2.2 Étude du contraste en fonction de la position du détecteur
III.3 Pertes de contraste dues à des réglages imparfaits
III.3.1 Différence entre les distances séparant les réseaux
III.3.2 Rotations des réseaux dans leur plan
III.3.3 Effet de la polychromaticité de la source
III.3.4 Retour à un interféromètre à chemins multiples
III.4 Interféromètres à réseaux d’amplitude
III.4.1 Différence d’effet des différents chemins de propagation
III.4.2 Performance du signal
III.4.3 Effet de phase associé aux réseaux de fils
IV Le dispositif expérimental
IV.1 Description du jet de lithium
IV.1.1 Montage à vide et géométrie
IV.1.2 Fonctionnement d’un jet moléculaire très collimaté
IV.1.3 Le jet supersonique dans le régime hydrodynamique
IV.1.4 Le jet supersonique dans le régime moléculaire
IV.1.5 Comparaison avec un jet effusif
IV.1.6 Le four
IV.1.7 Pompage des enceintes
IV.2 Système de détection
IV.2.1 Processus d’ionisation de surface
IV.2.2 Considérations pratiques
IV.2.3 Collection et détection des ions
IV.3 Préparation et diffraction des atomes
IV.3.1 Pompage optique
IV.3.2 Réalisation des ondes laser
V Conclusion

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