Approche du mouvement féministe dans l’art

Approche du mouvement féministe dans l’art

Le courant féministe dans le milieu de l’art qui commence à s’implanter progressivement en France et aux États-Unis dans les années 1960-1970, se déroule en plusieurs phases. Les femmes d’origines culturelles et géopolitiques diversifiées contribuent, tous azimuts, dans leurs démarches, à l’émergence du mouvement féministe autant sur le plan sociopolitique qu’au plan artistique. En effet, elles sont « féministes, militantes ou faisant cavaliers seuls, elles s’expriment enfin dans tous les domaines artistiques, de la peinture à la sculpture, et investissent de nouvelles pratiques telles que la performance, la photographie et la vidéo, encore peu utilisées1 ». Deux discours retiennent mon attention autour de ce courant qui participe à l’émancipation des femmes afin que celles-ci « deviennent actrices de leur mise en image et non plus simples objets de représentation idéalisés par les hommes ». D’un côté, c’est une forme d’art plutôt « militant », engagé et féministe qui s’implante notamment pour dénoncer et poser un regard critique sur la condition de la femme victime d’abus sous toutes les formes, ainsi que son statut de femme-objet servant à convoiter, assouvir les plaisirs de l’homme. La femme artiste devient le sujet et l’objet de sa pratique artistique. Et, de l’autre côté, on retrouve des femmes artistes qui travaillent sur l’identité culturelle, artistique et sexuelle de la femme afin de se distinguer, se réapproprier leurs racines par une mise en valeur de leur univers « représenté par des symboles de l’héritage féminin ».
Dans l’ouvrage Art et Féminisme, préfacé par Helena Reckitt et rédigé par Peggy Phelan, le féminisme est défini selon Reckitt de la manière suivante : « le féminisme est la conviction que la différence des sexes a été et continue d’être une catégorie fondamentale de notre système culturel. De plus, ce système est globalement favorable aux hommes, au détriment des femmes » (Reckitt, 2005, p. 18). Dans cet ouvrage, les auteures transmettent et expliquent différents passages que les femmes ont traversés, et ce, par une multitude de moyens d’expressions artistiques. Elles tentent de joindre la sphère publique avec la sphère privée et de renverser leur posture d’artiste. Ce qui rejoint ma recherche-création, c’est l’accent mis par les artistes sur leurs expériences personnelles, où l’art et la vie quotidienne sont insérés dans leur pratique artistique. Comme le souligne Phelan, « on voyait maintenant dans les expériences personnelles, même lorsqu’elles étaient source de honte, les symptômes de facteurs politiques plus larges. Ainsi revues et corrigées, ces expériences devenaient aussi une source d’inspiration pour la création artistique » (Phelan, 2005, p.30).
Puis, en 1972, il y a la création de la Womanhouse organisée par Miriam Schapiro et Judy Chicago à Los Angeles, où 24 femmes aménagent et occupent une maison pendant un mois. Le public a été invité dans cet espace de création in situ. Les artistes utilisent des objets personnels et évocateurs de leur quotidien afin d’investir l’espace avec des installations, des sculptures et des performances féministes. Cette prise de position collective ne se trouve pas en lien direct avec ma recherche; cependant, je m’intéresse à l’empowerment féminin qui a été suscité, selon moi, par une prise de conscience de leur pouvoir d’agir individuel mis au sein d’un collectif dans un contexte de création. L’occupation de ces artistes à la Womanhouse démontre un phénomène important qui relie le public et le privé, le personnel au collectif, en invitant le public à venir circuler sur le terrain de création des femmes. C’est ainsi que de nouvelles frontières ont pu se créer, se transformer et évoluer dans ce contexte sociopolitique et artistique.
