Archéologie du métier de script-girl en France (1915-1930)

Organiser la mémoire de plateau : lʼémergence dʼune nouvelle aire de compétences et lʼapparition des premières « secrétaires de mise en scène » dans les années 1920

En 1924, dans un devis du film Feu Mathias Pascal de Marcel L’Herbier se trouve mentionné un poste de « secrétariat de mise en scène ». Cette expression est comparable à celle de « secrétaire de plateau » qui sera encore employée par Jean-George Auriol en 1938 pour traduire le terme « script girl » dans lʼouvrage de Nancy Naumburg Silence ! On tourne, comment nous faisons les films par vingt artistes et techniciens de Hollywood2, du fait de la nature du métier (le choix du terme « secrétaire ») et de son attribut cinématographique. En effet, cette secrétaire de mise en scène du film Feu Mathias Pascal est nommée dans le personnel technique de « prise de vues » : la spécificité de ces secrétaires est de travailler sur des tournages. La publication dʼAuriol, si elle date de 1938, rend compte toutefois de la réception et de la visibilité du métier de script-girl en France et révèle, à mon sens, un visage du métier. Cette citation, ici, démontre que des rapprochements peuvent être faits entre le métier de script-girl des années 1930 et ce poste de secrétaire de mise-en-scène des années 1920. Auriol définit ainsi la secrétaire de plateau/script-girl américaine dans un glossaire à la fin de lʼouvrage quʼil a traduit et quʼil a lui-même ajouté.
Un rôle similaire à celui dʼun poste de script-girl à Hollywood dans les années 1930 pourrait donc exister sur des plateaux français au moins dès 1924.
Rappelons aussi que Diamant-Berger, comme nous lʼavons vu plus tôt, définissait la script-girl comme une secrétaire. Dans chacun des cas, quʼil sʼagisse dʼun possible futur modèle du métier de script-girl (le devis de Feu Mathias Pascal), de la script-girl hollywoodienne (Auriol) ou dʼune script-girl française (Diamant-Berger), elles sont intrinsèquement liées aux métiers du secrétariat.
Nous chercherons, dans ce chapitre, « ce quʼil y a eu avant la script-girl », à travers cette notion de « secrétaire “de cinéma” ». Il nous faut connaître le terme (et donc le métier) de secrétaire, pour comprendre les traces laissées par cette discipline (les tâches, fonctions, responsabilités qui lui sont attribuées) dans la fabrication des films dès 1915 et tout au long des années 1920, soit, avant lʼemploi du terme « script-girl » en France.
Si nous venons de voir que la spécificité de ces secrétaires est de travailler sur des plateaux de tournage, notons quʼen 1950, les rédacteurs des conventions collectives nʼemploient pas le terme « secrétaire » – contrairement à Auriol qui lʼutilise encore dans les années 1930 – pour expliquer le métier de script-girl.
En 1950, la script-girl se distingue alors de la « secrétaire de production » qui, elle, est la Si cette définition date de 1950 et que, dans ce chapitre, nous nous consacrerons aux années 1920, le choix de rattacher le terme « secrétaire » à « de mise en scène » ou « de plateau » ne semble pas anodin et permet, notamment, de distinguer les rôles des différentes secrétaires collaborant à la fabrique du film. Lʼapparition de secrétaires au sein de la production cinématographique nʼest pas propre à lʼindustrie filmique. Bien au contraire, depuis la fin des années 1910, ces postes, largement féminisés, se multiplient et sʼimplante alors durablement la figure de la secrétaire.
La féminisation des métiers date de la Première Guerre mondiale et les années 1920, marquées par la pénurie de main-dʼoeuvre liée aux pertes dues au conflit, sont fastes pour lʼemploi féminin. Pour renforcer la rationalisation du travail dans le contexte dʼaprès-guerre, il y a une augmentation des tâches dites « féminines », la multiplication de nouveaux métiers mixtes comme la féminisation de certains métiers. Cette féminisation du monde du travail a lieu surtout dans les bureaux, les services publics et administratifs. De nombreuses modifications techniques et organisationnelles sont initiées dans les bureaux du système étatique, et « cʼest dans ce jeu complexe entre traditions bureaucratiques, réforme de lʼadministration publique, essor des activités bancaires et initiatives dans le monde des affaires que les femmes viennent sʼinsérer ».
En réalité, cʼest dès la fin du XIXe siècle que lʼon voit la création de métiers « féminins », cʼest-à-dire qui érigent la « féminité » en qualité professionnelle, féminité ainsi définie par Françoise Battagliola.
Gardey parle de la dactylographe comme dʼun cas emblématique de la révolution administrative et situe sa naissance entre 1883 et 1914. Après la guerre, certains métiers féminins mutent et cʼest le cas pour le métier de sténodactylographe. Gardey parle de la machine à écrire comme dʼun objet technique révolutionnaire autour duquel émerge la profession de sténodactylographe puis de « dactylo ». Cette dernière sʼaffirme dans les années 1920, incarnant alors « lʼune des transformations majeures survenues au sein du groupe des employés : sa féminisation ». Un double phénomène apparu au début du XXe siècle se confirme avec lʼexplosion des effectifs féminins entre les deux guerres : les femmes actives sont de plus en plus des employées et le métier dʼemployé de bureau se féminise, « la féminisation particip[ant] alors de lʼessor considérable des emplois de bureau et de leur popularisation »2. Les femmes occupent ces nouveaux emplois de bureau car les hommes les délaissent et parce que les stéréotypes sur les prétendues qualités des femmes sont déjà ancrés dans les mentalités : elles moraliseraient le bureau, seraient ponctuelles, auraient une attention particulière aux détails et une conscience « féminine ». Au début des années 1930, lʼAcadémie française définit ainsi ces métiers de lʼécriture et sa pratique.

