Argumentation linguistique vs Argumentation discursive

THEORIE DE L’ARGUMENTATION

Argumentation linguistique vs Argumentation discursive

Dans les travaux francophones, la théorie de l’argumentation a longtemps été dominée par des recherches orientées vers l’étude de l’argumentation dans la langue ou ″argumentation linguistique″ selon les formulations de Ducrot.
Pour Ducrot et Anscombre (1983) l’argumentation est constitutive de la langue, la signification des expressions linguistiques est donnée dans les enchaînements argumentatifs. Ils considèrent que la force ou l’orientation argumentative d’un énoncé est « la classe de conclusions suggérées au destinataire : celle que l’énoncé présente comme une des visées de l’énonciation » (Anscombre et Ducrot 1983 :149). Cette force a des marques dans la structure même de l’énoncé ce qui entraine le destinataire vers une conclusion déterminée. Ils défendent l’idée que l’argumentation est une activité de la raison, et qu’il est question d’une logique argumentative dans laquelle « l’expression de la passion ne peut être que source de dévoiement de cette activité » (Charaudeau 2002 :24). Cette théorie définit l’argumentation comme une composante fondamentale de la signification des énoncés.
Cependant, à partir des années 1980, les études francophones sur l’argumentation ont connu de nouvelles orientations. Notamment avec les travaux de J-M Adam (1997-2004) qui étudie l’argumentation comme un mode d’agencement des énoncés dans un texte ; en analyse du discours, l’argumentation dans le discours telle qu’envisagée par Amossy présente l’argumentation de façon large comme « toute parole qui oriente des façons de voir, ou qui suscite la réflexion autour d’une question autorisant des réponses antagonistes » (2000 : 30).
Enfin, dans les travaux qui se réclament de l’analyse des interactions, l’argumentation est envisagée dans un modèle ″dialogal″ qui se fonde sur ″une confrontation discursive″ ; Plantin (2005 :53) définit « la situation argumentative typique comme le développement et la confrontation de points de vue en contradiction en réponse à une même question ». (Cité par Amossy 2008) Puisque notre travail de recherche se situe dans le champ de l’AD, nous nous intéresserons particulièrement, à la théorie de l’argumentation dans le discours.