Je tiens à préciser que l’aspect féministe de ma recherche-création n’est ni militant, ni orienté sur des questions identitaires axées sur la différence entre les sexes, l’iniquité, l’oppression ou l’exclusion des femmes dans le monde. En fait, j’ai le souci de mettre en valeur le corps féminin qui fait écho à ce que Reckitt et Phelan défendent : « on trouve au coeur du langage féminisme la volonté de saisir le sens de l’être dans un corps de femme, politiquement, esthétiquement, psychanalytiquement, historiquement » (Reckitt, Phelan, 2005, p.36). Je désire prendre position, par le biais de l’art vivant, sur une réalité à la fois personnelle et partagée, en tant que femme, mère monoparentale et artiste. Je souhaite ainsi m’insérer dans une pratique performative « comme moyen d’émancipation et d’affirmation de mon identité2 » féminine qui est à la fois complexe, dense, exigeante et multiple.
Ma pratique est intrinsèquement liée à ma double-vie ponctuée, notamment, d’allers-retours entre une garde partagée, chevauchée entre des espaces silencieux et agités où je tente de cultiver le « non-faire ». Ces espaces contrastés m’inspirent à construire et réfléchir mes performances, ils sont inhérents et nécessaires à ma recherche-création. Thérèse St-Gelais cite Jack Halberstam dans un article3 qui souligne que les féministes sont animées par un mouvement de résistance, de refus, du « désêtre » face à la passivité et du « dédevenir » (St-Gelais, 2017, p. 38). Je partage mon sentiment d’appartenance féministe dans notre société, en posant des gestes individuels à partir d’un propos engagé et personnel. Je suis motivée à l’idée de m’exprimer devant l’isolement, les conditions de vie contraignantes et exigeantes de la superfemme d’aujourd’hui à travers une pratique performative. Par ailleurs, dans ma démarche, je me sens également interpellée voire inspirée à faire de l’art pour des femmes qui se vivent dans l’ombre d’elles-mêmes, à celles qui pleurent en silence, aux femmes réprimées, isolées, bâillonnées, paralysées dans leurs corps et abîmées dans leur dignité. Enfin, je suis solidaire à propos de ces femmes d’ici ou d’ailleurs, qui ne sont libres de pouvoir vivre en résonance avec leur unicité.
J’ai l’impression de vivre une double-vie soit dans le trop-plein ou dans un espace trop vide entre la surcharge et la décharge de responsabilités familiales. C’est tout ou rien. Je suis en constante adaptation où je tente de respirer dans l’agitation. Ressentir à la fois, le désir de fuir, de me laisser tomber, d’être debout ou de rester là, à l’écoute des murmures entre les murs. Je dois constamment m’attacher, me détacher de toi, de vous et de moi. Avec mon corps fougueux et impatient, je cours, de toutes mes forces au bout d’une corde. Mes yeux sont épars, j’ai envie de me barbouiller le visage. Vite ! Dépêchez-vous ! Je n’ai pas juste cela à faire ! Je dois être une femme aux visages multiples. Une mère, avoir de bonnes manières, être fonctionnelle, efficace, productive, ambitieuse, distinguée, épanouie, créative, souriante et décontractée. (Extrait de mon journal personnel, 2018)
J’ajouterais ici que, la performance a contribué à offrir un espace de visibilité pour les femmes où « les artistes recréèrent divers épisodes de leur vie personnelle, manipulant ce matériau et le transformant en une série de performances par l’utilisation du cinéma, la vidéo, du son et du monologue » (Goldberg, 2012, p. 170). Cet aspect où les femmes se permettent de prendre leurs vies personnelles et subjectives comme cadre conceptuel et l’intégrer au sein de leur pratique m’a grandement influencée comme femme, aujourd’hui, au sein de ma recherche-création. La contribution de la vidéo a également participé à l’émancipation ainsi qu’au rayonnement artistique des femmes, en utilisant un médium accessible de création et de diffusion, et, « grâce à la caméra vidéo, les femmes ont pu participer à une recherche qui n’avait besoin ni d’un musée, ni même d’une galerie pour être validée » (Rush, 2007, p. 147).

