Biodiversité et fonctionnement écologique des écosystèmes pour la régulation naturelle des insectes nuisibles des cultures 

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La biodiversité dans les communautés

En un lieu donné, l’ensemble des organismes présents forment une communauté et ils forment un écosystème avec leur environnement abiotique (Morin, 2011). Lorsque la grande partie des espèces d’une communauté est exploitée pour une production agricole, on le dénomme agroécosystème. A l’échelle des communautés, la biodiversité correspond notamment à la variété et à l’abondance des espèces présentes (?). Plus précisément, la biodiversité a deux composantes : la richesse spécifique et l’équitabilité. La richesse spécifique est le nombre total d’espèces présentes dans l’unité étudiée (?). Cette mesure, simple en apparence, engendre deux préoccupations importantes. La première est qu’elle nécessite une très bonne connaissance taxonomique de l’unité considérée pour être complète. La seconde concerne l’échantillonnage, puisque des échantillonnages exhaustifs sont très coûteux pour des communautés diversifiées, et puisque certaines espèces sont difficilement détectables par leur rareté ou leur comportement. La richesse spécifique est donc reportée à une unité biologique ou à une unité d’échantillonnage (surface, nombre de pièges). Elle peut être également estimée en prenant en compte le taux d’ajout de nouvelles espèces dans un inventaire (courbes d’accumulation d’espèces) ou encore l’abondance ou l’occurrence des espèces rares dans les échantillonnages (estimateurs non-paramétriques) (?). L’équitabilité exprime, quant à elle, l’abondance relative des espèces dans une communauté. A richesse spécifique et à abondance égales, une communauté dont chaque espèce présente le même nombre d’individus (communauté équitable) est considérée comme plus diversifiée qu’une communauté dominée par une ou plusieurs espèces abondantes et dont les autres espèces sont rares (Fig. 2). Les indices de diversité sont généralement calculés en utilisant à la fois la richesse et la proportion relative des espèces, comme c’est le cas pour l’indice de Shannon (?).
La biodiversité et les communautés qu’elle décrit, ont également comme attributs, des structures (Fig. 3) et des fonctions (Noss, 1990). Les écologues structurent les communautés sur la base des interactions trophiques existant entre des consommateurs et des ressources, qui ont lieu entre des espèces ou des groupes d’espèces. On parle alors de réseaux trophiques (Morin, 2011). Les espèces peuvent être regroupées en entités fonctionnelles et trophiques, correspondant aux ressources qu’elles utilisent (guildes), aux fonctions qu’elles réalisent (groupes fonctionnels ou groupes trophiques) ou encore à la façon dont elles acquièrent l’énergie (niveaux trophiques : producteurs primaires, détritivores, consommateurs pri-maires, consommateurs secondaires, etc.) (Morin, 2011). Duffy et al. (2007) définissent ainsi la biodiversité dans les réseaux trophiques selondeux dimensions : la biodiversité « horizontale » qui correspond à la diversité au sein des niveaux trophiques et la diversité « verticale » qui correspond à la diversité entre niveaux trophiques (Fig. 3).
La biodiversité est en relation étroite avec le fonctionnement des écosystèmes, c’est-à-dire avec les processus, les biens et les services écosystémiques (ces concepts définis ci-dessous d’après Christensen et al. (1996)). Les processus écosystémiques sont le cycle et le stockage de l’eau, la productivité biologique, les cycles et les stockages biogéochimiques, la décomposition et le maintien de la diversité biologique. Les deux autres notions sont anthropocentriques. D’une part, les biens écosystémiques correspondent aux propriétés des écosystèmes qui ont une valeur marchande directe, comme les aliments, les matériaux de construction, les produits médicinaux ou encore les gènes pour l’amélioration des plantes et les agents de lutte biologique (classique ou inondative). D’autre part, les services écosystémiques sont les propriétés des écosystèmes dont l’Homme tire des bénéfices directs ou indirects et qui n’ont, historiquement, pas de valeur marchande. Les valeurs de ces services ont néanmoins été évaluées pour souligner leur importance auprès des décideurs (Costanza et al., 1997).
A partir de la fin des années 1980, une période intense de recherches a débuté, pour comprendre l’influence de la perte de biodiversité sur le fonctionnement des écosystèmes. Ces recherches ont fait l’objet de synthèses régulières (Loreau et al., 2001 ; Hooper et al., 2005 ; Duffy et al., 2007 ; Cardinale et al., 2009). Il est aujourd’hui reconnu que la biodiversité contribue au fonctionnement des écosystèmes, la perte de diversité étant même l’une des causes importantes de l’altération du fonctionnement des écosystèmes, comparable notamment à l’effet du changement climatique (Hooper et al., 2012). Les résultats de ces recherches soulignent également que la biodiversité apporte de nombreux biens et services à l’Homme (Diaz et al., 2006 ; Cardinale et al., 2012 ; Mace et al., 2012). Ces connaissances importantes proviennent en majorité d’expériences qui ont manipulé la biodiversité d’un groupe trophique et étudié l’influence de la diversité sur la fonction ou sur les fonctions de ce niveau trophique (pour une revue bibliographique sur ce thème, voir chapitre 1). Les études qui ont incorporé la dimension verticale de la biodiversité (en étudiant plusieurs niveaux trophiques) soulignent la complexité des effets de la biodiversité au sein des réseaux trophiques (voir chapitre 1). D’après Brose & Hillebrand (2016), les futures études sur les relations entre la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes devront à la fois prendre en compte cette composante multi-trophique des communautés et également comprendre ces relations dans de plus larges échelles spatiales et temporelles.