LE CONTRÔLE DES RACCORDS : UNE RESPONSABILITÉ PARTAGÉE

Lors dʼun entretien réalisé dans le cadre de la CRH (Commission de recherche historique) en 1945, la comédienne Ève Francis se souvient du metteur en scène Marcel LʼHerbier sur le tournage du film LʼEldorado, en 1921.
Le terme peut aussi être employé à propos du tournage dʼun « plan de raccord », qui peut permettre de contextualiser une scène après un changement de décor. Ainsi, on peut lire dans un article de 1926 quʼ« Henri Desfontaines va terminer certains raccords et puis ce sera le grand travail du montage », ou encore « les opérateurs sʼoccupent de réaliser les derniers raccords »4, « demain les extérieurs, ensuite des raccords au “studio” »5. Ces deux emplois du terme « raccord » se rejoignent a priori et peuvent se confondre. Il faut donc rester prudent même sʼils semblent toujours relativement bien définis dans les écrits que nous avons consultés.
La presse pointe du doigt les erreurs de continuité. Ainsi, selon la journaliste Henriette Janne en 1927, certains détails ne devraient pas être négligés6. Elle explique : deux plans se suivent dans un champ-contre-champ et dans le plan A les bougies sont entières quand, dans le plan B, elles sont réduites de moitié. Si elle nʼemploie pas le terme « faux-raccord », cʼest pourtant bien de cela dont il sʼagit.
Elle attribue ces erreurs aux « mauvais metteurs en scène » et à lʼ« accessoiriste distrait » qui nʼont pas suivi la « vraisemblance du scénario ». Janne décrit ces négligences qui arrivent « par miracle » comme « bizarres » et illogiques. Elle mentionne également les sautes visuelles perçues par les spectateurs, et souligne en effet le fait que ces erreurs « font sourire le public, plus observateur quʼon ne le pense souvent ». Elle ajoute toutefois quʼelles sont de moins en moins fréquentes,en 1927, car lʼon soigne davantage les productions ; et de conclure que Le metteur en scène et lʼaccessoiriste se seraient vus déléguer une de leurs responsabilités. Cette tâche, attribuée selon Janne à un assistant, prendrait une plus grande importance à la fin des années 1920. En 1928, selon la journaliste Line Deberre, les responsables de ces erreurs de continuité sont les artistes et les régisseurs1. En réalité, le souci du raccord entre les plans, envisagé par le metteur en scène et le scénariste dès la rédaction du scénario et du découpage, est pris en charge de différentes manières par plusieurs collaborateurs présents sur le plateau. La problématique du raccord, dans les années 1920, engage le travail de nombreux collaborateurs pendant lʼécriture du film, le tournage puis le montage. Toujours dans lʼentretien de 1945 précité, Ève Francis affirme, à propos du tournage de LʼEldorado en 1921, que « Suzanne » nʼétait toutefois pas encore présente sur le plateau pour prendre en note les raccords. En effet, selon le metteur en scène, costumier et monteur Jacques Manuel, Marcel LʼHerbier écrivait lui-même sur ses manchettes de chemise. Si une prise en note des raccords ne semble alors pas encore systématique, un contrôle est toutefois dʼactualité et témoigne dʼun intérêt pour le respect de la continuité de lʼhistoire.
On sait que, dans les années 1930, la script-girl sera désignée, sur le plateau, pour contrôler les raccords. Boisyvon lʼexplique dans un article de 1933.

