BALISER UNE POPULATION INVISIBLE

BALISER UNE POPULATION INVISIBLE

ENQUÊTER SUR UNE CONSOMMATION DÉTOURNÉE

Enquêter sur une consommation détournée se consacre dans un premier temps à se centrer sur une revue de la littérature dans l’optique premièrement de contextualiser historiquement et sociologiquement le phénomène Viagra construit médicalement et socialement par notamment l’apparition de la terminologie de « dysfonction érectile », ce problème physiologique et cette réponse pharmacologique s’inscrivant dans une bidirectionnalité du phénomène, autrement dit ils s’influenceraient mutuellement, autant en causes qu’en conséquences. Deuxièmement, elle a pour but de se saisir de la construction sociale et médiatisée de la sexualité masculine sous le prisme de la performance, valeur suprême de ce qui institue notamment la virilité. Troisièmement, elle a pour vœu de se centrer sur des recherches sociologiques et concepts y relatifs ayant apprivoisé les objets de carrière et de trajectoire pour porter une compréhension sur le vécu des consommateurs, sur leur manière de faire, de considérer leur parcours, leur relation au produit, etc. Quatrièmement, elle a pour ambition de questionner la dimension du risque sanitaire et de la confronter, en vertu des études sociologiques relatives à la perception des risques sous-jacents aux pratiques consommatoires, à des formes de rationalisation et relativisation du risque, autrement dit aux différentes stratégies opérées subjectivement par les consommateurs. Cette revue de la littérature, en abordant différents concepts permettant de soutenir la tension épistémologique inhérente à la question de recherche, permettra donc de dresser la problématisation de cette consommation, cette dernière semblant a priori inattendue et impensable. Toutefois, enquêter sur une consommation détournée ne se limite pas à la pose de concepts existants utiles émanant de la littérature sociologique et médicale, bien qu’ils s’avèrent utiles et nécessaires à la trame de la problématisation, mais au balisage d’une population manifestement invisible. Dans un deuxième temps, le second chapitre de cette première partie a donc pour objectif la pose de choix méthodologiques dans l’optique in fine de se saisir pleinement de l’expérience enracinée de ces jeunes utilisateurs qui, eux, représenteront les témoins-clefs de cette enquête qualitative. En effet, le sens de la consommation ne peut que mieux s’expliquer par l’articulation des enjeux de significations, de perceptions sous-jacents aux comportements inhérents à la pratique consommatoire. Cette population, caractérisée de prime abord d’invisible, il a fallu déployer des moyens de recrutement, autant divers que variés, nécessitant du temps, de la créativité, de la persévérance et de la patience, pour obtenir des contacts puisque la population dont nous étions en quête n’était pas repérable institutionnellement et qu’il était impossible de l’identifier objectivement. Cette partie, à la fois conceptuelle et technique, a été rédigée en premier lieu car d’une part elle s’avère pertinente pour comprendre de quoi traite ce sujet, sur quels fondements théoriques la problématisation se forme mais elle nécessite également d’appréhender les enjeux, défis, contraintes et opportunités auxquels nous avons dû faire face pour pénétrer le terrain, aborder la population, par quel matériau nous avons recueilli les données et comment nous les avons traitées. Cette partie présentée, elle donnera suite aux deux parties pleinement analytiques sur lesquelles notre propre matériau a été consolidé d’une part par l’alternance de nos réflexions propres issues des données recueillis et d’autre part par des ressources théoriques nourrissant et soutenant les propos évoqués.

Les troubles érectiles : réalité factuelle ou construction sociale ?