La biodiversité dans les agroécosystèmes

Les habitats agricoles occupent plus de 30 % des surfaces des terres émergées, formant l’un des plus importants biomes terrestres (Foley et al., 2005). Sur la base de données de l’année 2000, les terres cultivées et les pâturages représentent respectivement 12 % (Fig. 4) et 22 % des surfaces des terres émergées (Ramankutty et al., 2008). Cette importance de l’agriculture à l’échelle globale a deux implications. Premièrement, les habitats agricoles représentent des zones d’intérêt pour la conservation de la biodiversité et les services écosystémiques (Pimentel et al., 1992 ; Tscharntke et al., 2005 ; Iverson et al., 2014). Deuxièmement, l’agriculture est un des facteurs les plus importants dans la perte de biodiversité et le changement global (Tscharntke et al., 2005). Par exemple, les activités agricoles sont responsables de 48 % de la perte de diversité due au changement d’utilisation du sol (Murphy & Romanuk, 2014).
L’impact de l’agriculture ne se limite pas à la destruction d’habitats naturels par l’utilisa-tion des terres : les pratiques agricoles influencent également la nature des agroécosystèmes dans lesquels elles sont conduites et des écosystèmes adjacents. Ainsi, l’intensification de l’agriculture, par l’augmentation de l’utilisation des intrants chimiques et l’homogénéisation des paysages, est une cause majeure de la perte de diversité (Tscharntke et al., 2005). Les impacts de cette intensification dépassent l’effet délétère sur la biodiversité ; par exemple, l’utilisation des pesticides a des effets négatifs sur l’environnement et sur la santé humaine (Bourguet & Guillemaud, 2016).
Face aux enjeux environnementaux et sanitaires, en parallèle des recherches concernant l’influence de la perte de diversité sur le fonctionnement des écosystèmes, des scientifiques ont promu le développement d’une agriculture durable qui conserve la biodiversité, qui gère ses différents services et, notamment ceux fournis aux agroécosystèmes (Pimentel et al., 1992 ; Altieri, 1999). Cette idée d’une agriculture plus durable et respectueuse de l’environnement a pris de nombreuses formes : l’agriculture biologique (Bellon & Penvern, 2014), l’agroécologie (Deguine et al., 2016) ou encore l’intensification écologique de l’agriculture (Gaba et al., 2014 ; Geertsema et al., 2016). La gestion de la biodiversité et de ses services est au centre de ces formes d’agriculture durable, elle fait également l’objet de pratiques spécifiques comme la gestion des habitats (Gurr et al., 2004).
Dans les agroécosystèmes, l’Homme bénéficie des services écosystémiques. L’estimation de leurs valeurs montre qu’ils représentent au total 92 $/ha/an, dont le service d’approvi-sionnement par la production alimentaire (54 $/ha/an) et deux services de régulation : le contrôle biologique des organismes nuisibles (24 $/ha/an) et la pollinisation (14 $/ha/an) (Costanza et al., 1997). Cette estimation souligne notamment l’importance du contrôle biologique des organismes nuisibles dans les agroécosystèmes. Dans notre étude, nous nous intéressons à ce service et, plus précisément, à la régulation biologique des arthropodes nuisibles des cultures.
Dans les communautés, les arthropodes nuisibles des cultures dépendraient de deux types de contrôles trophiques : (i) du contrôle ascendant par la diversité des plantes ; et (ii) du contrôle descendant par la diversité des ennemis naturels (Gurr et al., 2012). La diversité des ennemis naturels et la diversité des plantes favorisent, dans la majorité des cas, le contrôle des nuisibles ; de surcroît, les pratiques agricoles et le paysage influencent à la fois les ennemis naturels, les plantes et, aussi, directement les nuisibles (voir chapitre 1). Cependant, les mécanismes sous-jacents sont rarement élucidés. De plus, l’importance respective de ces différents facteurs est rarement quantifiée, ce qui limite la disponibilité de connaissances nécessaires pour permettre un contrôle efficace des nuisibles.

Enjeux scientifiques de l’étude de la biodiversité dans le fonc-tionnement écologique des agroécosystèmes

Outre les enjeux globaux, le développement d’une agriculture intégrant la biodiversité représente des enjeux scientifiques. Il s’agit d’acquérir des connaissances sur le fonctionne-ment des agroécosystèmes, en particulier sur, les facteurs qui influent sur la conservation de la biodiversité et sur la provision de ses services. Les enjeux respectifs de l’écologie des communautés (approches multi-trophiques à une large échelle spatio-temporelle) et de la protection des cultures (approches mécanistes à de multiples échelles) offrent un cadre pertinent pour comprendre, à la fois, les mécanismes qui permettraient un contrôle accru des ravageurs et, aussi, les relations entre la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes, dans des contextes multi-trophiques et à de plus grandes échelles spatiales et temporelles.
La présente thèse s’inscrit dans ces enjeux scientifiques. Par des approches multi-trophiques et multi-échelles et en s’appuyant sur le réseau d’un projet de développement de pratiques agroécologiques, nous étudions la place et le rôle de la biodiversité dans le fonctionnement écologique des agroécosystèmes à base de manguiers à La Réunion.

Modèle d’étude : les agroécosystèmes à base de man-guiers à La Réunion

Le manguier Mangifera indica L. est un arbre de la famille des Anacardiacées, originaire l’Inde. La mangue est la principale culture fruitière tropicale après la banane, avec 33 million de tonnes de mangues produites par an (Food and Agriculture Organization, 2015). La zone principale de production est l’Asie, avec en tête des pays producteurs l’Inde, la Chine et la Thailande (Fig. 5).