LA MATÉRIALISATION DʼUNE MÉMOIRE DE PLATEAU

LA CORRECTION ET LA RÉDACTION DE DOCUMENTS AU MOMENT DE LA PRISE DE VUES : UNE MÉMOIRE « NON-FILM » DU FILM

Selon Jacques Manuel, la numérotation des scènes au fur et à mesure de lʼenregistrement aurait commencé à être utilisé en France avec lʼarrivée de lʼenregistrement du son afin dʼassurer « un repérage entre les bandes sonores et les bandes images. Auparavant, on ne numérotait pas, ou rarement, dans les films muets. […] Bien souvent, on oubliait de numéroter, on disait : “On se débrouillera” ». Pourtant, on trouve dans des archives scénaristiques déposées à la Cinémathèque française des découpages dans lesquels les plans sont numérotés au moins depuis 1919, tels ceux de La Faute dʼorthographe (Jacques Feyder, 1919) [ill. 2]et de La Fête espagnole (Germaine Dulac, 1919) [ill. 3]. Dʼaprès un article de Mon Ciné en 1923.
Cette numérotation des plans se trouve, le plus souvent, dans des découpages « souples ». Cʼest le cas des deux découpages mentionnés ci-dessus. Celui de Dulac existe en version manuscrite et en version dactylographiée. Ces deux découpages sont annotés et corrigés à la main, comme celui de Gossette (Dulac, 1923) : des croix barrent les plans, des raccords sont indiqués (« par renchainé »), le montage de certains plans est précisé (« supprimé » ou « ensemble »), et la qualité de lʼenregistrement (« flou » ou « net ») [ill. 4]1. Ils sont annotés et corrigés dans une volonté non pas de suppression de lʼécrit existant, mais dʼindication : les croix sont très nettes et propres, pour ne pas rendre illisible le document. On trouve des traces de cette méthode de mémorisation de la prise de vues dans dʼautres documents scénaristiques, comme une « liste des décors et extérieurs » et une liste de numéros de plans pour un même décor dʼUn chapeau de paille dʼItalie (René Clair, 1927) : les numéros des plans sont entourés ou barrés [ill. 5]2. Ainsi, au moins depuis 1919, des documents de tournage sont corrigés en vue de la suite du tournage et du futur montage, en fonction des prises de vues effectuées.
Cette méthode est toujours dʼactualité pour les tournages de films sonores et à une époque où la script-girl fait son apparition en France. Pour le tournage du film Le Grand Jeu de Jacques Feyder en 1933 par exemple, les documents regroupant par décor les plans numérotés et les artistes et accessoires devant être présents sont corrigés à la main [ill. 6]3. Les numéros des plans peuvent être barrés ou encadrés et annotés de la mention « à faire » : le tournage est planifié au fur et à mesure des enregistrements et des aléas de la vie du plateau. Toujours pour le film de Feyder, la feuille de la scène intitulée « embarquement dʼIrma » est renseignée, à la main, du rappel « 2 raccords – portefeuille – bateau ». Ces listes constituent un exemple identifiable dʼune méthode précise dʼorganisation du tournage, dont la forme peut varier dʼun film à lʼautre et dʼun metteur en scène à lʼautre sans que son objectif en soit a priori modifié : prendre en compte lʼévolution de lʼenregistrement en fonction de ce qui a été prévu, et donc écrit dans le scénario, pour préparer la suite du tournage. Il faut par exemple mémoriser ce qui nʼa pas été fait. Ces corrections de documents scénaristiques permettent de garder en mémoire ce qui a été enregistré pour, peut-être, éviter dʼavoir à développer lʼensemble des rushes, gagner du temps lors des prochains enregistrements (pour lesquels il faudra se souvenir des raccords)et anticiper lʼétape du montage. Sʼils sont enregistrés par la caméra, les détails engageant la continuité du film sont rédigés et mémorisés une seconde fois. En plus de lʼenregistrement par la caméra, il est donc nécessaire de rédiger, sur un plateau de tournage, une mémoire « non-film » du film. Cette rédaction permet dʼenregistrer autre chose que ce que mémorise la caméra et dʼune autre façon, plus économique, immédiatement lisible et utilisable. Jusquʼici manuscrits ou dactylographiés, des documents imprimés sont utilisés et ce, au moins dès 1926, pour la production de La Folie des Vaillants (Dulac, 1926) [ill. 7]1. Leur impression est probablement le signe de la standardisation dʼune pratique. Le tableau se divise en colonnes réservées au métrage approximatif, à la « grosseur de la projection », au numéro des décors, au numéro dʼordre et aux indications techniques (cʼest dans cette colonne que lʼon trouve la numérotation des plans). La dernière partie du tableau est consacrée au « détail des scènes ». Ce document