Bibliothèques et archives : parcours croisés de futures institutions nationales

Bibliothèques et archives : parcours croisés de futures institutions nationales

L’ambiguïté des lois révolutionnaires

Le conflit qui oppose archives et bibliothèque dans la seconde moitié du XIXe siècle n’est pas seulement le résultat d’oppositions idéologiques ou historiographiques, elle est en partie le fruit d’une mésentente juridique. Françoise Hildesheimer a consacré un certain nombre de ses travaux au rôle déterminant qu’ont tenues les lois révolutionnaires dans la querelle des deux institutions. Pourquoi les archives nationales remettent-elles en cause la légitimité des collections de la Bibliothèque et pourquoi leurs rivaux trouvent dans les lois révolutionnaires un appui sans faille ? Rappelons tout d’abord que les Archives nationales sont créées par le décret du 7 septembre 1790 par Armand Gaston Camus qui avait été nommé archiviste des papiers de l’Assemblée Constituante un an auparavant. Il ne s’agit, pour le moment, que de traiter les archives de l’Assemblée, mais bientôt, le 25 juin 1794, le soin de conserver les archives du nouveau régime se concilie au souci de la conservation des archives du passé1, la Convention édicte une loi qui ambitionne de réguler l’afflux des papiers de l’ancien gouvernement. C’est cette loi, plus connue sous le nom de 7 messidor an II2, qui est la pierre de touche de notre conflit.