La culture du manguier à La Réunion

Conditions de culture
A La Réunion, la production de mangues est également d’importance économique et culturelle, il s’agit de la cinquième production fruitière de l’île, avec une production de 1900 t/an (www.reunion.chambagri.fr). Deux variétés sont principalement cultivées : la variété locale José et la variété américaine Cogshall. Pour assurer une bonne productivité, les manguiers doivent être implantés dans une zone où règne un climat tropical semi-aride, présentant une saison humide et une saison sèche distinctes. Pendant la floraison, les températures minimales doivent être supérieures à 15◦ C. A La Réunion, la culture du manguier est donc restreinte à l’Ouest de l’île, entre 0 et 400 m d’altitude.
Dans ces conditions, la floraison a lieu durant une partie de l’hiver austral (juillet à octobre). Elle est hétérogène, aussi bien à l’échelle de l’île que dans les vergers. Les fleurs de manguier (3-4 mm) sont regroupées par centaines, en panicules. Après fécondation, quelques unes se développent en drupes charnues : les mangues. Il faut ensuite 3 à 4 mois entre la nouaison et la récolte des mangues. La période de récolte des fruits s’étale donc d’octobre pour les plus précoces, à février pour les plus tardives. La précocité de la récolte a un double enjeu pour les producteurs. Le premier est d’éviter la perte des récoltes par les cyclones qui se produisent le plus souvent aux mois de décembre et de janvier. Le deuxième est d’éviter la concurrence avec les autres fruits de fin d’année comme le litchi.
Pratiques culturales
Les interventions culturales dans les vergers de manguiers se résument à la gestion des organismes adventices (plantes) et nuisibles (insectes, bactéries, etc.) et à la taille (Vincenot & Normand, 2009). Le travail du sol est réalisé seulement lors de la plantation des arbres. Les pratiques culturales les plus répandues consistent en des traitements chimiques préventifs contre les organismes nuisibles et l’application d’herbicides (glyphosate) a lieu une fois par an dans le rang de plantation des manguiers. Dans les vergers de manguiers certifiés en Agriculture Biologique (AB), l’absence de traitement herbicide permet le développement d’une couverture végétale sur l’ensemble de la parcelle. Les traitements insecticides homologués en AB sont effectués lorsque les seuils de nuisibilité sont atteints. Les arbres sont taillés tous les deux ans pour assurer une bonne aération du feuillage et des vergers.
Bioagresseurs
A La Réunion, les manguiers sont les cibles de nombreux bioagresseurs : 13 espèces d’arthropodes (Amouroux & Normand, 2013), une bactérie et deux champignons (Vincenot et al., 2015). Pendant la croissance et le mûrissement des fruits, quatre espèces de Mouches des fruits (Diptera : Tephritidae), l’anthracnose du manguier Colletotrichum gloeosporioides (Fungi Ascomycota) et la maladie des tâches noires provoquée par Xanthomonas citri pv. mangiferaeindicae (Bacteria) déprécient la qualité des fruits, limitant ou empêchant leur commercialisation.
Pendant la floraison, qui est la période clé de construction de la production, les inflorescences et les jeunes fruits sont confrontés à de nombreux insectes nuisibles (Fig. 6). La Cécidomyie des fleurs de manguiers (Diptera : Cecidomyiidae), la Punaise du manguier (Heteroptera : Miridae) et des espèces de thrips (Thysanoptera) peuvent causer la perte totale de la production par leur dégâts sur les inflorescences. L’Oïdium mangiferae (Fungi Ascomycota) est également une cause importante de perte des inflorescences. La Cochenilles des Seychelles (Hemiptera : Margarodidae) est présente toutes l’année. Elle provoque un affaiblissement des arbres et impacte l’ensemble des stades phénologiques du manguier.
La gestion des bioagresseurs pendant la floraison étant une opération essentielle à la production de mangues, notre étude est concentrée sur cette période clé et sur les insectes nuisibles associés.

Les insectes nuisibles aux inflorescences

La Cécidomyie des fleurs
Procontarinia mangiferae Felt est un diptère galligène monophage inféodé aux man-guiers. Originaire d’Inde, il occupe actuellement une aire géographique pantropicale, suite à l’expansion de la culture de sa plante hôte. Procontarinia mangiferae peut se développer sur les inflorescence et les jeunes feuilles du manguier (Amouroux et al., 2014). Les pertes économiques sont causées par le développement de l’insecte dans l’inflorescence des man-guiers, notamment lorsque les cécidomyies s’alimentent sur de jeunes inflorescences, qui ne peuvent alors plus produire de fleurs (Amouroux, 2013).
Le cycle de vie de cette espèce de cécidomyie est le suivant. Durant l’hiver austral, les adultes de la première génération (2 mm) émergent de pupes présentes dans le sol. Pendant leur courte durée de vie (2 à 3 jours), les femelles adultes pondent leurs œufs dans les inflorescences. Après éclosion, les larves pénètrent et forment une galle dans l’organe de la plante, en s’alimentant de ses tissus. Elles s’y développent pendant 7 à 12 jours, avant de rejoindre le sol pour la pupaison. Les individus au stade pupal de cette nouvelle génération donnent une nouvelle émergence la même année ou bien entrent en diapause pour émerger l’année suivante (Amouroux et Normand, 2010).
La Punaise du manguier
Orthops palus Taylor est un nuisible qui peut provoquer d’importantes pertes dans vergers de manguiers. En effet, les piqûres des larves et des adultes de cet insecte succivore provoquent le dessèchement partiel ou total des inflorescences. Ils peuvent aussi s’alimenter des feuilles et des tiges des jeunes rameaux de manguiers, sans toutefois engendrer de dégâts économiques (Atiama, 2016).
Cette espèce est polyphage : 14 espèces de plantes hôtes appartenant à 10 familles différentes ont été recensées à La Réunion (Atiama, 2016). A l’exception du manguier, sur lequel l’espèce s’alimente sur les inflorescences et les jeunes feuilles, cette punaise a été retrouvée uniquement sur les inflorescences des plantes. Les dégâts économiques sont signalés uniquement sur le manguier. Les plantes hôtes principales, sur lesquelles le nombre moyen d’individus est le plus important, sont trois plantes cultivées, l’avocatier (Persea americana, Lauraceae), le litchi (Litchi chinensis, Sapindaceae) et le manguier, ainsi qu’une plante exotique envahissante, le faux-poivrier (Schinus terebinthifolius, Anacardiaceae). Dans les zones de production de mangues, la plante hôte la plus abondante (mis à part le manguier) est le faux-poivrier, présent dans les haies et les ravines. Orthops palus semble être une espèce multivoltine, effectuant plusieurs générations par an, en suivant la succession des floraisons de ses plantes hôtes. Son cycle de développement dure 17.29 ± 3.75 jours, elle ne semble pas passer par le sol sous le manguier pour l’effectuer (Atiama, 2016).
Les Thrips
Deux espèces de Thysanoptera de la famille des Thripidae, Scirtothrips aurantii Faure et Selenothrips rubrocinctus (Giard), sont connues comme nuisibles des inflorescences et des fruits des manguiers à La Réunion.
Scirtothrips aurantii, le Thrips Sud-africain des agrumes, est une espèce pantropicale polyphage, nuisible à de nombreuses productions fruitières et légumières, dont la mangue. Les Scirtothrips ssp. provoquent chez leurs plantes hôtes, la sénescence de l’épiderme des organes ciblés, en s’alimentant du contenu des cellules (CABI, 2016). Dans son pays d’origine, l’Afrique du Sud, S. aurantii a été répertoriée sur 50 espèces de plantes hôtes (Faure, 1929) ; son nom vernaculaire lui vient des dégâts importants qu’il inflige au genre Citrus. Un certain nombre d’espèces végétales répertoriées en Afrique du Sud comme plantes hôtes (cultivées ou rudérales) sont présentes à La Réunion, dans une variété d’habitats. Les adultes émergent de pupes situées dans le sol, pour s’alimenter de la plante hôte et se reproduire. Puis la femelle pond ses œufs dans les tissus jeunes de l’hôte. Après le développement de deux stades larvaires aux dépens des tissus de l’hôte, les larves tombent au sol. Dans le sol, elles réalisent deux stades pupaux (propupa et pupa) (CABI, 2016). L’espèce est multivoltine. Pour sa part, Selenothrips rubrocinctus est également polyphage ;
à la différence de S. aurantii, l’ensemble du cycle de développement a lieu sur les feuilles de la plante hôte (OzThrips, 2016).
La Cochenille des Seychelles
Quatre espèces de cochenilles ont été recensées dans les vergers de manguiers à La Réunion (Amouroux & Normand, 2013). Parmi elles, Icerya seychellarum Westwood a connu une très forte croissance de ses populations sur l’ensemble de l’île à partir de 2011, qui est notamment due au parasitisme de son principale ennemi naturel, la coccinelle Rodolia chermesina Mulsant, suite à l’invasion par Homalotylus eytelweinii (Ratzeburg) (Hymenoptera : Encyrtidae) (Delpoux et al., 2013). Icerya seychellarum est une espèce d’insecte succivore à répartition pantropicale. Elle entraîne un affaiblissement de ses plantes hôtes selon deux effets : un effet direct par ponction de la sève élaborée des plantes ; un effet indirect de réduction des capacités photosynthétiques à cause du développement de fumagine (champignons) sur le miellat excrété sur les feuilles des plantes hôtes. A La Réunion, des espèces de plantes appartenant à 17 familles différentes ont été répertoriées comme hôtes (Delpoux et al., 2013). Ces plantes occupent tous les types d’habitats : urbains, cultivés ou semi-naturels. L’intégralité du cycle biologique a lieu sur les plantes hôtes.
La lutte chimique dans une impasse
Les 4 espèces d’insectes nuisibles présentées ci-dessus ont des bioécologies différentes : une espèce monophage et trois espèces polyphages ; des espèces qui réalisent une partie de leur cycle biologique dans le sol, et d’autres non. La Punaise du manguier et la Cécidomyie des fleurs sont les deux ravageurs principaux des inflorescences de manguiers (Amouroux et Normand, 2013). Avant le projet Biophyto, le seul moyen de lutte pratiqué contre les insectes nuisibles des inflorescences était l’utilisation d’insecticide à base de lambda cyhalothrine (e-phy.agriculture.gouv.fr). Ce moyen de lutte apparaît inefficace et, de surcroît, représente un risque environnemental et sanitaire. Le développement de méthodes de lutte alternatives est un enjeu pour cette production fruitière, importante à La Réunion, et dans l’ensemble de la zone tropicale.

