Au cœur de l’idéologie et du discours impérialiste l’exemple de la Conférence de Londres

Au cœur de l’idéologie et du discours impérialiste :l’exemple de la Conférence de Londres

La dissociation entre empire « formel » et « informel » est un lieu commun de l’histoire impériale telle qu’elle a été écrite à partir de la fin du XIXème siècle. Elle correspond à la séparation, faite dans de nombreux travaux, entre une expansion politique traditionnelle, pensée comme un agrandissement de la sphère nationale, et une autorité indirecte, exercée à travers des structures économiques. Les territoires de l’empire formel correspondent alors à ces zones peintes en rouge sur les cartes de l’Empire. A ces espaces qui, sur le papier, sont montrés comme une continuation des valeurs et du système politique anglais : une « plus grande Bretagne ».
Dans cette optique, les premiers historiens de l’Empire, comme Seeley ou Edgerton ont considéré les événements se rapportant à l’empire formel comme les seules traces visibles de l’activité impériale . L’histoire du XIXème siècle a alors été écrite comme une succession de périodes d’impérialisme et d’anti-impérialisme, associées chacune à des phases d’extension et de contraction de l’empire et au degré de croyance en la capacité de la GrandeBretagne à exercer une véritable gouvernance politique au-delà des mers. Cette périodisation est propre à chaque historien en ce qu’elle est intimement liée à sa définition de l’Empire. C’est ainsi qu’Hobson (qui n’est pas un historien mais plutôt un théoricien) propose dans Imperialism son propre bornage établissant que la phase d’expansion impériale qui s’est mise en place après 1880 diffère des conquêtes opérées par le passé. Cette périodisation sert la vision qu’il a des événements et lui permet de repenser l’impérialisme pour mieux le dénoncer. Or, le renouveau historiographique qui s’est opéré à partir des années 1950, avec notamment l’apport des premiers travaux de la New Imperial History, a tendu à montrer que cette dissociation entre empire formel et informel, autant qu’entre impérialisme traditionnel et « nouvel impérialisme » n’est pas si hermétique que veulent bien le montrer ceux qui l’ont théorisée. Et que le refus d’annexer certains territoires n’est pas nécessairement le produit d’une réticence à y exercer une forme quelconque d’hégémonie . Les frontières fixées à des phénomènes aussi complexes et protéiformes ne peuvent être que mouvantes et l’impérialismeanglais du début du XXème siècle ne se limite pas uniquement à la définition qu’en a faite Hobson, aussi documentée et rationnelle soit elle. Il a donc semblé pertinent ici de dépasser son approche purement théorique pour considérer une documentation issue directement des acteurs de l’Empire. Pour ce faire j’entends marquer un temps d’arrêt sur la conférence qui constitue le point de départ de mon travail. En effet, la conférence de Londres qui s’est tenue en 1902 est un bon exemple d’initiative politique visant à réaffirmer l’impérialisme anglais dans le contexte particulier qu’est celui du début du XXème siècle. L’étude de cet événement, associée à son inscription rigoureuse dans le contexte idéologique et politique qu’est celui de la Grande-Bretagne, constitue donc une excellente occasion de pénétrer au cœur de la machine impérialiste pour en saisir la nature et les méthodes. La base documentaire de ce travail sera une traduction officielle, imprimée par ordre du parlement britannique, du compte rendu communiqué après la conférence à toutes les parties présentes. Ce document en langue française, édité à destination du Canada francophone, me permettra d’étudier avec précision les discours tenus à propos de l’impérialisme par certains de ses artisans les plus vigoureux et constituera un pas de plus dans l’historicisation du terme et du concept.

L’Angleterre et le « difficile enfantement du XXèmesiècle »