est annoté de croix déjà observées sur des découpages et aussi des calculs écrits à la main. Pour ce film, le tableau nʼest pas rempli et le document est en fait un découpage où chaque plan est numéroté. Les annotations « dimanche soir reste à faire 202 n° » et une liste de jours (où chacun est accompagné de numéros – probablement de plans) témoignent de lʼorganisation précise du tournage qui se traduit ici par le rapport manuscrit de ce qui nʼa pas encore été tourné. À cela sʼajoute une liste de personnages avec, sous la forme de notes manuscrites, un rappel des accessoires quelquefois alignés devant le nom des personnages : « écharpe de Radda ; verre de vin ; la vaisselle du dîner ; poignard ; son cheval, violon ; et son cheval ». Ces rappels dʼaccessoires témoignent dʼun souci du respect de la continuité entre les prises dʼun plan à lʼautre, dʼun jour à lʼautre. Enfin, on trouve dans les archives de La Folie des vaillants deux documents identifiés comme « notes de tournage » [ill. 8]. Ces notes de tournage se lisent indépendamment du scénario ou du découpage. Une de ces notes, titrée « 1er jour », comprend une liste dʼaccessoires.
La deuxième note intitulée « 7e jour » est du même type, annotée par exemple « Radda non violon », tel un rappel de ce qui a été modifié dans le scénario pendant la prise de vues et qui devient une information nécessaire à la bonne continuité du tournage. On trouve des remarques de même nature dans les archives dʼAntoinette.Les documents consultés et servant à la préparation du tournage sont mis à jour au fur et à mesure de lʼenregistrement des scènes et permettent dʼassurer une continuité entre les étapes de la production du film. Cet enjeu de mémoire est dʼactualité au moins dès 1915 en France : listes, découpages et continuités préparent lʼétape du tournage. Sʼil est difficile de savoir à quel moment et surtout par qui des remarques sont ajoutées, ces notes permettent de comprendre lʼorganisation dʼun tournage et du futur montage et témoignent de la nécessité affirmée dʼavoir sous la forme manuscrite ces informations organisées. Lʼannotation manuscrite laisse penser quʼelle se faisait lors des prises de vues, sur le plateau ou peut-être en fin de journée.
Tous ces documents tendent à démontrer que les informations qui seront plus tard collectées par la script-girl sont, au moins depuis 1926, d’ores et déjà consignées sur des documents imprimés, avec colonnes et reUn métier venu dʼHollywood ?
Avant la Première Guerre mondiale, alors que le cinéma français domine le marché international, les compagnies Pathé, Gaumont, Méliès et Éclair pressentent la prééminence du marché américain et sʼinstallent aux États-Unis pour y créer des filiales de distribution et y construire des laboratoires puis des studios1 : « Dès les années de guerre, on peut parler de stratégie (contre-)offensive à l’égard du marché nord-américain comme d’un transfert technique et culturel ». Charles Pathé, par exemple, voyage aux États-Unis pendant la guerre pour découvrir les méthodes états-uniennes et demandera à Diamant-Berger dʼen faire de même. Lʼune des nouveautés aux yeux des Français (et notamment Diamant-Berger) est le découpage et ce quʼil permet, comme les effets dʼinsertion de gros plans. La Première Guerre mondiale marque une forme de césure, mais le cinéma français met du temps à intégrer ces changements. La qualité des films états-uniens louée par les Français est le résultat dʼune nouvelle méthode de préparation des films.
Dans les années 1920, l’adoption partielle du modèle organisationnel des studios nord-américains sʼinscrit dans un contexte de division et de hiérarchisation des tâches pour une meilleure productivité, en permettant à chaque collaborateur de se concentrer sur son rôle, où la figure du producteur est à la tête du système : l’influence des studios nord-américains s’impose, dʼaprès Priska Morrissey, « avec une certaine évidence en matière organisationnelle au sein de l’équipe de prise de vues », qui s’étoffe et se hiérarchise. Des connexions cinématographiques franco-américaines favorables permettent alors un transfert technique et culturel du mode dʼorganisation des studios. Comment sʼorganise un plateau de tournage aux États-Unis ? Quel est le travail de secrétariat et/ou dʼécriture en lien avec une mémoire de plateau et quelles sont les responsabilités de la script-girl ? Nous tenterons dans ce chapitre de répondre à ces questions afin de déterminer dans quellespectant une mise en forme qui, probablement, tend à se généraliser.