Comme mentionné précédemment, il nous semble important de contextualiser en particulier la question des troubles érectiles et leur apparition dans le langage médical tout en évoquant également de façon parallèle l’arrivée sur le marché de la ″pilule bleue″, soit le Viagra. En effet, cette contextualisation semble nécessaire d’une part pour comprendre la médicalisation d’un dysfonctionnement érectile qui n’était pas traité auparavant comme tel et d’autre part l’arrivée de cette pilule sur le marché en 1998 qui a amené progressivement une forme de détournement de son usage initial. Le détournement de ces stimulants chimiques de l’érection serait alors le processus qui a amené certains hommes à faire usage du Viagra, du Cialis, du Levitra et des produits génériques non plus pour traiter médicalement un problème érectile défini par la médecine mais pour combler d’autres besoins et viser d’autres utilités sociales. Comme le relève Alain Giami, « ainsi, paradoxalement, la médicalisation de l’impuissance masculine ouvre-t-elle la voie à la démédicalisation de la sexualité en excluant progressivement les médecins de la prescription et en plaçant l’élaboration des normes de santé et de sexualité sous le contrôle de l’industrie pharmaceutique. » 16 Les troubles de l’érection regroupent dès lors deux types de phénomènes qui sont les plus fréquemment appréhendés chez la population masculine : l’éjaculation précoce et la dysfonction érectile. Concernant la dysfonction érectile, elle était usitée autrefois sous le terme d’″impuissance″, cette dernière étant désignée dans le langage médical comme « […] l’impossibilité d’obtenir une érection ou de la maintenir pendant un certain temps. » 17 La sexologie qui appréhende ces troubles est une discipline nouvelle qui apparaît entre la fin du XIXe et le début du XXe , cette dernière étant représentée entre autres à travers les travaux d’Iwan Bloch, de Sigmund Freud ou encore d’Henry Havelock Ellis essentiellement abordée sous la focale psychologique18. Les premières études sur la sexualité humaine voient le jour au milieu du XXe siècle avec des enquêtes se concentrant particulièrement sur les comportements sexuels, telles que les enquêtes d’Alfred Kinsey ou encore de William Masters et son épouse Virginia Johnson19. Si un terme doit être usité à l’époque pour parler des problèmes sexuels masculins, il s’agit de celui d’″impuissance sexuelle″ ou encore d’″impotence″20. La terminologie d’impuissance est alors remplacée par une autre, celle de ″dysfonction érectile″, dès l’année 1993 à l’issue du congrès du National Institute of Health sur l’Impotence21 . La nouvelle terminologie est alors approuvée à l’unanimité au niveau international lors de l’ICED22 de 1999 et l’ICED de 200323. Ce seront les urologues du ″groupe de Boston″ qui seront toutefois les initiateurs de cette nouvelle terminologie, créée en 1989. « Ces urologues proposent d’abandonner le terme d’impuissance pour celui de ″dysfonction érectile″ définie comme « l’incapacité persistante à obtenir ou à maintenir une érection d’une rigidité suffisante pour avoir un rapport sexuel. Le degré de dysfonction érectile est variable et peut se situer entre une diminution partielle de la rigidité pénienne ou de la capacité à maintenir une érection et le manque complet d’érection. Cette définition est restreinte à la capacité érectile du pénis et elle n’inclut pas les problèmes de libido, d’éjaculation et d’orgasme. » 24 Cette définition n’appréhendera plus alors le problème sous une forme psychologisante ou relationnelle comme elle le faisait antérieurement avec la terminologie d’impuissance. La proximité des années entre la nouvelle terminologie qui sera utilisée dorénavant, soit la dysfonction érectile, la recherche en médecine sexuelle davantage orientée sur les troubles sexuels et la mise sur le marché de la pilule bleue, le Viagra, ne constitue pas un hasard en soi comme l’avancent Michel Bozon, Alain Giami ou encore Meika Loe25, sociologue américaine qui a longtemps travaillé sur la commercialisation du Viagra et les multiples stratégies du plus grand groupe pharmaceutique mondial, Pfizer. Alors que Michel Bozon, tout comme la sociologue Mika Loe, restent très critiques vis-à-vis des relations étroitement tissées entre l’industrie pharmaceutique et la médecine, puisque selon celui-ci, « un intense soutien à l’industrie pharmaceutique est apporté à des urologues (le groupe de Boston), qui défendent cette étiologie organique et s’attachent, en occupant le terrain de l’épidémiologie, à produire et à publier des études qui majorent considérablement les proportions d’hommes atteints : ainsi, tous les hommes déclarant dans les enquêtes ″avoir eu parfois une absence d’érection″ sont comptabilisés comme affectés par une dysfonction érectile » 26. Alain Giami, quant à lui, rapporte que « l’engouement des hommes pour une prise en charge individuelle, rapide et efficace, plus fort aux Etats-Unis qu’en France, est devenu l’élément moteur de la ″pathologisation″ du trouble érectile, et du succès du produit, avant même les changements d’attitude des médecins. » 27

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE
ENQUÊTER SUR UNE CONSOMMATION DÉTOURNÉE
CHAPITRE I
INTERROGER UNE CONSOMMATION INATTENDUE
1.1 Les troubles érectiles : réalité factuelle ou construction sociale ?
1.2 Les constructions sociales d’une sexualité masculine performante
1.3 Carrière et trajectoire sociale : le processus temporel de la consommation
1.4 Le (s) risque (s): des définitions scientifiques aux perceptions individuelles
CHAPITRE II
BALISER UNE POPULATION INVISIBLE
2.1 L’approche qualitative : comprendre le sens des logiques
2.2 Critères de sélection de l’échantillonnage : l’âge et la non-prescription
2.3 Diversification d’accès à la population : un échantillonnage en extensivité
2.4 Population étudiée : profils et caractéristiques sociodémographiques
2.5 La relation d’enquête : apprivoiser un terrain hétérosexué
2.6 Recueil et traitement de données : les choix méthodologiques
DEUXIÈME PARTIE
INCORPORATION DE LA PRATIQUE ET IMAGINAIRES CONSTRUITS
CHAPITRE I
CARRIÈRE : LES ÉTAPES FRACTIONNÉES D’UNE PILULE
1.1 De l’entrée en consommation : les modalités d’initiation
1.2 Les modalités de maintien : accès, procédure et conditions
1.3 Sortie ou impasse : la complexité du levier d’arrêt de la pratique
CHAPITRE II
LES INFLUENCES PERCEPTUELLES SUR LA PRATIQUE
2.1 Marketing et publicité…cinématographique : une influence perceptuelle
2.2 Le dualisme synthétique – naturel : perceptions euphémiques des substances
2.3 Dopage sexuel et (il) légitimité : de la stigmatisation à la justification .
TROISIÈME PARTIE
PILULE DE LA DÉSIRABILITÉ SOCIALE : ENTRE BÉNÉFICES ET COÛTS
CHAPITRE I
FINALITÉS SOCIALES D’UN USAGE INITIALEMENT MÉDICAL
1.1 Contexte festif et polyconsommations : plaisir paroxystique et exutoire à la pression
sociétale
1.2 De l’incertitude de l’érection à la réassurance en soi
1.3 La pornographie : vectrice des ″mises en scène″ d’une sexualité performante
1.4 Durée, performance et compétitivité : des connotations sportives de l’activité sexuelle
1.5 Le souci d’apparence de soi à l’épreuve du jugement social
CHAPITRE II
L’ÉRECTION A SES RAISONS QUE LA RAISON IGNORE
2.1 Stratégies rationnelles mises en œuvre : une pratique maîtrisée
2.2 Minoration du risque & prédominance des bénéfices sociaux
2.3 Signification du risque : quel encadrement ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
GRILLE D’ENTRETIEN
DÉCLARATION SUR L’HONNEUR
CURRICULUM VITAE

 

 

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