Objectifs et démarche scientifique

Le développement d’une production de mangues sans insecticides nécessite l’utilisation du service de régulation des insectes nuisibles, par la gestion des pratiques agricoles et du paysage. L’objectif général de la thèse est de décrire et de comprendre le rôle et la place de la biodiversité dans le fonctionnement écologique des agroéco-systèmes à base de manguiers à La Réunion, avec une attention particulière portée sur le service de régulation des insectes nuisibles, et en prenant en compte l’effet des pratiques agricoles et du paysage.
L’objectif général se décline en 4 objectifs spécifiques :
• faire l’état des connaissances bibliographiques sur le rôle de la biodiversité dans le fonctionnement des communautés, et les facteurs qui influencent la biodiversité et le contrôle des insectes nuisibles ;
• caractériser l’agroécosystème étudié : les communautés, les pratiques et les contextes paysagers.
• identifier et comprendre le rôle et la place de la biodiversité dans les interactions multi-trophiques agissant dans les réseaux trophiques, en considérant les pratiques agricoles et le paysage ;
• identifier les services de la diversité des ennemis naturels et l’influence des pratiques agricoles et du paysage sur le contrôle des ravageurs.
Pour répondre à ces objectifs, la démarche scientifique développée dans cette thèse s’appuie principalement sur deux approches. Premièrement, nous développons une ap-proche systémique, en étudiant simultanément les objets et les facteurs à de multiples échelles : les communautés d’arthropodes et de plantes, les pratiques agricoles et le paysage. Cette approche nécessite de faire appel, à la fois, aux outils respectifs des disciplines cor-respondantes (entomologie au sens large, botanique, agronomie, écologie des communautés et écologie du paysage) et, également, d’utiliser des méthodes d’analyses statistiques spéci-fiques (modèles hiérarchiques, modèles d’équations structurelles). Deuxièmement, nous utilisons une approche observationnelle, plus qu’expérimentale. En effet, les travaux de la thèse sont réalisés sur un réseau de parcelles existant (réseau du projet Biophyto, visant à la production de mangues sans insecticides). Ce projet nous a permis d’étudier un réseau de 10 couples de parcelles, avec des différences de pratiques agricoles entre les parcelles d’un même couple, et entre les couples. Les objectifs et les contraintes spécifiques du projet n’ont pas donné lieu à un contrôle expérimental des pratiques agricoles, et le contexte de paysage n’a pas pu être choisi dans la constitution du réseau de parcelles.
Le manuscrit est organisé en 5 chapitres (Fig. 7) :
• le chapitre 1 présente l’état des connaissances sur : les relations entre la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes ; l’utilisation de la biodiversité pour le contrôle des arthropodes nuisibles des cultures ; les facteurs qui influencent les ennemis naturels et les insectes nuisibles ;
• le chapitre 2 présente les caractéristiques de l’agroécosystème étudié, aux 3 échelles d’étude. Il présente également le projet Biophyto, ainsi que les matériels et les méthodes employées pour l’acquisition des données utilisées dans les chapitre 3 et 4. Il présente enfin les résultats d’inventaires et de caractérisation écologique des communautés d’arthropodes ainsi que les caractéristiques des pratiques culturales et du paysage des parcelles étudiées ;
• le chapitre 3 traite de la compréhension des facteurs qui influencent la diversité des groupes trophiques et, en particulier, il vise à identifier le sens des interactions entre les groupes trophiques et les mécanismes sous-jacents ;
• le chapitre 4 traite des facteurs qui influencent la régulation des insectes nuisibles dans l’agroécosystème étudié. Nous testons l’influence de différents facteurs : la diversité des ennemis naturels, les pratiques agricoles et le paysage sur le service de prédation en général et sur l’abondance de quatre espèces d’insectes nuisibles des manguiers en particulier.
• le chapitre 5 constitue la discussion générale. Nous confrontons l’ensemble des résultats obtenus dans la thèse à la littérature ; nous proposons des perspectives de recherche, avant de revenir de manière critique sur les méthodologies employées ; nous présentons les applications possibles des résultats de la thèse pour le développement d’une production de mangues sans insecticides à La Réunion ; nous terminons par un récapitulatif des apports de la thèse, à la fois par rapport aux connaissances scientifiques préalables et pour les implications dans la protection agroécologique des cultures.