HISTOIRE DU MÉTIER DE SCRIPT-GIRL AUX ÉTATS-UNIS

Nous allons, dans cette sous-partie sur lʼhistoire de la script-girl aux États-Unis, revenir sur des notions déjà rencontrées dans le premier chapitre : le découpage, lʼardoise, la mémoire de plateau, la préparation du tournage. Si cette démonstration peut sembler redondante, elle nous permet de comparer et de comprendre les similitudes et différences de deux systèmes, inséparables dans lʼarchéologie du métier de script-girl en France. Il aurait pu en être question dans le chapitre précédent, mais il nous semble plus cohérent de traiter séparément la question du cinéma américain pour aboutir à cette fin des années 1920 et au transfert entre les États-Unis et la France. Si, nous allons voir, nous apercevons rapidement des similitudes entre les deux pays concernant ces notions, à la même période, jʼai choisi de les traiter séparément, car, par rapport aux termes et à leur traduction, il aurait été trop délicat de les comparer frontalement, car leur sens aurait pu en être modifié.

LE CONTINUITY SCRIPT COMME MÉMOIRE DE TOURNAGE

Selon Janet Staiger, la période du director-unit system (système de production où le travail est divisé entre plusieurs metteurs en scène) entre 1909 et 1914 voit se modifier les pratiques dʼécriture de scénario à Hollywood en vue dʼune production plus efficace et standardisée. Les studios hollywoodiens réalisent alors quʼils gagneraient du temps et de lʼargent si les prises dʼun même décor étaient tournées lʼune à la suite de lʼautre, plutôt quʼen fonction de lʼordre chronologique du scénario(cet ordre étant rétabli au montage). Cʼest en 1910, à un moment où la qualité du film commence à être liée à sa continuité (cʼest-à-dire à une « douceur de la narration »)
et où sʼimpose le feature film (le long métrage), que le système de continuity (le système de continuité) est mis en place à Hollywood. Il vient sʼappliquer au scénario de tournage, bientôt lui-même nommé le (ou la) continuity, à savoir une liste numérotée des plans utilisée comme un moyen de planifier entièrement la production. Dʼaprès les différents articles consultés, le système de continuity aide à supprimer les faux-raccords. Ce système est également lʼun des éléments du processus de standardisation de la production des films. Le metteur en scène peut désormais, par exemple, faire une estimation du métrage plan par plan dans le but dʼéviter un dépassement de pellicule au moment de la prise de vues (à cette période cʼest le cameraman qui est lui aussi chargé de mesurer la pellicule).
Jusquʼà la fin des années 1910, les références à la continuité du film concernent les scénaristes et le « flot de lʼhistoire par rapport aux changements de plans ». En effet, le terme continuity, employé depuis au moins 1904 dans la presse américaine, est généralement employé à propos de la continuité de lʼintrigue et du film en général (comme par exemple dans un article de 1910 : « le film est magnifiquement coloré et se déplace rapidement dʼune scène à lʼautre tout en conservant une parfaite continuité de lʼintrigue »).