Une « autoréférence » sur l’image de la femme plurielle

L’autoréférence est définie, selon le dictionnaire Larousse, comme étant la caractéristique d’un énoncé qui porte sur lui-même. S’autoréférer fait allusion à plusieurs notions philosophiques notamment autour de l’identité, la conscience, l’être, la réalité et celle de l’existence. Sur le plan philosophique, la professeure et philosophe Isabelle Thomas-Fogiel4 distingue trois acceptions autour du concept de l’autoréférence : « celle d’autoréflexion du sujet sur lui-même, celle de sui-référentialité du langage (le signe renvoyant à la chose tout en se disant lui-même différent de celle-ci), et enfin la « réflexivité de l’énonciateur » qui renvoie à un acte5 ». L’autoréférence s’associe également à la notion d’autoréflexivité dans le rapport à soi et au monde, elle se détermine comme une « réflexion se prenant elle-même pour objet; propriété consistant à pouvoir réfléchir sur soi-même6 ». Sur le plan artistique, selon Grégory Chatonsky, il s’agirait d’une démarche qui consiste à « prendre quelque chose comme son objet même7 ». (S’auto)référer dans une démarche autoréflexive, sur le quotidien et l’intime, pourrait se comprendre comme un espace à la fois pour se rapprocher de l’autre et se confronter : se rencontrer soi-même. C’est un concept qui fait référence à soi et qui, par surcroît, engage une rencontre avec l’autre. Comme Mathilde Roman l’indique, « l’image de soi se construit au sein de l’altérité, celle qui est en dehors qui la regarde, et celle qui est en dedans qui surgit dans l’auto-confrontation » (Roman, 2006, p. 21).
Pour ma part, le champ de l’autoréférentiel se situe dans le dévoilement de mon corps, des gestes et des actions que je tente d’habiter, de déplier, d’incarner et de m’approprier. Mon corps est un espace intime et sacré. Or, je constate qu’il est également résistance et mouvance. Il est à la fois privé et public, prisonnier d’une image socialisée et conditionnée. Thérèse St-Gelais parle « d’un corps offert, exposé au monde, depuis la naissance, où les autres ont laissé leurs empreintes » (St-Gelais, 2017, p. 35). Il est conditionné quotidiennement, il doit être à la fois fort, présentable, fonctionnel, impressionnant et efficace. Je m’intéresse aux diverses représentations axées sur la mise en valeur du corps féminin qui, malgré lui, est parole, témoin de son passé et de son présent. Le corps est poétisé, politisé, marqué par son histoire personnelle, et porteur de revendications. Il peut se manifester autant dans sa fragilité, sa vulnérabilité que dans sa force percutante, étonnante de son expressivité.
Mais qu’en est-il de l’image de ce corps autoréflexif? L’artiste et professeure-chercheure Ariane Thézé8 établit une distinction entre l’autoportrait qui, selon elle, s’appuie sur un constat autobiographique et sur l’autoreprésentation, qu’elle présente comme « une mise en scène d’une représentation de soi » (Thézé, 2005, p. 44). Elle parle de l’autoreprésentation comme une « investigation de soi-même symbolique et métaphorique » (Thézé, 2005, p. 45). Au cours de sa réflexion, elle indique que l’absence d’identité se caractérise par l’image de son corps représenté soit par une silhouette, des fragments d’images floues de son corps ou de son visage insérés dans un dispositif photographique et (ou) vidéographique. Elle révèle l’identité profonde, « l’essence de la personne », afin d’aller plus loin que la représentation de son image corporelle.
Le corps est « entre », il se construit dans l’interaction et le chevauchement d’innombrables registres : entre sensation et représentation, entre biologique et imaginaire, entre vécu et pensée, entre inconscient et conscience, entre acquis et nouveautés, entre visible et visualisable, entre immobilité et mouvement, entre vie et mort. (Thézé, 2005, p. 26)
Je constate que Thézé ne désire pas rendre visible ce qui la distingue et ce qui la constitue comme femme sur le plan physique, personnel et social; elle ne souhaite pas montrer le vêtement qu’elle porte qui, selon elle, est utilisé comme « une protection, en effet, il dissimule et attire, il est écran de l’intimité et ornement de séduction » (Thézé, 2005, p. 37). Je veux souligner ici que, contrairement à Thézé, mon intérêt est davantage situé sur l’importance de m’identifier par la mise en valeur de mon corps féminin dans l’espace. Je cherche à rendre manifeste le visible et l’invisible de ce qui m’anime comme femme dans une pratique performative autoréférentielle, par le biais du vêtement, du maquillage, des accessoires et des objets évocateurs.

ENJEUX THÉORIQUES DU CORPS, DE L’OBJET ET DE L’INTIME

LA PERFORMANCE : UN MOUVEMENT INTIME EN SOI ET HORS DE SOI

Le terme extimité provient de Jacques Lacan pour parler du stade du miroir chez l’enfant. Il a été repris, en 2001, par le psychiatre français Serge Tisseron, et s’avère indissociable de l’intimité et de l’estime de soi. Tisseron « propose d’appeler « extimité » le mouvement qui pousse chacun à mettre en avant une partie de sa vie intime, autant physique que psychique. Cette tendance est longtemps passée inaperçue, bien qu’elle soit essentielle à l’être humain. Elle consiste dans le désir de communiquer à propos de son monde intérieur » (Tisseron, 2001, p. 52). Il existe divers lieux, des espaces médiatiques ou artistiques pour s’exposer dans le domaine public. L’extimité est une « intimité extériorisée » (Babin, 2006, p. 2) où je peux cacher et afficher certains aspects de ma vie personnelle devant le regard de l’autre. Le dévoilement de cette intimité peut approfondir et enrichir une rencontre et, par la suite, être validé par le regard d’autrui. Tisseron explique que « l’extimité renouvelle, dynamise les contours de l’intimité, l’empêche de se figer » (Tisseron, 2006, p. 5). De même, c’est à travers une mise en jeu intime et extime de mon corps en rapport avec l’objet que je cherche à poétiser « ce qui,est enfoui et protégé au-dedans du soi demande à sortir, à s’étendre dans un dehors » (Molin, Vasseur, 2001, p. 94). Enfin, je rejoins Thézé à propos de l’influence du contact au monde sur la connaissance et le développement de son corps lorsqu’elle écrit : « l’image du corps dépasse les frontières de l’anatomie. Le corps ne se trouve pas seulement là où la peau et les vêtements lui assignent des limites. Le contact avec les autres, les objets qui l’entourent et le rapport à l’espace ont une influence sur le corps » (Thézé, 2005, p. 34).