Je commencerai ce chapitre par une mise en contexte qui, si elle peut paraître un peu conséquente (d’autant qu’elle sera essentiellement basée sur une bibliographie de seconde main) me semble néanmoins indispensable à une lecture juste et complète des sources que j’entends mobiliser. En effet, l’objectif de ce travail n’est pas d’étudier la Conférence et la documentation qui en découle comme des faits isolés, mais bien de considérer la manière dont elles s’insèrent dans le contexte politique et idéologique de la Grande-Bretagne en 1902. Ce contexte est particulier car il est marqué en Angleterre par de fortes mutations accompagnées de ce que j’appellerai ici une crise idéologique et identitaire. Une série d’événements de natures diverses a alors contribué à bousculer les élites britanniques dans la manière dont elles se représentaient l’Empire et le monde. Des faits géopolitiques qui, sans porter une atteinte concrète à la puissance britannique, ont eu pour effet de la narguer et de la remettre en question.
En premier lieu, il semble utile de mentionner la naissance en 1898 de l’impérialisme américain comme le premier de ces éléments perturbateurs . Le 21 avril de cette année, une guerre éclate entre deux puissances, apparemment de second rang. D’un côté l’Espagne, reine déchue des Amériques, où ses possessions jadis considérables se réduisaient alors à quelques îles dont Cuba, la « perle des Antilles ». De l’autre les États-Unis, indépendants depuis à peine plus d’un siècle et achevant tout juste leur reconstruction après plusieurs années de guerre civile. Ayant pour objet la souveraineté sur Cuba et les Philippines, la guerre Hispanoaméricaine dure quatre mois et se conclut le 12 août 1898 par la victoire des États-Unis, entérinée le 10 décembre de cette même année avec la signature par les deux partis du traité de Paris. Contre toute attente ce conflit marque les relations internationales en constituant une étape phare dans la construction de la puissance américaine. Il établit le point de rupture à partir duquel les États-Unis enclenchent une phase d’expansion territoriale caractérisée par l’exercice d’une souveraineté indirecte se limitant parfois à une influence économique sur les territoires concernés (essentiellement d’anciennes possessions espagnoles). Cette entrée du pays dans le jeu de l’impérialisme moderne bouscule l’Angleterre dans ses certitudes pour plusieurs raisons . Tout d’abord elle fait entrer un nouvel adversaire dans la lutte des puissances occidentales pour la course à la colonisation. Les États-Unis se constituent en effet, tout au long du XIXème siècle, en une nation capitaliste prospère dotée d’un système de production diablement efficace, inondant le commerce international de produits divers. Des secteurs comme la métallurgie y sont en plein essor et la fabrication de fonte par exemple, est multipliée par trente-cinq entre 1860 et 1910. Cela a pour effet d’ériger le pays en première place de la production mondiale d’acier à la fin du siècle . De plus les Etats-Unis représentent, de par leur histoire, un exemple d’échec de la Grande-Bretagne dans la gestion de ses colonies lointaines. Le fait de voir cette ancienne possession devenir à son tour un géant impérialiste et un concurrent dans le jeu des puissances mondiales ne fait qu’interroger la capacité des dirigeants anglais à disposer de leur Empire. D’autant qu’un autre événement fondamental de l’histoire coloniale britannique survient la même année.

La Conférence de Londres, un projet politique ?