LʼINFLUENCE DʼHOLLYWOOD SUR LA PRÉPARATION SCÉNARISTIQUE EN FRANCE

Nous avons déjà cité la presse française dans ce chapitre, et ce, à propos des méthodes de numérotation et de classement des prises pendant le tournage, ainsi que de la prise de note, par une secrétaire pendant le montage, des choix du réalisateur.
En effet nous avons trouvé des informations concernant Hollywood dans des sources françaises, car comme nous lʼavons dit plus haut, les connexions cinématographiques franco-américaines de lʼépoque permettent un transfert technique et culturel du mode dʼorganisation des studios. Nous allons revenir dans cette sous-partie sur la question de la réception du modèle états-unien en France, à travers la presse notamment. Sur quels point sʼaccordent les deux systèmes des deux côtés de lʼAtlantique ? Revenons, dans un premier temps, aux traductions françaises des termes états-uniens que nous avons rencontrés et qui participent de leur réception. À Hollywood, selon Robert Florey en 1923, quand le producteur et le scénariste se mettent dʼaccord sur lʼhistoire, « ils la découpent scène par scène et en font une continuité cinématographique ». Dans sa traduction de 1938 de lʼouvrage de Nancy Naumburg, Auriol ne distingue pas lui non plus la « continuité » du « découpage ».
Ces deux documents équivalent au continuity états-unien qui est le « scénario détaillé contenant une description complète de chaque scène et de chaque plan ». Auriol emploie également le terme de « découpage technique » dans sa traduction du témoignage du scénariste Sidney Howard, pour qualifier un scénario de tournage (le document « dʼaprès lequel on tourne »1) – le screen play étant le « scénario » ou « scénario dialogué ». Ce sont les scénaristes et les metteurs en scène qui rédigent ce shooting script, la version définitive du scénario, cʼest-à-dire le « scénario dialogué découpé en scènes, séquences et plans numérotés dʼaprès lequel on tourne le film ». Auriol emploie les termes continuity et continuity script qui sont, dʼaprès sa traduction, le même document en français cʼest-à-dire un découpage, un découpage technique ou une continuité. Notons toutefois que, dans la presse française, contrairement au terme « découpage », le terme « continuité » – employé au moins dès 1923 – ne désigne pas un document quelconque, mais plutôt lʼidée de continuité, dans des expressions comme dans : « solution de continuité », « continuité de couleur », « continuité dans lʼaction et dans le rythme du film qui choque vivement à certains endroits » ou encore « une continuité de vues ». Il faut attendre au moins 1927 pour que ce terme désigne un document. Ainsi, on peut lire dans un article de 1927 : « Si votre plan tient debout solidement, alors vient la “continuité”, le scénario, scène par scène ».
En France, dans les années 1920, on valorise le cinéma américain à travers sa narrativisation, sa technicisation et sa sophistication. Il y a une fascination pour la planification (à travers le découpage) et pour ce souci de maîtrise du futur enregistrement. Lʼécriture du découpage, qui se généralise dans les années 1920 en France, est lʼétape qui succède à lʼécriture du scénario. En 1923, Louis Delluc écrit dans la revue Coemedia.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I. Archéologie du métier de script-girl en France (1915-1930)
CHAPITRE 1. Organiser la mémoire de plateau : lʼémergence dʼune nouvelle aire de compétences et lʼapparition des premières
« secrétaires de mise en scène » dans les années 1920
A. Dʼun désir dʼorganisation et de conservation dʼinformations sur le tournage