MISE EN JEU INTIME ET POÉTIQUE DU CORPS AVEC L’OBJET

Dans l’ouvrage le 7ème Sens, Anne Bérubé du collectif TouVa affirme qu’il peut « exister une relation complexe entre l’artiste performeur et sa matière » (Bérubé, 2017, p. 125). En art performance, les objets suscitent et génèrent plusieurs sens, ils sont chargés et « ils peuvent porter un enjeu de possession, d’attachement, de passation » (Bérubé, 2017, p. 125). Dans ce même ouvrage, on retrouve plusieurs types de relation avec l’objet en situation de performance, notamment « l’objet à soi, l’objet de connexion, l’objet matière, l’objet d’exploration, l’objet réaction, l’objet relationnel » (Bérubé, 2017, p. 126). J’ai besoin d’explorer une relation sensible, subjective, riche et poétique avec celui-ci, en éprouvant sa matérialité avec le corps. L’objet est un médiateur entre l’autre, l’espace et le public. Anne Bérubé parle de l’objet-présence, de l’object being et non de l’object making, en situation de performance. « L’objet-d’être » est là, chargé de présence afin de « créer de l’interrelation » entre l’artiste, l’espace et le public (Bérubé, 2017, p. 126). Une dynamique relationnelle avec l’objet, peut provoquer un manque, une sensation forte, un geste, une pulsion, un retrait, une fuite, un rapprochement de soi, où il y a une circulation entre le dedans et dehors. La diversité de ces interactions avec l’objet « peuvent permettre de construire des images, de révéler des relations, de mettre à jour des connexions symboliques ou concrètes » (Bérubé, 2017, p. 125).
De son côté, l’écrivain et poète français, Francis Ponge définit « l’objet affectionnel » pour désigner un objet qui l’affecte. Que ce soit des « objets d’affection ou d’affectation, que l’on aime ou que l’on reçoit, les objets de Ponge constituent des bornes où s’appuyer, « des points d’amarrage »9. Selon Ponge, chaque artiste a sa banque d’objets qui compose son environnement, son espace de création, son langage plastique et (ou) symbolique. C’est en s’emparant de « l’objet comme matière et lieu de création10 », et en faisant corps avec lui, que peut s’opérer une réelle transformation. Dans son blogue, Marion Daniel valorise cette opération créative en affirmant que « pour qu’une métamorphose ait lieu, selon Francis Ponge, il faut que l’artiste se confronte aux objets et éprouve leur poids et leur matière. Métamorphoser ou transformer un objet ou une matière, c’est le déplacer, le faire passer dans une réalité autre ».
De même, Daniel rapproche cette vision poétique à celle psychanalytique, à travers Jacques Lacan qui affirme « que l’on parle implicitement de l’objet, chaque fois qu’entre en jeu la notion de réalité [….] L’objet est ce à quoi se confronte le sujet pour construire sa notion de la réalité12 ». Il s’agirait alors d’interroger sa réalité, se rapporter au réel, pour s’auto-confronter, se laisser transformer par l’objet, se perdre avec celui-ci, en plongeant dans une expérience subjective, émotionnelle et plurivoque. Enfin, cette relation plurielle et transformationnelle avec l’objet représente une voie méthodologique qui répond au développement poïétique de mon projet.

MÉTHODOLOGIE : LA PERFORMANCE COMME EXPÉRIENCE D’UNE ÉCRITURE VIVANTE ET ÉPHÉMÈRE

PERFORMER EN COLLABORATION ET (OU) EN CO-CRÉATION

Dans les années 1970 et 1980, il y a eu plusieurs associations d’artistes issues de filiations amoureuses, amicales ou familiales. Des pratiques collectives se sont formées, ce qui a contribué à transformer et ouvrir plus largement les frontières de la création et de la notion d’atelier13. Dans le travail collaboratif ou de co-création, « il s’agit de permettre à chacun d’intégrer de manières sensibles et conceptuelles les conditions d’émergence de l’Intelligence Collective, et d’activer un processus de co-création » (Miraillès, 2016, p. 207). En effet, il y a une mise en commun d’expériences intimes, signifiantes et intersubjectives qui sont à la fois personnelles et partagées. Janet Adler, en tant que thérapeute par la danse et porteuse du mouvement authentique, indique que « faire ce choix, dans des circonstances adéquates et au moment opportun, est essentiel : en matière de développement humain, c’est seulement quand on se sent vu par un autre qu’on parvient à se voir soi-même » (Adler, 2016, p.40). Cette relation co-créative de l’observateur-témoin instituée par Adler fut inhérente dans la méthodologie appliquée dans le duo IBZA (Izabelle Girard et IBelle Brassard) où les notions du corps, du son, de l’objet et de l’espace sont expérimentées par des moyens hétérogènes dans un contexte performatif partagé. Expérience sur laquelle je reviendrai plus en détail dans le troisième chapitre.