La Conférence, de par sa nature, colle tout à fait avec le double projet du parti Unioniste : renforcer la puissance des conservateurs dans le pays en renforçant le poids de l’Empire britannique dans le jeu des relations internationales. Or, selon cette part du corps politique, la prétendue décadence de l’Empire à l’extérieur est due à un trop grand sentimentalisme de la Chambre des Communes dans la gestion des affaires impériales. Lord Selborne, premier Lord de l’Amirauté et successeur de Lord Milner comme Haut Commissaire en Afrique du Sud formule explicitement cette pensée lorsqu’il déclare que le problème à résoudre consiste à « substituer une véritable autorité impériale à la Chambre des Communes dans la direction de l’Empire » . L’objectif politique des impérialistes est donc d’obtenir une forme d’autonomie de l’Empire vis à vis du Parlement. Le modèle des conférences coloniales tel qu’il est défini à ce moment là convient parfaitement à de telles aspirations. Dans ces réunions le représentant de l’autorité britannique est le Secrétaire d’État, ce qui a pour effet de soustraire au Parlement son rôle quant à la gestion des affaires relatives à l’Empire. Le dialogue engagé avec les Premiers coloniaux déroge alors aux règles élémentaires du système démocratique en évinçant notamment l’opposition libérale des échanges avec les Premiers coloniaux (même si à ce stade les conférences n’ont pas de pouvoir décisionnaire réel mais plutôt un rôle consultatif). En ce sens la Conférence de Londres apparaît comme une véritable manœuvre politique destinée autant à renforcer l’hégémonie internationale britannique qu’à profiter au parti conservateur au sein de la métropole. Or, malgré l’intérêt historique qu’il peut avoir, cet aspect politique de la conférence n’est pas le point qui m’intéresse ici. Si elles se doivent d’être mentionnées, les retombées que l’événement a pu avoir sur les débats parlementaires ne sont utiles à considérer en détail que dans le cadre d’un travail portant uniquement sur l’Angleterre. Dans cette étude ce sont les conséquences internationales de la conférence que j’entends étudier.
La conférence formule le projet d’une fédération politique des vieille colonies autonomes, bien loin de l’impérialisme économique capitaliste qu’a défini Hobson et de sa tendance expansionniste. Or, il faut garder en tête l’idée qu’Empire formel et informel sont deux faces d’une même pièce . Ainsi ce n’est pas parce que la conférence insiste sur un renforcement politique de l’Empire qu’elle écarte nécessairement une volonté d’expansion économique informelle : l’action politique contribue à la croissance d’une suprématie commerciale qui, en retour, renforce considérablement l’influence politique de la métropole . De ce point de vue la doctrine défendue lors de la conférence est bien celle des impérialistes de ce temps. Cette réunion constitue donc un véritable apport à mon travail en donnant à voir les caractéristiques d’un discours impérialiste qui entend avoir des répercussions directes sur la politique internationale de l’Angleterre. Ainsi, si Hobson formalise l’usage du terme d’impérialisme dans une volonté de dénoncer le phénomène, il est utile ici de prendre le contre-pied de son propos et d’étudier la manière dont se construisent les discours des partisans de l’expansion. Dans cette optique, l’intérêt de la documentation mobilisée est double. Tout d’abord, un tel document représente une véritable mine d’information quant au socle théorique et idéologique qui sous tend le projet des impérialistes britanniques au début du XXè siècle. Ensuite, son apport se trouve paradoxalement dans les non-dits de la conférence. Ce qui n’est pas ouvertement exprimé. Ce compte-rendu a notamment la particularité de ne pas comporter la moindre mention du terme d’impérialisme : un manque qui rend indispensable une réflexion sur la manière dont un discours impérialiste peut se construire sans faire une seule fois usage de ce mot.
Le regard porté sur ce corpus s’arrêtera en premier lieu sur une retranscription du discours prononcé par Joseph Chamberlain en ouverture de la Conférence de Londres. En effet, l’intérêt de cette prise de parole est qu’elle reprend point par point le projet dont la conférence fait l’objet. Son étude permet donc de voir immédiatement les éléments sur lesquels le Secrétaire d’État entend insister, tout en montrant les procédés oratoires auxquels il a recours pour mettre en exergue l’aspect vertueux de son projet. Le discours s’organise en quatre ensemble distincts. Une première partie, assez courte, fait office d’introduction. Chamberlain y rappelle les raisons pour lesquelles les parties ont été réunies ainsi que l’objectif principal de la conférence : « resserrer davantage si c’est possible, le lien qui nous unit » . Une seconde partie, ensuite, est dédiée aux «Relations Politiques » de la métropole avec l’Empire et porte sur la question de la représentation des colonies au gouvernement britannique. Une troisième reprend les éléments relatifs à la « Défense de l’Empire » en exposant le projet consistant à faire participer les colonies autonomes à la constitution d’un projet militaire de défense impériale. Une dernière partie, enfin, est consacrée aux « Relations Commerciales » entre les différents territoires représentés et expose notamment le projet de faire de l’Empire un espace économique renforcé par une union douanière et par l’instauration du libre échange.

Un discours politique qui tente d’occulter la nature agressive du phénomène

Le premier de ces documents, qui constitue la quatrième annexe présentée à l’appui des délibérations, reprend point par point les modalités de l’aspect militaire du projet présenté à la conférence. Or, si l’aide demandée aux colonies autonomes concernant l’entretien d’une flotte et d’une armée coloniale est montrée à de nombreuses reprises comme ayant pour but de « porter secours, en cas d’urgence » au titan fatigué, le paragraphe suivant fait montre d’un tout autre dessein.

L’impérialisme dans la langue française

« Esprit de domination chez un peuple. Crise d’impérialisme.»