Matériels et méthodes

Localisation de l’étude

Dix exploitations du projet Biophyto ont fait l’objet des mesures utilisées dans la thèse (Fig. 2.1), les 4 exploitations dont les suivis ont du être arrêtés ou ont débuté au cours du projet Biophyto n’ont pas été prises en compte. En 2012, parmi ces dix exploitations, trois étaient conduites en Agriculture Biologique (soit déjà certifiées, soit en cours de conversion) et sept étaient conduites selon des pratiques conventionnelles. Nous avons suivi les deux parcelles de chaque site (« agroécologique » et « témoin »). La taille moyenne des parcelles est de 1404 m2, avec une distance moyenne de 89,3 m entre les deux parcelles d’une même exploitation et une distance de 46 km entre les parcelles, quel que soit le site.

Démarche de collecte des données

Pour répondre aux principaux objectifs de la thèse, notamment de comprendre l’in-fluence simultanée de facteurs à différentes échelles, nous avons choisi d’effectuer un échantillonnage global en « image instantanée ». Une fois par an (de 2012 à 2014), en août lorsque l’ensemble des parcelles suivies était en floraison, nous avons récolté les données sur une courte période (2 semaines) pour les différentes échelles de l’étude :
• Communautés d’arthropodes ;
• Communautés végétales dans la parcelle, reflétant les pratiques de gestion de l’enherbement ;
• Paysage.