Une centralisation difficile

La loi du 7 messidor an II avait à l’origine une mission centralisatrice : « les archives établies auprès de la représentation nationale sont un dépôt central pour toute la République ». On y prévoit entre autres de réunir les états sommaires de tous les titres contenus dans les dépôts parisiens, ainsi que de collecter les archives du corps législatif. On crée pour ce faire un Bureau de Triage des titres qui a pour tâche d’identifier et d’organiser la masse de documents qui afflue ; mais la mission centralisatrice de la loi de messidor reste imparfaite et semble même avoir du mal à être appliquée à la rigueur. Françoise Hildesheimer le fait ainsi remarquer : « des fonds entiers furent retirés des Archives nationales (Maison du roi, papiers d’émigrés, des princes…), des dépôts particuliers établis pour les archives du Directoire, de la Secrétairerie d’État impériale, du Corps législatif de 1800 à 1814, conservés au Louvre et au Palais Bourbon. Seul le ministère de l’Intérieur procédait à des versements ». La jeune institution Archives, toute confrontée à la création de nouveaux dépôts et à l’absence de versements réguliers des institutions concernées, a du mal à s’imposer, et est encore loin de s’affirmer comme un dépôt général et unifié. Diverses tentatives voient pourtant le jour dans la première moitié du XIXe siècle pour étendre les attributions de la structure et réaliser concrètement sa centralisation. Françoise Hildesheimer signale un texte de1822 d’Isaac-Étienne de La Rue, alors garde général des Archives, qui prévoyait une extension de la loi de messidor : « la centralisation aux Archives du royaume des inventaires des archives départementales, le rapatriement des archives des anciennes juridictions, des titres domaniaux et diplomatiques, chronologiques et historiques considérés comme étant à l’abandon dans les départements, un droit de visite des dépôts départementaux, un dépôt des inventaires des “titres, chartes et diplômes et autres monuments de l’administration publique” conservés aux manuscrits de la Bibliothèque royale. Le projet n’eut pas de suite… ».
Il est à noter qu’en parallèle à la loi de messidor, un certain nombre de décisions datant de la Révolution avaient créé la confusion en attribuant chartes et archives administratives à la Bibliothèque du roi. La bibliothèque de Législation, d’histoire et de droit public, créée en 1788, et qui réunissait le dépôt de Législation et le cabinet des chartes avait été transférée, par le décret du 14 août 1790 de la Constituante, à la Bibliothèque royale2. D’Ormesson, président de la commission des monuments, qui était à l’origine de ce transfert, avait également obtenu qu’un versement des archives du couvent des Grands Augustins soit fait en faveur de la Bibliothèque3. Au surplus, en 1791 la Bibliothèque acquiert, sur ordre du roi, cinq volumes du Trésor de la Sainte-Chapelle4 ainsi que les chartes de l’abbaye de Cluny en 1792. La répartition des biens nationaux reste, à première vue, assez aléatoire. Ainsi, quand le Bureau du triage des titres eut fini par fusionner avec les Archives nationales en 1801, une bonne majorité des chartes et papiers d’Ancien Régime redistribués n’avaient pas rejoint les Archives.
Cette loi de messidor, qui admettait des fuites vers d’autres institutions a naturellement été reniée par les archivistes lors de notre conflit de 1861. Jugée contre le principe de centralisation, les archivistes ont préféré exhumer un projet de décret datant de 1808 jamais appliqué, édicté par Napoléon 1er, qui renforçait le pouvoir centralisateur des Archives. Ce décret, largement interprété comme un renversement de la loi Révolutionnaire, prévoyait que « toutes les archives existantes à Paris, sous quelque dénomination que ce puisse être5, seront
placées dans celui de ces Palais [Soubise] qui ne sera pas occupé par l’Imprimerie impériale »1. Les archivistes, et notamment Félix Ravaisson2, qui usent systématiquement de cet argument pour justifier leurs revendications, comprennent dans l’expression « sous quelque dénomination que ce puisse être » une périphrase désignant entre autres les chartes détenues par la Bibliothèque Impériale. Cette interprétation d’une annulation possible de la loi révolutionnaire suscite volontiers une levée de boucliers chez les bibliothécaires, dont le défenseur en titre est Natalis de Wailly3. Le sous-directeur des manuscrits réaffirme toute la légitimité de l’application de la loi de messidor, non seulement du point de vue scientifique que du point de vue pratique ; il ne ne manque pas d’observer, par ailleurs, que cette dernière loi n’avait pas été complètement suivie par le Bureau du triage des titres puisqu’un certain nombre de chartes et manuscrits légalement attribuées à la Bibliothèque sont demeurés dans la section historique des Archives. Lors des commissions de répartition de 1861, l’un des membres présent, le conseiller d’État Mr. De Sébastien Joseph Boulatignier faisait observer en ce sens : « Les archives centrales n’ont jamais eu d’attributions définies (…) En résumé, l’origine légale de la collection faite à la bibliothèque impériale (…) est la loi de messidor an II. C’est la règle à laquelle il faut se rattacher »4. C’est à ce constat que se rallie la commission de 1862 qui ne dépossède pas la Bibliothèque de ses chartes incluses dans ses collections anciennes, mais consent néanmoins à verser aux Archives de l’Empire tous ses fonds indépendants acquis sous la Révolution.
La définition des archives dans la loi de messidor : un malentendu ? Cette partie de la législation révolutionnaire nous apparaîtra donc, dans son essence, conservatrice : conception générale, terminologie, pratique, tout apparaît, en bien comme en mal, étonnement conforme à la plus authentique tradition de l’administration monarchique5.