Théorie de l’argumentation dans le discours développée par R. Amossy

En se basant sur les deux grands modèles – la nouvelle rhétorique et la pragma-dialectique- Amossy (2012) présente les modalités d’intégration de l’argumentation dans l’analyse du discours ou ce qu’elle présente dans Amossy (2000) comme « la théorie de l’argumentation dans le discours ».
Ce qui intéresse l’analyse du discours c’est l’étude du langage en usage ainsi que des différentes fonctions qu’il peut remplir dans l’espace social. Il s’agit de voir comment « l’analyse peut intégrer la composante argumentative pour éclairer le fonctionnement du discours en situation » (Amossy 2012 :4). Elle met l’accent sur la mise en discours de l’argumentation. L’analyse argumentative doit dans un premier temps dégager les arguments de la matérialité discursive afin de déceler le modèle selon lequel est construit l’argument. Ensuite, elle détermine comment l’argument est pris en charge par un discours qui lui donne son sens et sa force. C’est en tenant compte de ces deux étapes « qu’il est possible d’éclairer les modalités d’utilisation du langage en situation en y intégrant ses visées d’influence »
Dans une approche socio discursive de l’argumentation, le discours est étudié en situation, en fonction de certaines contraintes institutionnelles et dans des cadres sociaux que le locuteur doit prendre en considération en construisant son argumentation.
Selon Amossy, l’analyse doit « dégager les éléments constitutifs de l’argumentation discursive en les rapportant à une situation de discours, à des rapports de place, à un interdiscours saturé d’idées reçues et d’argumentaires préformés » (Ibidem). Ainsi les partenaires de l’échange seront obligés de respecter la situation de communication dans laquelle ils se trouvent engagés. C’est en fonction de cette situation et à partir d’elle qu’il y aura production et interprétation des actes de langage, et donc de construction /co-construction de sens.
Ainsi, l’argumentation acquiert un aspect pragmatique en replongeant dans un espace social ayant des normes et des contraintes institutionnelles. On retrouve des locuteurs capables de prendre des décisions et d’agir (tels qu’ils étaient présentés par la rhétorique), mais dont le pouvoir reste limité et conditionné par les forces sociales. Selon Amossy :
Un triple déplacement s’effectue ainsi :celui qui replonge les raisonnements abstraits dans le fonctionnement global du discours sans les y dissoudre ; celui qui replonge l’argumentation dans un espace social comprenant des normes, des contraintes institutionnelles et des jeux de pouvoir qui la contraignent sans diluer l’entreprise de persuasion ; et celui qui prive l’argumentateur de sa maîtrise absolue en faisant ressortir les forces sociales qui le conditionnent, sans le priver de sa liberté et de sa responsabilité.
C’est à partir de l’articulation des composantes de a) l’énonciation telle qu’elle a été initié par Benveniste et repensée en termes discursifs ; b) de la notion de dialogisme de Bakhtine prolongée par celle d’interdiscours ; c) de la pragmatique qui considère le dire comme un faire ; qu’Amossy situe l’argumentation dans le discours en proposant une intégration de l’argumentation rhétorique dans l’analyse du discours.
Dans une pratique analytique, elle parle d’une argumentation qui rend compte de « la façon dont le discours fonctionne » à travers l’étude du « dispositif communicationnel et des techniques discursives qui permettent de faire adhérer à une position » (Amossy 2012 : 8). Il s’agit de déconstruire le discours et d’essayer de retrouver ses composantes afin de dégager la logique qui préside à l’élaboration d’un discours en fonction de données socio-institutionnelles. C’est une approche qui a été qualifiée de descriptive par opposition à l’approche normative issue de la logique et de la dialectique.
Mucheli (2012) présente l’approche descriptive comme issue de la rhétorique et des sciences du langage, elle s’intéresse aux ressources subjectives et émotionnelles du discours, et à sa capacité de représenter le réel. Cette approche est descriptive dans la mesure où elle ne cherche pas à confronter le discours à des normes mais se contente de « rendre compte d’une dynamique dans sa complexité propre » (Amossy 2012).