Caractérisation des communautés d’arthropodes

Les échantillonnages des communautés d’arthropodes ont pour objectifs de : (i) connaître leur composition taxonomique ; (ii) quantifier l’abondance des espèces et la diversité des groupes trophiques, rassemblant des espèces qui ont des fonctions similaires (Morin, 2011). Les échantillonnages ont été conduits dans différentes strates des vergers de manguiers, la surface du sol et la canopée des manguiers, afin d’obtenir une vision globale des communautés. Un travail important d’identification a été réalisé pour déterminer le maximum d’espèces présentes. L’étude des arthropodes dans les agroécosystèmes à La Réunion ayant principalement concerné les nuisibles des cultures et leurs ennemis naturels spécialistes, nous ne connaissions pas, au départ de l’étude, quels groupes taxonomiques étaient présents et représentatifs des groupes trophiques que nous souhaitions étudier.
Les travaux de caractérisation des communautés d’arthropodes se déclinent en deux objectifs spécifiques : (i) Identifier les espèces collectées ; (ii) Attribuer les espèces identifiées à des groupes trophiques, d’après la bibliographie ou d’après des analyses spécifiques.
Echantillonnage
Les arthropodes de la surface du sol ont été échantillonnés selon deux techniques : les pièges à fosse et des aspirations. Les pièges à fosse sont constitués d’un pot en plastique (diamètre : 12 cm ; profondeur : 11,5 cm) disposés verticalement dans le sol et dont l’extrémité apicale ouverte se situe légèrement en-dessous de la surface du sol. Le liquide de piégeage (250 ml) est constitué à part égale d’eau salée à une concentration proche de la saturation et de glycérol. Un toit en plastique est positionné 20 cm au-dessus du piège pour éviter son débordement par les pluies ou l’irrigation (Fig. 2.2). Huit pièges à fosse ont été disposés par parcelle et ont été laissés en place pendant une semaine. Les aspirations d’arthropodes à la surface du sol (en présence ou non de plantes) ont été réalisées avec un souffleur modifié de feuille (STIHL BG56), le long de transects perpendiculaires aux rangs de plantation des manguiers. Chaque transect a une longueur correspondant à l’écartement inter-rang de la parcelle considérée, l’ensemble des transects d’une parcelle représentent en moyenne 25, 3 ± 1, 1 mètres linaires par 1000 m2. Le nombre de transects par parcelle dépend de l’écartement inter-rang. L’unité d’échantillonnage est le transect ; les arthropodes et les débris aspirés sont récupérés dans des filets individualisés.
Les arthropodes de la canopée des manguiers ont été échantillonnés avec le même appareil. Des aspirations ont été réalisées sur un nombre d’arbres proportionnel à la taille de la parcelle, en moyenne 3, 75 ± 0, 2 arbre par 1000 m2. Pour chaque arbre (unité d’échantillonnage), les arthropodes de la canopée ont été aspirées en formant des cercles de 1 m de diamètre aux 4 points cardinaux, pendant une durée de 2-3 secondes par point, ce qui correspond à environ 10 secondes d’aspiration par arbre.
Compte-tenu de la distance entre les sites et de notre volonté d’échantillonner dans la même période de la journée (début de matinée), nous avons effectué les aspirations (à la surface du sol et sur la canopée des manguiers) durant 3 matinées consécutives avec au maximum 4 sites échantillonnés par jour.
Identification des arthropodes
Le tri des échantillons, visant à séparer les arthropodes collectés des débris et à classer les arthropodes selon leur ordre, a été effectué par Brice Derepas, David Muru, Ségolène Plessix, Mickaël Tenailleau (dans le cadre de leur Service Civique au CIRAD), Cedric Ajaguin Soleyen, Marie-Ludders Moutoussamy et Maxime Jacquot. Puis les identifications ont été réalisées avec l’aide de la bibliographie disponible et de la collection entomologique de l’UMR PVBMT (Pôle de Protection des Plantes). Pour la majorité des groupes, les spécialistes ont vérifié nos identifications sur la base d’une collection de morphotypes. Les arachnides, isopodes et myriapodes ont été identifiés par Brice Derepas et Maxime Jacquot, avec la confirmation des identifications d’araignées par Jean-Claude Ledoux, des acariens par Olivier Levoux et des isopodes par Franck Noël. Concernant les insectes, David Muru a identifié les espèces d’Hyménoptères avec confirmation des déterminations par Gérard Delvare (CIRAD, UMR CBGP). Les identifications des espèces appartenant aux autres ordres d’insectes ont été réalisées par Maxime Jacquot, avec l’appui initial de Sophie Gasnier et Jacques Rochat (Insectarium de La Réunion) pour les Diptères, Orthoptères et Lépidoptères. Ces identifications ont été vérifiées en grande partie par Jacques Poussereau pour les Coléoptères, Jean-Claude Streito (INRA, UMR CBGP) et Thibault Ramage (consultant) pour les Hétéroptères, Bruno Michel (CIRAD, UMR CBGP) pour les Thysanoptères. Les espèces différentes mais trop proches morphologiquement pour être distinguées, ont été rassemblées en un seul groupe d’espèce (nom de genre suivi par « spp »).
Attribution des espèces à des groupes trophiques
L’attribution des espèces à des groupes trophiques a été effectuée d’après la littérature. Nous considérons dans notre étude 10 groupes trophiques d’arthropodes, dont 6 groupes trophiques principaux :
• Herbivores nuisibles : les espèces connues pour être nuisibles au manguier, c’est-à-dire dont les dégâts sur la plante ont été démontrés ;
• Herbivores non nuisibles : les espèces d’herbivores (phytophages s.l.), n’étant pas connues pour être ravageurs du manguier ;
• Détritivores : les espèces de détritivores, microherbivores et mycétophages ;
• Omnivores : les espèces s’alimentant d’autres arthropodes ainsi que de plantes et de détritus ;
• Parasitoïdes : les espèces parasitant des arthropodes détritivores ou herbivores et entraînant leur mort ;
• Prédateurs : les espèces strictement prédatrices s’alimentant quasi exclusivement d’autres arthropodes.
D’autres groupes trophiques ont également été identifiés d’après la bibliographie, mais n’ont pas été pris en compte dans les analyses :
• Hyper-parasitoïdes : les espèces parasitant des arthropodes parasitoïdes et en-traînant leur mort ;
• Parasitoïdes supérieurs : les espèces parasitant des arthropodes prédateurs ou omnivores et entraînant leur mort ;
• Prédateurs myrmécophages : les espèces prédatrices de fourmis ;
• Prédateurs supérieurs : les espèces prédatrices d’autres prédateurs.
Analyses isotopiques
Afin de préciser l’écologie d’espèces très abondantes sur les inflorescences du manguier, des analyses isotopiques ont été réalisées. Le principe est de mesurer la signature isotopique d’éléments, c’est à dire le ratio entre les isotopes stables et les isotopes instables (δ). Pour l’azote et le carbone, cette signature varie selon l’écologie trophique des espèces. Par exemple, le type de processus de fixation du carbone par les espèces de plantes autotrophes entraîne des signatures différentes en δ13C, ce qui permet de différencier les ressources basales exploitées par des herbivores, et leurs prédateurs. Les isotopes de l’azote, quant à eux, permettent de différencier les niveaux trophiques puisque à chaque consommation d’une ressource, le consommateur s’enrichit en δ15N. Plus une espèce à un δ15N élevé, plus elle occupe une position haute dans le réseau trophique (Minagawa & Wada, 1984 ; Ponsard & Arditi, 2000). Ces analyses ont été conduites sur des échantillons prélevés spécifiquement dans ce but, en octobre 2014 (fin de la période de floraison des manguiers), dans 4 vergers de manguiers. Les arthropodes ont été prélevés par aspiration (STIHL BG56) sur les inflorescences de 10 arbres dans chaque verger. Des inflorescences et des feuilles de manguiers ont également été prélevées pour obtenir la signature isotopique des ressources basales présumées. Après leur collecte, les échantillons ont été placés au congélateur, jusqu’à leur tri et l’identification des espèces présentes sur chaque arbre. Une fois subdivisés en échantillons élémentaires par arbre échantillonné et par espèce, les échantillons ont été séchés en étuve (à 45◦ C), puis broyés. La contrainte majeure de ces analyses utilisant la spectromètrie de masse est la masse minimum requise en matière sèche (1 mg). Ceci nécessite de rassembler en un seul échantillon les individus d’espèces de petite taille et nous n’avons pas pu analyser les espèces peu abondantes et/ou très petites (comme les araignées). Enfin, les teneurs isotopiques (13C et 15N) ont été mesurées par Pascal Tillard de l’« Atelier des Isotopes Stables » (INRA, UMR « Biochimie et Physiologie Moléculaire des Plantes »).

Caractérisation des pratiques agricoles

Nous considérons les pratiques agricoles avec deux indicateurs : les caractéristiques des communautés végétales, qui reflètent les pratiques de gestion de la végétation adventice (fauche, irrigation, paillage, traitements herbicides) ; les traitements insecticides.
Gestion de la végétation adventice (communautés végétales)
L’objectif principal de l’échantillonnage des communautés végétales est de quantifier l’abondance et la diversité des groupes écologiques. Les identifications des espèces de plantes vasculaires sont réalisées sur les mêmes segments que ceux des prélèvements d’arthropodes par aspiration, une semaine avant ceux-ci. Les segments sont matérialisés par la mise en place d’un décamètre entre deux repères fixes (Fig. 2.3A). Pour une largeur augmentée de 1 cm de part et d’autre du décamètre, les bornes des distances occupées par chaque espèce de plante vasculaire à la surface du sol sont notées (Fig. 2.3B). Nous pouvons ainsi mesurer la distance linéaire recouverte par chaque espèce de plante et l’abondance et la diversité des plantes sur le transect. Un échantillonnage supplémentaire est réalisé un mois avant la floraison pour compléter les données en cas de fauche pendant la floraison des manguiers (pratique culturale habituelle).
Traitements insecticides
Dans le cadre du projet Biophyto, des enquêtes auprès des chefs d’exploitation ont permis de connaître les dates d’interventions sur la parcelle. Le recueil de ces informations a débuté en juillet 2012. On ne pourra donc seulement utiliser comme indicateur le nombre de traitements insecticides réalisé pendant la période de 2 mois avant la collecte des arthropodes (juillet et août), même si toutes les données sont disponibles de juillet 2012 à décembre 2014.