UN DIALOGUE AVEC LA PHÉNOMÉNOLOGIE : APPROCHE GÉNÉRALE DU CORPS EN EXPÉRIENCE

La phénoménologie appartient au courant de la philosophie transcendantale du XXe siècle. Elle sert à comprendre, saisir l’homme dans son rapport au monde, aux choses, à partir de ses perceptions reliées à l’espace, la temporalité et la corporéité. Maurice Merleau-Ponty définit la phénoménologie comme « l’étude des essences : l’essence de la perception, l’essence de la conscience, par exemple » (Merleau-Ponty, 2010, avant-propos). Cette approche, dans ma recherche-création, est utilisée afin de déplier une expérience sensible, en dégageant les phénomènes, les sensations, les impressions qui s’opèrent en moi, avec l’autre et l’objet. Maurice Merleau-Ponty démontre « que le sensible fait le lien entre le monde et notre vie, car c’est à lui que l’objet perçu et le sujet percevant doivent leur épaisseur » (Merleau-Ponty, 2010, p. 65).
Cette dynamique de circulation du sensible, le psychiatre et psychanalyste Juan David Nasio la décrit dans son ouvrage intitulé Mon corps et ses images, à travers trois paramètres qui composent l’événement sensoriel : l’affect, l’autre et le temps. Il souligne que le corps est « pétri comme une pâte conceptuelle » (Nasio, 2013, p. 10). Selon cet auteur, nous aurions deux types d’images de notre corps. D’un côté, il y a le corps vécu, ressenti, où se logent les impressions et les perceptions; et de l’autre, il y a le corps réel, visible, qu’il considère comme notre véhicule de chair : « nous ne sommes pas notre corps de chair et en os, nous sommes ce que nous sentons et voyons de notre corps » (Nasio, 2013, p. 75). En effet, le corps vu et vécu sont en constante interaction, les deux images situées dans le mental et dans le corps expérientiel s’entrecroisent, se confrontent quotidiennement. Elles peuvent se décaler et influencer notre rapport à l’autre ainsi qu’à nous-mêmes.

LA SOMA-ESTHÉTIQUE COMME APPROCHE RÉFLEXIVE DU CORPS

Cette discipline réunit une expérience sur le plan pratique, esthétique et réflexif appuyée sur un « vécu corporel » pour amplifier la conscience. « La soma-esthétique est « une discipline du corps » avec des outils « actes moteurs » pour approfondir, analyser à partir d’un vécu physique incarné, pour ensuite revenir à une démarche intellectuelle qui aidera à comprendre une expérience esthétique14. À partir des recherches de Richard Shusterman, l’un des grands défenseurs de la soma-esthétique, Barbara Formis relève que « la soma-esthétique n’est donc pas une banale amélioration du corps centrée sur la représentation, mais plutôt une expérience du corps permettant le façonnement de soi, tant au niveau somatique qu’au point de vue de la conscience subjective15 ». Cette approche rejoint la méthode développée par Moshe Feldenkrais qui permet de conscientiser, de cerner davantage les habitudes posturales du corps au quotidien, dans la réalisation de micro-mouvements. La pratique du yoga et de la danse peut également se rapprocher de la soma-esthétique en favorisant une qualité d’attention fine, globale et consciente du corps relié à l’esprit.
Dans sa pratique artistique, Thézé exerce la danse et le yoga. Elle affirme que cela augmente sa conscience qui permet de « modifier le modèle postural de son corps » (Thézé, 2005, p. 31). De même, je constate que ces deux disciplines ont une influence sur mes réflexions, en permettant de clarifier et de conscientiser davantage la structure de ma démarche. Selon moi, sur le plan méthodologique, il est tout à fait pertinent d’être conscient de son corps, de sa respiration, de se faire proche de soi-même afin de s’engager avec l’autre et (ou) un objet en situation de performance. En fait, il s’agit d’enlever, de puiser à partir de ses couches instinctives et internes ses sensations, comme on travaille une matière, pour en faire une forme, quand bien même resterait-elle informe, toujours à advenir, ce que l’on pourrait nommer une méthodologie performative. Cette méthodologie du vécu corporel et celle d’une écriture analytique et créatique restitue à la fois la qualité sensible et créative de la recherche-création. Enfin, elle témoigne aussi la situation de l’entre-deux.