C’est sous cette définition que le terme d’impérialisme fait, en 1935, sa première apparition dans le Dictionnaire de l’Académie Française. Ce décalage temporel entre la naissance du néologisme, sa mobilisation dans les discours, et son apparition dans un dictionnaire aussi prestigieux que celui-ci est intéressant en ce qu’il est révélateur d’évolutions dans le rapport entretenu tant au vocabulaire qu’au phénomène impérialiste.
Les précédents chapitres ont montré qu’après son émergence en France, le terme d’impérialisme s’est rapidement exporté vers l’Angleterre, voisine et rivale, pour décrire le regard qui y était porté sur les réalités politiques du Second Empire. En Grande-Bretagne, ce mot est devenu un véritable slogan politique, formalisé par des théoriciens dans une acception anti-impérialiste. En parallèle de cette évolution du vocabulaire, l’imperialism : l’impérialisme anglais s’est développé et structuré en écartant de ses discours le terme en question. Une dissociation s’est opérée entre ce mot et les réalités qu’il entend décrire.
L’étude du cas britannique est alors essentielle pour plusieurs raisons. D’abord, c’est en son sein que s’est développé le sens contemporain du terme. Le temps pris pour étudier sa structuration permet donc d’appréhender de manière plus avertie les discours et le vocabulaire rattachés à l’impérialisme. Ensuite, l’étude d’un impérialisme, tant dans ses modalités que dans ses moyens d’application permet de définir mieux le concept qui est au cœur de ce travail. Il aide à souligner les éléments qui apparaissent comme des constantes et qui sont susceptibles de s’appliquer à d’autres contextes nationaux. Cette approche fournit en fait des clés pour étudier le phénomène impérialiste d’un point de vue transnational en permettant notamment d’identifier des caractéristiques applicables indifféremment aux puissances occidentales d’alors. L’Empire britannique est donc appréhendé comme un élément de comparaison qui permet de voir que l’impérialisme n’est pas un particularisme ancré dans une sphère nationale mais bien une réalité apatride. Qu’il trouve dans la diversité des situations différents modes d’application.
L’objectif de ce troisième chapitre est donc de décentraliser l’approche suivie jusqu’ici. De se départir du seul cas Anglais pour voir, toujours au travers des discours et de l’écrit, les formes prises par l’impérialisme dans la langue française. Dans l’optique de cerner au mieux les sens et les emplois d’un terme à une époque donnée, la difficulté majeure réside dans la mise à distance des connaissances les plus récentes à son propos . Aussi, afin de ne pas projeter les connotations d’aujourd’hui sur des usages antérieurs il est utile de multiplier les données sur ce vocabulaire, sans privilégier un auteur, un courant de pensée ou une situation d’usage . Une première approche consiste à étudier la définition du terme dans les dictionnaires d’époque afin de dresser l’inventaire des principaux usages en cours, de situer les orientations sémantiques et de fixer un cadre général à la recherche entreprise . Comme le dit si bien A. Rey, « la prolifération des sens et des valeurs demande une synthèse ; celle des dictionnaires est parfois éclairante » . Il faut néanmoins avoir conscience qu’un tel support a des limites. La généralité du propos occulte par exemple le contexte de production du terme étudié ainsi que sa place dans un discours. Elle a néanmoins l’intérêt de donner à voir ce qui est admis, ou ce qu’on veut montrer comme tel. Les définitions d’un dictionnaire se distinguent bien souvent d’une référence au mot dans un discours en ce qu’elles sont le résultat d’un cheminement destiné à fournir une définition consensuelle. Ce support entend fixer l’usage du mot, le pérenniser pour que le sens qui lui est associé soit uniforme. La possibilité même de définition témoigne d’une relative stabilité conceptuelle dont l’étude permet d’identifier des pratiques linguistiques et discursives . Passer en revue les définitions d’impérialisme dans les dictionnaires français, étudier leurs évolutions et oscillations, c’est donc voir le rapport qu’entretient la France (au sens de ceux qui parlent et écrivent le Français) au mot et au concept d’impérialisme.

Un rapport complexe et ambigu à l’Angleterre et l’impérialisme

S’il a été possible de noter une chose dans le cheminement qu’a connu le début de cette étude, c’est que le terme d’impérialisme, dans la langue française, dénote un rapport particulier entretenu avec l’étranger, particulièrement en ce qui concerne l’Angleterre. Pour cause, historiquement, le rapport entre les deux nations est tumultueux. Les relations francobritanniques sont à placer dans le cadre d’une rivalité séculaire exacerbée dans les dernières décennies du XIXème par des intérêts contradictoires sur le plan colonial. Cette compétition des puissances est fondamentale ici car c’est autour d’elle que le lobby colonial a pu émerger. Il est le fruit d’une synthèse entre le nationalisme des années 1870 et le constat de la position hégémonique de l’Empire britannique à la fin du XIXème siècle. Il paraît donc tout à fait normal que les publicistes du parti colonial entretiennent un rapport complexe à l’Angleterre dans le sens où celle-ci a eu un rôle significatif dans le développement et la structuration tant de leur vision du monde colonial que de leur place dans la société.