Caractérisation du paysage

Les exploitations n’ont pas été choisies d’après leur contextes paysagers. De plus, la proximité de certaines exploitations engendre des recoupements de paysage (Fig. 2.4). La cartographie du paysage a deux objectifs : mesurer la complexité du contexte paysager dans lequel se situent les parcelles et mesurer la disponibilité en ressources pour des espèces ou des groupes écologiques particuliers. L’utilisation du logiciel de système d’information géographique ArcGis, les photographies aériennes IGN de 2012 et des vérifications in situ annuelles ont permis de cartographier le paysage pour chaque période d’échantillonnage. Le paysage est étudié dans une zone circulaire de 400 m de diamètre autour de chaque parcelle. Dans cette zone d’observation, les patches représentant chaque habitat peuvent être classés en 3 groupes :
• Les habitats semi-naturels comprennent forêts, haies, ravines, friches et savanes ;
• Les cultures ont été différenciées pour chaque production, même en cas de pro-ductions multiples, comme dans certains vergers de manguiers où d’autres cultures sont mises en place entre les lignes d’arbres ;
• Les éléments « bâtis » comprennent toutes les constructions urbaines, les routes, les habitations et leurs jardins.
Les indicateurs du paysage ont été mesurés avec deux outils. Le logiciel Fragstats (4.2.) a permis de quantifier les indicateurs à l’échelle globale (diversité en habitats, longueurs des bordures, etc.) et le logiciel R a permis de quantifier les indicateurs à l’échelle des types de patchs (habitats).

Les communautés d’arthropodes

Importance des groupes taxonomiques

Au total 126753 arthropodes ont été collectés, 124001 ont été identifiés. Ils appartiennent à 4 classes, 23 ordres, 215 familles, 451 genres et 797 morphotypes. La précision des déterminations des morphotypes est variable, il y a par exemple : 217 morphotypes pour lesquels nous avons pu donner un nom d’espèce, 389 morphotypes avec un nom de genre et 156 morphotypes à l’échelle de la famille ou de la super-famille.
L’ordre le plus riche en espèces et abondant est celui des Hyménoptères (Fig. 2.5), avec deux groupes distincts : les fourmis (Hymenoptera : Formicidae) et les Hyménoptères Parasitica (grande partie des « Hymenoptera non-Formicidae »). Les fourmis représentent à elles-seules une grande nombre des arthropodes avec 65487 individus collectés pour seulement 21 espèces. A l’inverse, les autres Hyménoptères représentent plus de 300 espèces avec seulement 7500 individus collectés. Les thrips (Thysanoptera) et les Hémiptères (Hemiptera) sont deux groupes avec de fortes abondances. Elles peuvent être expliquées par le fait que trois des espèces d’insectes nuisibles du manguier font parties de ces deux groupes : une espèce de thrips et deux espèces d’Hemiptère. Les araignées (Araneae) et les Diptères (Diptera) sont également des groupes taxonomiques importants avec plus de 4000 individus inventoriés. En terme de richesse en espèces, quatre ordres se distinguent en plus des Hyménoptères : les Diptères, les Coléoptères (Coleoptera), les Hémiptères et les araignées.
Nos résultats constituent une contribution importante à la connaissance des arthropodes des vergers de manguiers à La Réunion, connaissances qui pourront être utiles pour d’autres systèmes arboricoles ou horticoles de l’île et pour les vergers de manguiers d’autres régions. Cette étude a permis le recensement d’espèces nouvelles pour La Réunion et d’espèces nouvelles pour la Science. Les nouvelles références d’espèces concernent principalement les araignées avec 11 nouvelles familles et au moins 32 nouvelles espèces. S’ajoutent à cela 4 morphotypes qui représentent potentiellement des nouvelles espèces pour la Science. Parmi les Hyménoptères parasitoïdes, on dénombre 2 nouvelles références de famille, 144 nouvelles références d’espèces (Muru et al en préparation) pour La Réunion.

Composition et importance des groupes trophiques

Au total 109741 individus de 523 espèces ont été attribuées aux 10 groupes trophiques, dont 109079 individus de 504 espèces d’arthropodes aux 6 groupes trophiques principaux (Tab. 2.1). Les nombres d’individus ou d’espèces qui ont pu être attribués à des groupes trophiques d’après la bibliographie ou les analyses isotopiques diffèrent selon les ordres (Fig. 2.5). En termes d’abondance et de richesse, le taux d’attribution à des groupes trophiques est faible pour les acariens (Acari), les Coléoptères, les Diptères, les Hyménoptères non-Formicidae, les Lépidoptères et les Orthoptères. Concernant les Hémiptères, le taux d’attribution à des groupes trophiques est assez bon en terme d’abondance, mais beaucoup moins en terme de nombre d’espèces.
Les groupes trophiques principaux ont des compositions taxonomiques différentes (Tab. 2.1) :
• Les herbivores nuisibles sont représentés par quatre espèces d’insectes, avec en majorité des Hémiptères (Cochenille des Seychelles et Punaise du manguier), des espèces de Cécidomyies du manguier (Procontarinia spp.) et une espèce de thrips
(Scirtothrips aurantii) ;
• Les herbivores non nuisibles constituent un groupe trophique important en termes d’individus et d’espèces ; avec en majorité des Hémiptères, des thrips et, dans une moindre mesure, des Coléoptères ;
• Les détritivores sont principalement représentés par des individus appartenant aux crustacés terrestres (Isopodes ou cloportes et Amphipodes), des Blattes et des Collemboles. Les Psoques et les Diptères dominent ce groupe trophique en richesse spécifique ;
• les omnivores sont quasiment exclusivement représentés par 19 espèces de fourmis. Parmi elles, 3 espèces exotiques envahissantes atteignent des abondances impor-tantes : Pheidole megacephala (55608 individus), Brachymyrmex cordemoyi (4440 individus) et Solenopsis geminata (1081 individus). Elles sont une composante importante de notre système, car elles sont susceptibles d’impacter la biodiversité fonctionnelle et ses services. Cette question sera traitée dans le chapitre 4 ;
• les parasitoïdes forment le groupe trophique le plus riche en espèces, composé de 182 espèces d’Hyménoptères et 8 espèces de Diptères. La diversité des Hyménoptères parasitoïdes est très importante, voire surprenante. Elle peut être expliquée par la complémentarité des trois techniques d’échantillonnage, alors que la plupart des études sur ce groupe utilisent des tentes malaises ou encore la mise en élevage d’arthropodes hôtes (le plus souvent d’importance économique) ;
• les prédateurs sont en majorité représentés par des araignées.
Les groupes trophiques mineurs sont composés de la façon suivante :
• les hyper-parasitoïdes : 47 individus et 3 espèces d’Hyménoptères ;
• les parasitoïdes supérieurs : 141 individus et 14 espèces d’Hyménoptères ;
• les prédateurs myrmécophages : une espèce d’araignée Tropizodium peregrinum Jocqué & Churchill, assez abondante (472 individus), dont la famille est connue pour être prédatrice de fourmis (Jocqué & Dippenaar-Schoeman, 2006) ;
• les prédateurs supérieurs : deux individus d’une espèce d’araignée dont la famille (Palpimanidae) est connue pour être prédatrice d’autres araignées (Jocqué & Dippenaar-Schoeman, 2006) ;