MA PROBLÉMATIQUE

Au regard des notions théoriques abordées dans le chapitre I, sur l’autoréférence, l’intimité, l’extimité ainsi que du rapport à l’objet en contexte de performance, plusieurs questionnements ont émergé et orientent l’articulation de la problématique de ma recherche-création. Notamment, comment mettre à l’épreuve le corps ou (les corps) en présence d’un objet? L’objet peut-il déclencher ou amplifier des sensations affectives et physiques? Quels sont les effets émancipateurs lorsque j’expose des fragments de mon intimité devant le regard de l’autre? Comment poétiser une expérience vécue, intime et subjective, avec l’autre et (ou) un objet signifiant? Enfin, ces questionnements m’amènent à vérifier principalement, comment et à quelles conditions la poétisation d’une expérience autoréférentielle peut influencer une pratique performative à travers la mise en jeu intime de mon corps interrelié à l’objet signifiant?

MARTHA ROSLER : PERFORMER LA DOMESTICITÉ FÉMININE DEVANT UNE CAMÉRA

Martha Rosler est d’origine américaine. C’est une artiste plasticienne qui travaille la photographie, le photomontage, la vidéo, l’installation et pratique l’art performance. Elle est également enseignante et conférencière. Elle a été une figure marquante du courant de l’art féministe, des années 1970, avec sa performance vidéo Semiotiq and the kitchen en 1975. Elle a contribué, avec d’autres femmes artistes, notamment M.L. Ukeles avec Hartford Wash : Washing/Tracks /Maintenance : Outside (1973), à relier l’art et la vie, où « la domesticité féminine devient une proposition artistique17 » qu’elles exposent et représentent dans la sphère publique. Elles interrogent le rôle et les conditions de vie qu’elles partagent en tant que femmes, mères et artistes.

SEMIOTIQ AND THE KITCHEN (1975)

Semiotiq and the kitchen est une vidéo-performance d’une durée de 6 minutes 21. Rosler débute sa performance en se mettant un tablier, qu’elle attache autour de sa taille. Puis, à partir d’un lexique culinaire composé des lettres de A à Z, elle manipule de manière caricaturale et absurde des instruments de cuisine. Elle nomme en ordre alphabétique les objets qu’elle présente en regardant l’objectif de la caméra. La performance est filmée en noir et blanc, à partir d’un seul plan par une caméra fixée sur un trépied. Celle-ci se déroule dans une cuisine, un lieu qui contribue à appuyer son propos, notamment sur la résistance et le changement pour les femmes.

DANA MICHEL : UNE RELATION POÉTIQUE AVEC L’OBJET

Dana Michel est originaire des Caraïbes et vit à Montréal. Elle est chorégraphe et performeuse. En 2017, elle s’est jointe à la compagnie de création chorégraphique contemporaine Par B.L.eux, dirigée par Benoît Lachambre, en tant qu’artiste associée. Michel est une artiste internationale et interdisciplinaire, c’est « un électron libre : son ciel est sans limites18 ». Elle combine la chorégraphie, l’improvisation intuitive et la performance en explorant la notion d’identité comme multiplicité déséquilibrée. Cette artiste « traque et transforme le banal, provoque le malaise. Avançant à travers les tas de débris qui restent après des fouilles dans la marginalité et les héritages culturels […] le corps vacille, cherche ses appuis. Étirant le temps dans une gestuelle minimaliste et déconstruite, elle devient archéologue d’elle-même19».

DANA MICHEL, MERCURIAL GEORGE (2016)

J’ai choisi un extrait vidéo d’une durée de 5 minutes 43 d’une performance qui s’intitule Mercurial George, créée lors de diverses résidences de création et présentée notamment à l’Usine C à Montréal, à ImPuls Tanz, un festival de danse et de performance à Vienne, en Autriche et au centre Dancemakers à Toronto en 2016. Dans la performance, un sonore est présent du début jusqu’à la fin. Le local est dépouillé, il y a deux paravents en bois noirs formant un angle ouvert, les murs et le plancher sont gris. Dana Michel porte une petite culotte noire, son corps athlétique est dénudé. Elle entre son corps, en laissant sa tête sortie dans un grand sac de voyage noir placé au sol. Elle sort du sac, un sac de plastique noir, qu’elle chiffonne et manipule en le ramenant près de sa poitrine et de son visage. Puis, elle se retrouve assise et adossée sur un des paravents en bois noirs. Elle produit des micros-mouvements qui s’entrecroisent avec des instants d’immobilité et des gestes saccadés. Son visage et son regard sont très expressifs. Quelques sons « A-A-A-Y » sortent de sa bouche. Son bras est accroché à la poignée du sac, elle est à plat ventre au sol, avec une jambe repliée vers le haut, elle a un sac de poubelle chiffonné sur sa poitrine.