1. Lʼordre dʼenregistrement des scènes en fonction des décors : un choix économique qui détermine la planification du tournage
2. Le contrôle des raccords : une responsabilité partagée
B. La matérialisation dʼune mémoire de plateau
1. La correction et la rédaction de documents au moment de la prise de vues : une mémoire « non-film » du film
2. Lʼardoise et le livre de bord : des mémoires de plateau au service de lʼéquipe artistique et du producteur
CHAPITRE 2. Un métier venu dʼHollywood ?
A. Histoire du métier de script-girl aux États-Unis
1. Le continuity script comme mémoire de tournage
2. La responsabilité dʼune mémoire de plateau partagée entre les collaborateurs
3. La naissance du métier de script-girl : pour une mémoire de plateau systématique
B. Quels regards en France sur le modèle de production et de mémoire de plateau hollywoodien ?
1. Lʼinfluence dʼHollywood sur la préparation scénaristique en France
2. La script-girl états-unienne vue par la presse française : la transmission dʼun modèle ?
CONCLUSION PARTIE I
PARTIE II . La script-girl en France dans les années 1930 : lʼinvention dʼun métier
CHAPITRE 3. Enjeux et modalités dʼapparition des premières script-girls en France
A. De Hollywood à Paris et du « muet » au « parlant »
1. Lʼarrivée du son et la réorganisation du partage des tâches entre les collaborateurs
2. Versions multiples et doublage : de la nécessité dʼorganiser la mémoire du tournage
3. Le cas de Jeanne Witta-Montrobert à la Paramount (Saint-Maurice)
B. De la monteuse à la script-girl
1. Marguerite Beaugé, monteuse polyvalente au service dʼAbel Gance
2. Jeu de rôle entre Robert, Marguerite Houllé-Renoir et Suzanne de Troeye sur les tournages de Jean Renoir ou la difficile affirmation du métier de script-girl
CHAPITRE 4. La script-girl en France dans les années 1930 : la construction dʼune identité
A. La script-girl, nouvelle collaboratrice du film
1. Une secrétaire comme les autres ?
2. Les notes de la script-girl, mémoire « non-film » du film : quelles spécificités ?
B. La script-girl au coeur du studio : entre hiérarchie et familiarité
1. Une faible valorisation du métier
2. Une place privilégiée aux côtés des metteurs en scène
C. Discours et représentations de la script-girl comme miroir de la condition féminine
1. Dʼune « féminité » du métier de script-girl
2. La script-girl et lʼimportance du physique dans la carrière dʼune femme
D. Une modeste institutionnalisation du métier de script-girl
1. Une formation pour devenir script-girl ?
2. Syndicat, conventions collectives et générique : la reconnaissance en demi-teinte de la script-girl
CONCLUSION PARTIE II
CONCLUSION GÉNÉRALE
Annexes
Annexe 1 : Mention dʼun(e) « scripte » dans une estimation de devis pour Toni de Jean Renoir (1934)
Annexe 2 : Salaires minima des conventions collectives de travail de la production cinématographique de 1937
Annexe 3 : Salaires minima du Contrat Collectif des techniciens et spécialistes de la production du film de 1939
Annexe 4 : Henri Diamant-Berger et sa fille Ginette
Annexe 5 : Lʼachat dʼun cahier pour une script-girl, sur le tournage de La Petite Lise de Jean Grémillon (1930)
Annexe 6 : Une script-girl sur le tournage dʼun film en 1935
Annexe 7 : Présence de la script-girl au générique des films
Annexe 8 : Script-girls et script-boy sur les tournages des films dʼAlfred Hitchcock
Annexe 9 : Marguerite Beaugé sur le tournage de La fin du monde dʼAbel Gance (1930)
Annexe 10 : Françoise Gourdji/Giroud sur le tournage de La Grande Illusion de Jean Renoir (1937)
Sources
Bibliographie
Table des illustrations

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