Nous aimerions compléter cette observation d’Amédée Outrey en évoquant ici ce qui nous paraît toucher le nœud du problème de la loi de messidor. Si la question de la centralisation « fantôme » a amené l’institution des Archives à établir un certain nombre de réclamations, on peut considérer que le désaccord de type définitionnel fut le plus brûlant et le plus profond de tout le débat. Regardons pour ce faire l’article XII de la loi de messidor : « le comité fera trier tous les dépôts de titres, soit domaniaux, soit judiciaires, soit d’administration, comme aussi dans les collections et cabinets de tous ceux dont les biens ont été confisqués, les chartes et manuscrits qui appartiennent à l’historien, aux sciences et aux arts ou qui peuvent servir à l’instruction, pour être réunis ou déposés, savoir : à Paris, à la Bibliothèque nationale, et dans les départements, à celle de chaque district ». La loi considère de fait que les archives de la monarchie pouvaient revêtir un caractère historique, et cette valeur intrinsèque conduit les législateurs à transférer ces biens d’érudition en Bibliothèque. A bien y regarder, il n’y a là rien que de conforme à l’esprit du temps. Nous y retrouvons la conception classique de la Bibliothèque comme lieu du savoir, et, nous l’avons vu, la collection des sciences et des arts de la Bibliothèque était déjà très variée à cette époque. Ce qui est nouveau, c’est la scission systématique des document administratifs et scientifiques dans les institutions de référence. De manière très confuse sont distinguées les archives administratives des archives scientifiques, et par extension, les archives des Archives, des archives de bibliothèque. Pour continuer en ce sens et reprendre l’expression de Françoise Hildesheimer, au moment de la Révolution sont distingués les « archives vivantes » des « monuments » (ou archives mortes) : « En fin de compte, en France à la veille de la Révolution, on peut admettre qu’on distinguait grosso modo deux grandes catégories documentaires : les archives titres ou actes au sens précis d’instruments juridiques, authentiques et conservés dans des dépôts dits publics pour l’usage des ayants droits, des hommes de loi et des officiers publics (…) archives vivantes1 à la disposition du pouvoir; et les monuments historiques, conservés dans les dépôts de manuscrits, actes authentiques tombés en désuétude ou simples copies (…) archives administrativement mortes à la disposition des érudits »2. Cette dichotomie entre archives titres et monument historique, qui est le fondement de la loi de messidor, correspondait donc à la classification « monarchique » du savoir, ainsi que le faisait remarquer Amédée Outrey .
Cependant, au milieu du XIXe siècle, la conception et les méthodes de la connaissance ont changé, et c’est justement parce que la loi de messidor est rentrée idéologiquement en rupture avec les nouvelles méthodes d’érudition de la seconde moitié du XIXe siècle que les dirigeants des Archives ont graduellement contesté la validité de la répartition que commandait la loi révolutionnaire. Au milieu du XIXe siècle, une bonne majorité des archivistes et des historiens reconnaissent le caractère scientifique de la vieille notion d’ « archives-titre ». Répondant parfaitement aux nouvelles pratiques de la connaissance historique, les Archives deviennent progressivement un lieu d’érudition ; or aux yeux de la loi, les Archives nationales n’étaient considérées que comme un dépôt d’actes et de copies : la loi de messidor n’admettait pour les Archives qu’un rôle purement
1 Nous soulignons 2 Françoise Hildesheimer, « Échec aux archives », op.cit, p 95 Tavernier Sabrina | L’archiviste et le collectionneur dans l’organisation du savoir au XIXe siècle – L’exemple du conflit entre les Archives de l’Empire et la Bibliothèque Impériale administratif. C’est donc la redéfinition des archives et de l’institution de conservation qui va intellectuellement diviser, en 1861, les différents protagonistes du conflit.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
I. BIBLIOTHÈQUES ET ARCHIVES : CONCURRENCE OU DISSEMBLANCE ?
1 Bibliothèques et archives : parcours croisés de futures institutions nationales
1.1. Les collections de la bibliothèque Impériale et le modèle de l’érudition humaniste
1.2. Histoire(s) des archives
2 L’ambiguïté des lois révolutionnaires
2.1. Une centralisation difficile
2.2. La définition des archives dans la loi de messidor : un malentendu ?
3 Le contexte intellectuel de la querelle dans l’évolution de la connaissance scientifique au XIXe siècle
3.1. Le siècle de l’Histoire
3.2. Une politique de scientificité en marche
PREMIÈRE CONCLUSION
II. LE CONFLIT ARCHIVES-BIBLIOTHÈQUE : LES DÉBUTS D’UNE DISTINCTION ENTRE FONDS ET COLLECTION ?
1 Quelle place pour la notion des « respect des fonds » ? L’exemple du parcours sinueux de la chronique de Pierre des Vaux de Cernay
1.1. Petit abrégé de la provenance et de l’acquisition de l’Histoire Albigeoise
1.1.1. L’implication de la collection Joly de Fleury dans l’échange de la chronique
1.1.2. L’utilisation implicite de la théorie du respect des fonds dans la revendication de la chronique de l’Histoire Albigeoise
1.2. Pourquoi une certaine idée de « respect des collections » supplante l’idée de « respect des fonds » lors des commissions de répartition ?
1.2.1. La Théorie du respect des fonds appliquée à la collection de bibliothèque
1.2.2. L’environnement documentaire des chartes détenues par la Bibliothèque
1.3. L’application pratique du respect des fonds lors de l’échange de la chronique de Pierre des Vaux de Cernay
1.3.1. La théorie du respect des fonds à l’épreuve des conflits institutionnels
1.3.2. De l’inefficacité des « régularisations de principe »
2 Deux représentations concurrentes du savoir lors des commissions de 1861-1862 : l’exemple de la revendication du Cabinet des titres et généalogies
2.1. Situation et revendication du Cabinet des titres et généalogies
2.1.1. Légitimité légale et scientifique du transfert du Cabinet des titres et généalogies aux Archives
2.1.2. Du rôle à jouer par l’institution conservatrice sur le Cabinet des titres et généalogies
2.2. L’expertise du savant contre la scientificité institutionnelle
2.2.1. De la valeur scientifique ou institutionnelle de l’authentification
2.2.2. Le fonds d’archives : une garantie de l’authenticité des documents ?
2.3. Recueils encyclopédiques et fonds d’archives
2.3.1. Le rôle de l’État dans la gestion des fonds d’archives et des collections de Bibliothèque
2.3.2. La Bibliothèque possède-t-elle des fonds d’archives ?
CONCLUSION GÉNÉRALE

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