FILIATIONS AVEC L’ARTISTE DANA MICHEL

Ce qui m’intéresse chez Michel, c’est la mise en valeur de son corps féminin, narratif et expressif, se dévoilant comme un récit ouvert et vivant. Dans cette séquence vidéo, plusieurs disciplines s’entrecroisent. Elle réalise des micros-mouvements qui laissent entrevoir à la fois une danse minimaliste, se mélangeant à une sorte de théâtralité physique, qui se manifeste dans l’expressivité de sa gestuelle frénétique corporelle. Cette artiste me fascine par son authenticité, sa qualité de présence, sa manière singulière de bouger, de se mouvoir avec son objet. J’observe à quelques reprises que Michel possède un savoir-être maîtrisé lorsqu’elle traverse des instants d’errance, d’immobilité, situés entre deux actions. Elle sait prendre le temps d’être à l’écoute et créer à travers l’élasticité du temps grâce à laquelle une pulsion intérieure la propulse vers la réalisation d’une prochaine action. Je m’intéresse à la manière dont elle s’approprie, exagère, négocie, entretient, détourne le sens d’un objet banal et usuel en lui donnant un caractère poétique et ambigu. Il y a une relation complexe et intimiste qui s’établit entre son corps nu et cet objet banal et dépouillé. Par ailleurs, le sonore qui accompagne la performance est très présent, voire dérangeant. Il n’y a pas de moments de silence. Pour ce qui est de ma démarche, je préfère plutôt laisser les sons ambiants et naturels de mon corps, de ma respiration et de mes gestes avec l’objet, car eux aussi sont utilisés comme matériaux et (ou) composantes participant à la performance.

SYLVIE TOURANGEAU : COLLABORATION ET « CONSCIENCE PERFORMATIVE »

Sylvie Tourangeau est une pionnière de l’art performance au Québec depuis 1978. Elle fait partie du collectif TouVA avec Victoria Stanton et Anne Bérubé. Cette artiste a capté mon attention, car elle a développé une expertise autour d’« une pratique artistique qui met au premier plan le potentiel de transformation de l’action performative21 ». Elle travaille notamment sur la présence et l’authenticité dans le geste performatif dans une démarche réflexive et pratique en solo et au sein du collectif TouVa. Depuis, 1984, S. Tourangeau offre également des « workshops intensifs » où elle utilise diverses stratégies de transmission, de coaching individuel ou en groupe sur l’attitude, la structure et la présence performative, et ce, dans différents milieux artistiques.
Lors d’une résidence d’artiste de 20 jours au centre de recherche, de production et de diffusion en art actuel Caravansérail à Rimouski, Tourangeau a proposé une série de courtes performances en collaboration avec l’artiste Anjuna Langevin. Caravansérail avait comme mandat de créer des duos de performances intergénérationnelles. Les deux femmes explorent « différentes stratégies de passation (transmission, translation, transfert du pouvoir d’action)22 ». Dans ces courtes performances, qui sont aussi des laboratoires d’expérimentations, Langevin et Tourangeau s’intéressent au pouvoir évocateur de l’objet, de l’état de présence en soi et avec l’autre. À travers le geste, la singularité de chacune des femmes se rencontre, évolue, se transforme en partageant un espace performatif commun.
Il y a deux aspects qui attirent mon attention dans la pratique de Tourangeau. Le premier aspect porte sur les stratégies et les outils développés dans sa démarche en collaboration, axée sur le transfert et le partage d’une expérience par le geste performatif. Le second aspect concerne sa pratique axée sur des workshops et le coaching individuel pour les artistes en art performance. Elle amène ceux-ci à vivre des laboratoires en direct, à puiser dans leur singularité, leur identité et à mieux se définir comme artiste en situation de performance. Dans ses workshops, Tourangeau aide à dégager des pistes d’observation et de conscientisation de ce qui anime l’artiste lorsqu’il est engagé, investi dans une expérience performative. Je porte un intérêt à la manière dont elle aborde l’émergence d’une action en art performance, qui se déroule en trois phases : « la connexion, la motivation et l’amplitude23 ». L’aspect pédagogique de sa démarche en transmission permet d’auto-observer l’état de notre corps interne et externe, avec ce qui se trouve, ici et maintenant, en se connectant à « sa densité interne24 ». J’aborde un peu plus loin, dans mon chapitre III, une expérience vécue lors d’un workshop avec Sylvie Tourangeau.

MARINA ABRAMOVIĆ ET ULAY : MISE EN JEU HOMME-FEMME

Marina Abramović est une artiste serbe, née à Belgrade, liée au mouvement de l’art corporel le body Art. Elle repousse les frontières en mettant son corps à l’épreuve de ses limites physiques et psychiques dans divers contextes où le public est invité à participer. Elle a partagé sa vie personnelle et artistique pendant 20 ans avec Ulay, (Frank Uwe Laysiepen), son compagnon d’origine allemande, de 1976 à 1988. Ils ont présenté dans l’espace public et les galeries une série de performances créées à partir de divers principes sur la dynamique partagée dans le rapport homme-femme et le féminin et le masculin en nous. Leur démarche artistique interroge leur identité sexuelle, le rapport de force entre l’homme et la femme, l’individualité dans l’altérité, la fusion, la synchronisation dans l’interdépendance et le rapport intime de couple avec un public témoin. Leurs performances ont duré des heures, voire des jours, celles-ci ayant pris fin lorsque les deux artistes se sont retrouvés épuisés dans le déroulement de leurs actions.