Par cette approche, Amossy se distingue nettement des travaux de Fairclough et Fairclough (2012) qui se situent dans le courant de la CDA (analyse critique du discours) développé dans les sciences sociales. En se proclamant de l’argumentation et particulièrement de la pragma-dialectique, ces travaux ont un aspect normatif. Ils examinent la validité logique des raisonnements soumis à l’autre et tentent de repérer tout ce qui ne respecte pas les règles de la délibération.

Charaudeau et la problématique d’influence

Charaudeau propose une intégration de l’analyse argumentative dans l’analyse du discours en se focalisant sur une problématique d’″influence″. Il considère l’analyse argumentative comme « l’un des moyens de procéder à l’analyse de tous les processus discursifs qui interviennent dans la co-construction du sens à laquelle se livrent les partenaires, dans une visée d’influence » (Charaudeau 2008 b : 12).Pour lui l’analyse du discours s’attache moins à la découverte de la vérité, qu’aux jeux de mise en scène de la vérité comme ″croire″ et ″faire croire″. Il s’agit notamment du processus de prise de contact, comment le sujet établit sa relation avec l’autre et impose sa présence ; du processus de construction de l’image de l’orateur(ethos), du processus langagier qui peut toucher l’autre et le faire adhérer sans résistance (pathos) et enfin du processus d’influence qui est le mode d’organisation du discours. Charaudeau considère que chacun de ces processus fait l’objet d’une mise en scène qui obéit à une certaine mécanique et fait appel à certains procédés que l’on peut décrire et catégoriser. Il part de l’idée qu’aucun raisonnement n’a de force en soi et que la raison argumentative dépend de certaines considérations. Tout d’abord c’est en fonction de la situation de communication que se construit le sens de tout acte de langage, et c’est à partir de là qu’un argument acquiert sa validité.Ainsi, en considérant que c’est la situation de communication qui donne à l’acte argumentatif sa force de validité, Charaudeau définit trois grands ordres argumentatifs : la démonstration correspond à la situation qui a pour objectif d’établir une vérité (exemple de l’article scientifique) ; l’explication permet de faire savoir une vérité déjà établie (exemple d’un manuel scolaire de physique) et la persuasion qui correspond aux situations de faire croire (exemple de la publicité). Il s’agit là d’enjeux situationnels qui permettent d’établir une distinction à l’intérieur de l’activité argumentative.De plus, ce sont les conditions de mise en scène discursive qui permettent de juger la pertinence de l’argumentation. Pour cela le sujet argumentant doit respecter les trois étapes suivantes dans sa mise en argumentation : La première est l’étape de problématisation, elle introduit le thème et la question qui se pose à son propos. Il s’agit de présenter plusieurs situations qui peuvent s’opposer et prêter à discussion. De plus c’est une problématisation vis à vis de laquelle le locuteur doit se positionner, il présente la validité comme l’effet sémantique produit en cohérence avec la situation dans laquelle sont employés les mots doit préciser quel est son point de vue, quelle est la position qu’il défend ou celle à laquelle il s’oppose.Cependant, il peut y avoir des cas où le sujet expose les avantages et les inconvénients de chaque position sans pour autant se positionner lui-même. Enfin, après avoir problématisé et pris position, la personne qui argumente doit justifier son choix afin de convaincre l’autre et le pousser à adhérer à son point de vue. Dans ce cas, elle peut se livrer à deux types d’opérations. Le premier concerne les opérations de raisonnement qui consistent à établir des rapports de cause/conséquence en précisant la force du lien qui existe entre eux (possible-probable-nécessaire-inéluctable-etc.). Le second se présente sous forme de choix entre des arguments de valeur qui joueront le rôle de ″garant″ du raisonnement et qui auront un impact sur le destinataire.
Charaudeau précise que « tout acte de langage se trouve sous la responsabilité d’un sujet qui est à la fois contraint par la situation et libre de procéder à la mise en discours qu’il jugera adéquate à son projet de parole ». (2007 :15). Autrement dit, ces déterminations sociales ne vont pas bloquer l’échange, car le locuteur va pouvoir choisir librement de construire son discours en fonction de son projet de persuasion. Mais cette liberté engagera aussi sa responsabilité.