L’impérialisme chez les acteurs de l’opinion publique : l’exemple de Jean Jaurès et Yves Guyot

L’étude de la position adoptée par les publicistes du lobby colonial vis-à-vis tant de laConférence que de l’Angleterre et l’impérialisme s’est avérée être une étape véritablement constructive pour comprendre la place de ces questions au sein de l’opinion. Or, le lobby n’est pas le seul groupe à œuvrer au sein de la sphère médiatique et si son réseau est plus complexe qu’il n’y paraît, il n’occupe qu’une place bien définie dans la multitude de publications que compte la presse française dans les premières années du XXème siècle. En effet, dans la période étudiée, la France est pleinement engagée dans ce que Dominique Kalifa et Alain Vaillant ont appelé la « civilisation du journal ». L’essor de ce support médiatique (et de la lecture périodique en général), en raison du caractère massif de sa production, de l’ampleur de sa diffusion et des rythmes nouveaux qu’il impose, modifie profondément les pratiques culturelles et politique, les appréciations et les représentations du monde . Aussi, malgré l’activité du lobby, la question coloniale est loin d’être hégémonique, noyée dans la masse d’informations relayée chaque jour par une presse quotidienne toujours plus influente. Celleci comporte en effet d’autres acteurs qui n’ont pas fait de l’expansion coloniale et de la mise en valeur des colonies leur cheval de bataille. D’autant que depuis l’automne 1896 l’opinion est toute entière tournée vers un vaste scandale qui restera comme l’une des plus grandes crises politiques et médiatiques de la Troisième République : l’Affaire Dreyfus.

Deux conceptions bien distinctes de l’impérialisme et du monde colonial

Le premier élément qu’il semble utile de relever dans les textes sélectionnés est la place radicalement différente qu’accordent les deux hommes à la Conférence de Londres,preuve qu’ils sont influencés par des doctrines bien distinctes. En effet, dans la période étudiée, Yves Guyot est préoccupé par la conférence de Londres. Il y fait référence dans plusieurs de ses articles quand Jaurès, de son côté, n’en fait pas la moindre mention explicite.
Pour cause, tout possédé par une pensée libérale héritée en grande partie de l’exemple britannique, Guyot a le regard largement tourné vers l’Angleterre qui reste la référence européenne dans ce domaine. Or, si mes recherches ont bien montré une chose, c’est que la conférence de Londres a peu attiré l’attention de la presse française où elle n’occupe qu’une place très relative. Néanmoins, ceux qui s’intéressent de près ou de loin à l’Angleterre sont au fait de cet événement car il est l’expression de préoccupations profondes de la société britannique. Aussi, avant même d’être informé des résultats de la conférence par la publication du Blue Book, l’auteur est déjà au fait des questions dont cette réunion est le produit. Il publie ainsi, dès août 1902 (avant même la fin des délibérations donc) un article intitulé « L’école de Manchester et l’Empire britannique » où il fait montre d’un intérêt notable pour les débats qui ont trait à la question du libre échange au sein de l’Empire. Il écrit alors ceci.
Ici, la mention du Blue Book, associée plus loin à une série de chiffres précis relatifs aux tarifs douaniers appliqués par les colonies à l’issue de la réunion, atteste encore une fois de l’intérêt de Guyot pour les questions qui ont trait à la Conférence. L’auteur ne se contente pas de réagir à chaud ; il a lu le document et a su en tirer des conclusions. Ce que ce court passage montre assez bien, c’est que l’objectif poursuivi n’est pas ici de donner à voir au lectorat français les résultats des délibérations qui se sont tenues à Londres. Le présent article n’est donc pas guidé par une volonté de faire des réalités britanniques une réalité d’importance aux yeux des français. On est bien loin de l’article de Paul Leroy-Beaulieu où sont détaillés scrupuleusement, sur une trentaine de pages, les tenants et les aboutissants de l’impérialisme britannique. L’intérêt de Guyot pour cet événement est dû aux questions qu’il soulève en matière d’économie, à propos notamment des politiques protectionnistes des puissances occidentales. La Conférence de Londres et l’impérialisme ne sont donc pas le propos central de l’auteur. Ils sont mobilisés comme exemple à de nombreuses reprises mais occupent en définitif une place toute relative dans les articles considérés. C’est pourquoi d’ailleurs il charge peu le terme d’impérialisme qui n’est pas ici porteur d’hostilité ou de véhémence (ou du moins pas à l’égard de l’Angleterre). Le concept est utilisé comme un terme descriptif, qualifiant une réalité britannique certes, mais que l’auteur n’entend pas dénoncer. Il écrit par exemple que « L’impérialisme anglais est fondé sur l’indépendance des colonies, et tout partisan du vieux pacte colonial, des droits différentiels en faveur des produits coloniaux, peut dire sans paradoxe : l’Angleterre n’a pas de colonies » . Le terme décrit bien l’influence que la Grande Bretagne a sur ses possessions mais aucune référence n’est faite à une prétendue politique agressive ni même à une quelconque volonté d’expansion.