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Table des matières

INTRODUCTION 
CHAPITRE 1 : PERFORMANCE DU CORPS AVEC L’OBJET POÉTISÉ
1.1 PREMIÈRES EXPÉRIENCES SIGNIFICATIVES : CORPS, PRÉSENCE DE L’OBJET ET GESTES D’EXISTENCE
1.1.1 PARTAGER UNE PRATIQUE ARTISTIQUE DANS LA COMMUNAUTÉ
1.2 S’EXPOSER DANS LE MONDE EN PERFORMANCE SOLO
1.2.1 VIVRE LA PERFORMANCE EN DUO
1.3 ENJEUX THÉORIQUES DE LA PERFORMANCE AUTORÉFÉRENTIELLE
1.3.1 CONTEXTUALISER LA PERFORMANCE
1.3.2 QUAND L’ART, LES FEMMES ET LA VIE S’INTERRELIENT
1.4 ENJEUX THÉORIQUES DU CORPS, DE L’OBJET ET DE L’INTIME
1.4.1 LA PERFORMANCE : UN MOUVEMENT INTIME EN SOI ET HORS DE SOI
1.4.2 MISE EN JEU INTIME ET POÉTIQUE DU CORPS AVEC L’OBJET
1.5 MÉTHODOLOGIE : LA PERFORMANCE COMME EXPÉRIENCE D’UNE ÉCRITURE VIVANTE ET ÉPHÉMÈRE
1.5.1 PERFORMER EN COLLABORATION ET (OU) EN CO-CRÉATION
1.5.2 UN DIALOGUE AVEC LA PHÉNOMÉNOLOGIE : APPROCHE GÉNÉRALE DU CORPS EN EXPÉRIENCE
1.5.3 LA SOMA-ESTHÉTIQUE COMME APPROCHE RÉFLEXIVE DU CORPS
1.5.4 LES PRATIQUES ANALYTIQUES CRÉATIVES (PAC) : POUR VALORISER LE PARADIGME DE LA RECHERCHE-CRÉATION (UN RÉCIT DE SOI À CORPS OUVERT)
1.6 MA PROBLÉMATIQUE
CHAPITRE 2 : PROPOS DE CORPS ET D’OBJETS
2.1 MARTHA ROSLER : PERFORMER LA DOMESTICITÉ FÉMININE DEVANT UNE CAMÉRA
2.1.1 SEMIOTIQ AND THE KITCHEN (1975)
2.2 DANA MICHEL : UNE RELATION POÉTIQUE AVEC L’OBJET
2.2.1 DANA MICHEL, MERCURIAL GEORGE (2016)
2.2.2 FILIATIONS AVEC L’ARTISTE DANA MICHEL
2.2.3 SYLVIE TOURANGEAU : COLLABORATION ET « CONSCIENCE PERFORMATIVE »
2.2.4 MARINA ABRAMOVIĆ ET ULAY : MISE EN JEU HOMME-FEMME
CHAPITRE 3 : UNE PRATIQUE VIVANTE DE L’INTIMITÉ COMME LEVIER DE CRÉATION
3.1 MON CORPS ENGAGÉ EN PERFORMANCE AUTORÉFÉRENTIELLE
3.2 S’ÉPROUVER. SE DÉPLOYER. SE PERCEVOIR : POUR UNE MÉTHODOLOGIE CRÉATIVE
3.2.1 LA CAPTATION VIDÉO
3.2.2 DE LA CAMÉRA COMME COLLABORATION AVEC L’AUTRE ET L’OBJET
3.2.3 LE RÉCIT D’EXPÉRIENCES
3.3 S’OUVRIR EN ART VIVANT À TRAVERS L’AUTRE ET L’OBJET
3.3.1 EXPLORER LA PRÉSENCE AUTHENTIQUE DANS LE GESTE PERFORMATIF AVEC SYLVIE TOURANGEAU, 2017
3.3.2 FAIRE CORPS AVEC L’OBJET-ÉVOCATEUR, EN CO-CRÉATION AVEC IBELLE BRASSARD, DUO (IBZA)
3.3.3 UNE RELATION POÉTIQUE AVEC L’OBJET DANS UNE COLLABORATION AVEC UN HOMME, UN AMI, UN AMANT
3.3.4 S’APPROPRIER L’OBJET/MATIÈRE AVEC L’AUTRE, DUO IBZA
3.4 PROJET FINAL : LANCEMENTS INTIMES
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE

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