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Table des matières

Introduction générale
1 Contexte et enjeux
1.1 La biodiversité dans les communautés
1.2 La biodiversité dans les agroécosystèmes
1.3 Enjeux scientifiques de l’étude de la biodiversité dans le fonctionnement écologique des agroécosystèmes
2 Modèle d’étude : les agroécosystèmes à base de manguiers à La Réunion
2.1 La culture du manguier à La Réunion
2.2 Les insectes nuisibles aux inflorescences
La Cécidomyie des fleurs
La Punaise du manguier
Les Thrips
La Cochenille des Seychelles
La lutte chimique dans une impasse
3 Objectifs et démarche scientifique
1 Biodiversité et fonctionnement écologique des écosystèmes pour la régulation naturelle des insectes nuisibles des cultures 
Introduction
1.1 Mechanisms involved in the relationship between biodiversity and ecosystem processes
1.1.1 Biodiversity of a single trophic level
1.1.2 Biodiversity in consumer-resource systems (2 trophic levels)
1.1.3 Biodiversity in systems with more than two trophic levels
1.2 Regulation of arthropod pests in agroecosystems : effects of biodiversity, agricultural practices and landscape
1.2.1 Bottom-up and top-down effects of biodiversity on the control of arthropod pests
1.2.2 Effects of agricultural practices at local level
Effect of plant diversification through habitat manipulation
Effects of farming intensity
1.2.3 Landscape effects
1.2.4 Simultaneous effects of agricultural practices and landscape
Effects considered separately
Impact of landscape on the effect of agricultural practices
2 Caractérisation des agroécosystèmes à base de manguiers à La Réunion 
Introduction
2.1 Cadre de l’étude : le projet Biophyto
Objectifs de Biophyto
Dispositif de Biophyto
2.2 Matériels et méthodes
2.2.1 Localisation de l’étude
2.2.2 Démarche de collecte des données
2.2.3 Caractérisation des communautés d’arthropodes
Echantillonnage
Identification des arthropodes
Attribution des espèces à des groupes trophiques
Analyses isotopiques
2.2.4 Caractérisation des pratiques agricoles
Gestion de la végétation adventice (communautés végétales)
Traitements insecticides
2.2.5 Caractérisation du paysage
2.3 Les communautés d’arthropodes
2.3.1 Importance des groupes taxonomiques
2.3.2 Composition et importance des groupes trophiques
Les groupes trophiques par type de piège et par strate échantillonnée
Analyses isotopiques des communautés des inflorescences de manguiers
2.4 Pratiques agricoles
2.4.1 Communautés végétales
2.4.2 Traitements insecticides
2.5 Paysage
2.6 Conclusion
3 Interactions multi-trophiques dans les communautés des vergers 
Introduction
Evidence of bottom-up and top-down biodiversity controls in a tropical agroecosystem
3.1 Introduction
3.2 Materials and Methods
3.2.1 Study area and sampling
3.2.2 Arthropod communities
3.2.3 Farming practices
3.2.4 Landscape complexity
3.2.5 Structural equation models
3.3 Results
3.3.1 Composition of arthropod communities
3.3.2 SEM based on diversities of trophic groups
3.3.3 SEM based on abundances of trophic groups
3.4 Discussion
3.5 Conclusion
Acknowledgements
4 Régulation naturelle des insectes nuisibles dans les vergers 
Introduction
4.1 Contrasting predation services of predator and omnivore diversity mediated
by invasive ants in a tropical agroecosystem
4.1.1 Introduction
4.1.2 Materials and methods
Study area and sampling
Predation rate
Arthropod sampling
Community metrics
Model
4.1.3 Results
4.1.4 Discussion
Acknowledgements
4.2 Quels facteurs influencent l’abondance des arthropodes nuisibles ?
4.2.1 Introduction
4.2.2 Matériels et Méthodes
4.2.3 Résultats et Discussions
5 Discussion générale 
5.1 Caractérisation des communautés d’arthropodes et de plantes
5.2 Les facteurs influençant les fonctions et le maintien de la biodiversité
5.2.1 Contrôles descendants (top-down) et ascendants (bottom-up) de la biodiversité dans un agroécosystème tropical
5.2.2 Influence des fourmis envahissantes sur le service de prédation
5.2.3 Limites communes
5.3 Implications pour la gestion agroécologique des arthropodes nuisibles
5.3.1 L’importance de la diversité des ennemis naturels
5.3.2 Gestion agroécologique des insectes nuisibles et de la diversité des ennemis naturels
5.4 Réflexions sur la démarche et recommandations pour des études futures
5.4.1 « Et si c’était à refaire… »
5.4.2 Perspectives générales et recommandations
5.5 Apports de la thèse
Conclusion générale 
Références bibliographiques

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