Un usage politique du terme, bien loin du seul impérialisme anglais

Ainsi, si les deux hommes tiennent de manière plus ou moins revendiquée une position anti-impérialiste dans leurs écrits, cette valeur est loin d’être fondamentale dans leur pensée. La carrière politique d’Yves Guyot montre par exemple qu’il est bien hostile à la colonisation. Il appartient à la fraction radicale du parti républicain qui combat la politique colonialiste de Jules Ferry. En 1883, il s’oppose à l’occupation de la Tunisie et conclut son ouvrage La Morale par un vaste appel à la fraternité des hommes. En 1885, année de son élection, ses « lettres sur la politique coloniale » représentent une véritable dénonciation des modalités de l’expansion française . Or, s’il tient cette position c’est surtout parce que ces expéditions militaires choquent ses conceptions économiques et que l’une des conséquences les plus directes de l’expansion coloniale française est l’instauration de relations protectionnistes avec les territoires conquis. Guyot est si attaché à la pensée libérale et au libre-échange qu’il est essentiel, pour bien comprendre son œuvre, de considérer ses écrits et prises de position au prisme de cette pensée. C’est d’ailleurs elle qui explique la sympathie manifeste pour l’Angleterre qui transparaît dans ses publications.

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Table des matières

PARTIE1 – « IMPÉRIALISME » : HISTOIRE D’UN MOT
CHAPITRE1 – UN PASSAGE DU« SENTIMENT À LA THÉORIE » FORMALISÉ PAR LES DISCOURS ANTIIMPÉRIALISTES
Du Second Empire aux discours politiques anglais, les premières décennies de l’impérialisme
Hobson et le Nouvel Impérialisme
Dénoncer pour réformer : des théories économiques au service de l’anti-impérialisme
CHAPITRE2 – AU CŒUR DE L’IDÉOLOGIE ET DU DISCOURS IMPÉRIALISTE : L’EXEMPLE DE LACONFÉRENCE DELONDRES
L’Angleterre et le « difficile enfantement du XX ème siècle »
La Conférence de Londres, un projet politique ?
Un double discours, entre références sensibles et démonstration rationnelle
Un discours politique qui tente d’occulter la nature agressive du phénomène
CHAPITRE3 – L’IMPÉRIALISME DANS LA LANGUE FRANÇAISE
Historiographie et caractéristiques de l’impérialisme français
La France, spectatrice lucide de l’impérialisme ?
PARTIE2 – PRODUCTEURS DE SOURCES ET ACTEURS DE LA SPHÈRE MÉDIATIQUE. 
CHAPITRE4 – LE LOBBY COLONIAL
Nature et organisation du lobby colonial
Paul Leroy-Beaulieu et Joseph Chailley-Bert, des « bulletinistes » au cœur du lobby
Un rapport complexe et ambigu à l’Angleterre et l’impérialisme
CHAPITRE5 – L’IMPÉRIALISME CHEZ LES ACTEURS DE L’OPINION PUBLIQUE : L’EXEMPLE DEJEANJAURÈS ETYVESGUYOT
Deux conceptions bien distinctes de l’impérialisme et du monde colonial
Un usage politique du terme, bien loin du seul impérialisme anglais
PARTIE3 – UN CHANGEMENT D’ÉCHELLE : ANGLETERRE, EMPIRES ET IMPÉRIALISME DANS LES JOURNAUX FRANÇAIS EN1902
CHAPITRE6 – LES FIGURES DE L’IMPÉRIALISME
L’affaire Dreyfus et Fachoda, préambules à la construction d’un discours sur l’étranger
Le conflit anglo-boer, symbole populaire des excès britanniques
Edouard VII, Salisbury et Chamberlain : des personnages allégoriques
CHAPITRE7 – LE DISCOURS SUR L’ÉTRANGER COMME STRATÉGIE POLITIQUE
La critique française de l’Angleterre impériale, symptôme d’une crise morale.
Trouver dans l’Empire les traces ténues de la décadence britannique
L’impérialisme français comme alternative vertueuse à l’expansion britannique

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