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Table des matières

DEDICACES
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
CHAPITRE I. ANCRAGE THEORIQUE ET CHOIX METHODOLOGIQUES
I.1. L’ANALYSE DU DISCOURS
I.1.1- L’analyse du discours à la française
I.1.2.Origines philosophiques
I.1.3. Les Différentes approches en analyse du discours
I.1.3.1.Théories de l’énonciation
I.1.3.1.1. Énoncé / Énonciation
I.1.3.1.2. Les différents indices de la subjectivité
a) Embrayeurs et /ou déictiques
b) S’agit-il d’anaphores ?
c) Les différents embrayeurs
I.1.3.2. L’Approche pragmatique
I.1.3.2.1. Les étapes de l’évolution de la pragmatique
I.1.3.2.2.Pragmatique intégrée : Le point de vue de Ducrot
I.1.3.3- Dialogisme vs Polyphonie
I.1.3.3.1. Les concepts de dialogisme et de polyphonie chez Bakhtine
I.1.3.3.2. Nouvelle polyphonie : Oswald Ducrot
I.1.3- La notion de discours
I.1.3.1. La définition du mot Discours
I.1.3.2. Le discours une donnée sociale
I.1.3.3. Le discours comme action
I.2. THEORIE DE L’ARGUMENTATION
I.2.1. L’analyse argumentative
I.2.1.1. Fondements et approches d’une théorie de l’argumentation
I.2.1.1.1. Fondements rhétoriques
I.2.1.1.2. Fondements logiques
I.2.1.1.3. Fondements pragmatiques
I.2.1.1.4. Entre visée argumentative et dimension argumentative
I.2.1.2 .Argumentation linguistique vs Argumentation discursive
I.2.1.2.1.Théorie de l’argumentation dans le discours développée par Amossy
I.2.1.2.2. Charaudeau et la problématique d’influence
I.2.1.3. Dispositif d’énonciation
I.2.1.3.1.Comment se définit un auditoire ?
I.2.1.4. Les savoirs partagés : fondement de l’argumentation
I.2.1.4.1. La notion de doxa
I.2.1.4.2. La notion de ″lieu commun″ comme schème logico-discursif
I.2.2.Stratégies argumentatives
I.2.2.1. Approche définitoire
I.2.2.2. Logos ou raisonnement logique
I.2.2.3. Stratégies éthiques et stratégies pathétiques
I.2.2.3.1. Stratégies éthiques
I.2.2.3.2. Stratégies pathétiques
CHAPITRE II : OBJET, CORPUS ET OUTILS D’ETUDE.
II.1.OBJET D’ETUDE : LE DISCOURS POLITIQUE
II.1.1.Le Discours politique : un genre discursif
II.1.1.1. La notion de genre aujourd’hui
II.1.1.2.La notion de genre selon différents points de vue
II.1.1.3. Les différentes conceptions de la notion de genre discursif
II.1.1.3.1. Selon Bakhtine
II.1.1.3.2. Selon Charaudeau
II.1.1.3.3. Selon Maingueneau
II.1.2. Le genre politique
II.1.2.1. Idéologie vs Politique
II.1.2.1.1. La notion d’idéologie
II.1.2.1.2.La notion de représentation sociale chez Charaudeau
II. 1.2.2. Les caractéristiques du discours politique
II.1.2.3. Les contraintes du discours politique
II.1.3 L’argumentation dans le discours politique
II.1.3.1. Le discours politique entre convaincre et persuader
II.1.3.2. Les différents types d’arguments dans le discours politique
II.1.4. Le discours politique algérien : un discours populiste
II.1.4.1. Le populisme en Algérie
II.1.4.2. Le discours populiste en Algérie
II.1.4.3. La notion de peuple dans le discours politique algérien
II.2. CHOIX DU CORPUS
II.2.1. Pourquoi les discours du président Bouteflika ?
II.2.2.Présentation du corpus existant
II.2.3. Constitution du corpus de référence
II.2.3.1. Présentation et description du corpus de référence
II.2.3.2. Tropes V8, un outil de travail
II.2.3.3.. Présentation de chaque discours
II.2.4.Corpus d’analyse
II.2.4.1. Constitution du corpus d’analyse : Les désignants
II.2.4.1.1. La notion de désignation
II.2.4.1.2. Les différentes conceptions de l’acte de nommer
II.2.4.1.3. Désignation vs Référence
II.2.4.1.4. Les descriptions définies
II.2.4.1.5. Les noms propres
II.2.4.1.6. Les démonstratifs
II.2.4.1.7. Les pronoms
II.2.4.2. Premier corpus de travail : la désignation pronominale
II.2.4.3. Deuxième corpus de travail: la désignation nominale
CHAPITRE III : LA DESIGNATION COMME STRATEGIE ARGUMENTATIVE DANS LE DISCOURS D’A. BOUTEFLIKA : ANALYSE ET INTERPRETATION.
INTRODUCTION
III.1. LA DESIGNATION PRONOMINALE : Je/Nous et les autres
III.1.1. Etude de la désignation pronominale de la première personne
III.1.1.1. La première personne du pluriel : Nous
III.1.1.1.1. Les fonctions du Nous chez Bouteflika
III.1.1.1.2.Les valeurs du nous chez Bouteflika1
a) Le Nous national
b) Le Nous locuteur collectif
c) Le Nous idéologique
III.1.1.1.3.Les formes adjectivales de Nous : Notre et Nos
III.1.1.2.Quand Bouteflika dit Je : construction des différents ethos
III.1.1.2.1. Les verbes associés à Je
a) Les verbes déclaratifs
b) Les verbes d’opinion
c) Les verbes de sentiments
d) Les verbes exhortatifs
III.1.1.2.2. Les autres procédés énonciatifs employés par Boutreflika
a) L’emploi des adjectifs
b) L’emploi des adverbes
c) L’emploi des substantifs
d) La négation polémique
III.1.1.2.3. La référence religieuse et la construction de l’ethos
III.1.1.2.4. Les figures identitaires dans les discours de Boutefika
a) Les ethos de crédibilité
b) Les ethos d’identification développés par Bouteflika
III.1.2- Les autres ou l’auditoire visé : L’emploi du vous
III.2. LA DESIGNATION NOMINALE : Etude des désignants nationaux
III.2.1- Les désignants territoriaux: Pays, Nation, Algérie, Patrie, État
III. 2.1.1- Marginalisation ou sous-emploi de Patrie
III.2.1.2.- Equivalence entre Nation et État
III.2.1.2.1. Nation :Entité collective et objet passif
III.2.1.2.2. État : L’institution officielle et l’agent actif
III.2.1.3- Pays, un bien commun
III.2.1.4. Algérie,lieu d’appartenance et de possession
III.2.2. Les désignants sociopolitiques
III.2.2.1.Peuple : le désignant collectif
III.2.2.1.1. La notion de peuple dans les discours de Bouteflika
III.2.2.1.2. La représentation du peuple
III.2.2.1.3. Peuple et religion dans les discours de Bouteflika
III.2.2.2. Les Algériens entre eux
III.3. LA DESIGNATION INTERPELLATIVE
III.3.1. Citoyens, citoyennes
III.3.2.Mes chers compatriotes
III.3.3. Chères soeurs, chers frères
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
A- La désignation pronominale
B- La désignation nominale

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