Anthropologie du developpement des villages pluriethniques du bassin de vang vieng au laos

Un isolat dans un espace de relations au peuplement pluriethnique 

De part sa situation géographique et son contexte historique récent, le bassin de Vang Vieng occupe une place particulière dans le pays. Le bassin intramontagnard de Vang Vieng est situé au nord de la province de Vientiane, au cœur du district de Vang Vieng [Figure 1]. Celui-ci occupe un couloir d’orientation nord-sud traversé par la rivière Nam Xong, elle-même longée par la route nationale 13, et s’étire sur près de 20 kilomètres de Ban Phatang à Ban Khan Mak. Il est au moins depuis la fin du 19ème siècle un espace de transit sur les chemins de Louang Phrabang, à 250 Km au Nord et de Vientiane, à 156 Km au Sud, les anciennes capitales royales, étant situé au croisement entre deux axes de communication majeurs : l’une des pistes caravanières les plus importantes du pays, devenue au vingtième siècle la route nationale 13, et la partie navigable de la Nam Xong qui permet de rejoindre par voie d’eau Vientiane. Sa configuration, au milieu du karst tropical, lui vaut d’être à la fois protégé et enclavé. Le bassin, qui s’élargit à hauteur de la ville de Vang Vieng, est encadré par deux chaînes montagneuses : à l’Est des montagnes aux formes arrondies schisto-gréseuses (Phou), ne dépassant pas 1000 mètres et, à l’Ouest, une série de pitons karstiques (pha), noirs et boisés, s’élevant jusqu’à 2 000 mètres et abritant de nombreuses grottes devenues des lieux touristiques .

Dans les fonds de vallée, les terres fertiles de décomposition des calcaires sont aménagées en rizières et jardins bordant la Nam Xong et ses multiples petits affluents (Nam Pamome, Nam Po, Nam, Houay Ngam, Houay So, Houay khi liing, Nam Thèm, Nam Xang…). Les piémonts de la chaîne orientale sont au contraire aujourd’hui assez peu exploités, hormis au nord du bassin, à la hauteur de Ban Somsavath et au-delà, où les pentes du massif karstique sont souvent aménagées en vergers d’agrumes et en essarts de riz ou de maïs par les populations yao et khmou. Comme ailleurs au Laos, le climat de Vang Vieng est celui des moussons, opposant cinq mois de pluies (de mai à septembre) à une saison sèche de sept mois (d’octobre à avril). Les précipitations y sont cependant plus importantes que dans la plaine. Elles seraient d’ailleurs parmi les plus élevées du Laos : de 2 800 à 3 800 mm par an (Chanthirath, 1999), (Sisouphanthong, 2000), données qu’il faut relativiser en raison du fort taux d’infiltration dû au sol calcaire et par le fait qu’il ne pleut pratiquement pas durant les sept mois de la saison sèche.

Vang Vieng a été, durant la guerre postcoloniale, la capitale des forces armées neutralistes, mais également un espace tampon entre la plaine de Vientiane, contrôlée par les royalistes, et le plateau de Xieng Khouang aux mains des révolutionnaires communistes (Pathet Lao). Durant les combats et jusque dans les années 1980, le bassin de Vang Vieng a accueilli de nombreux villages de réfugiés originaires des zones montagneuses ou isolées de la région, et même provenant d’autres provinces du pays. Parallèlement, plusieurs familles du bassin se sont réfugiées à Vientiane. A l’avènement du nouveau régime communiste, en 1975, certaines personnes originaires du bassin, qui s’étaient trouvées engagées contre le nouveau parti au pouvoir, ont fuit le pays. Par la suite, les déplacements forcés de villages montagnards dans les vallées, à l’initiative du gouvernement dans le but de mettre fin à la pratique de l’essartage, jugée destructrice de l’environnement, et de rapprocher la population des infrastructures publiques (écoles, centres de santé, axes de communication), n’ont fait qu’accentuer la concentration de la population sur les basses terres. D’autres raisons, plus politiques, ont contribué à ces déplacements massifs qui ont touché tout le pays, notamment la volonté de mieux contrôler les populations hmong, un petit groupe d’entre eux, soutenus par les anciens de l’armée hmong de la CIA réfugiés aux EtatsUnis, faisant peser une menace rebelle constante sur le gouvernement depuis 1975 (Goudineau, 2000 p. 21). Finalement, les déplacements à la fois spontanés et forcés de populations vers le bassin de Vang Vieng ont grandement contribué à sa croissance démographique et à son caractère pluriethnique. Le bassin est donc assez représentatif des zones de contact entre la vallée du Mékong, au peuplement taï dominant, et les hautes terres du Nord et de l’Est où dominent les ethnies minoritaires.

Le choix des villages étudiés 

Cette recherche porte sur le bassin de Vang Vieng et non sur le district, à la fois pour des raisons pratiques de faisabilité et pour une raison de cohérence, en privilégiant un espace géographique et social plutôt qu’un espace administratif. Le bassin de Vang Vieng, malgré sa société pluriethnique, n’en constitue pas moins une réelle unité de peuplement inscrite dans un cadre territorial caractérisé par la topographie du bassin et l’unité du paysage. L’échelle définie pour l’étude est celle du village, cadre où s’inscrivent d’une manière différenciée les différents paramètres de transformation identifiés : ancienneté de l’implantation, situation par rapport aux centres urbains, mobilisation des ressources naturelles par des systèmes d’activités, développement des infrastructures de communication, dynamisme des leaders locaux, composition ethnique. Le choix des villages à comparer s’avérait déterminant, d’autant que cette comparaison ne pouvait porter que sur un nombre limité de villages en raison du temps imparti et du programme de recherches particulièrement dense.

Les conditions de l’enquête 

L’enquête de terrain a été réalisée au Laos d’avril 2006 à juillet 2008, plus de deux années passées principalement dans les villages du bassin de Vang Vieng. Un assistant a été présent tout au long de cette période. Son rôle, bien plus important que celui d’interprète, utile dans un premier temps, a été déterminant dans la conduite de l’enquête elle-même et en quelque sorte garant de sa fiabilité. Francophone et natif du bassin de Vang Vieng, il fut un témoin permanent de la distance culturelle séparant l’enquêteur de son terrain, permettant d’éliminer les incompréhensions. Occupant une place en retrait lors des entretiens, il se tenait au plus près de l’assistance, s’intéressant à ses réactions et commentaires induits par les questions de l’enquêteur et le discours de la personne questionnée. Une fois l’entretien terminé, il pouvait ainsi compléter ou corriger des réponses, sans faire perdre la face aux personnes interrogées. Si le dialogue qui s’établit entre l’enquêteur et son assistant permet une première critique de l’information recueillie, le dialogue entre l’assistant et les villageois contribue à la présentation du chercheur, de ses objectifs et à sa bonne intégration au sein du village .

A la différence de nombreux étudiants et chercheurs étrangers, gênés d’être toujours suspectés de mener des enquêtes sur des sujets sensibles et généralement surveillés de près ou de loin par des représentants locaux du pouvoir central, j’ai eu la chance d’être bien accueillie par les autorités du district et des villages, grâce à une lettre d’introduction de l’Université Nationale du Laos mais surtout grâce au statut social de ma famille d’accueil. Le grand père est en effet l’ancien chef du mouvement Pathet Lao de la région de Vang Vieng, qui devint ensuite l’un des premiers représentants du Parti au niveau du district. Sa famille comprend aussi des personnes engagées du coté du gouvernement royal, qui ont du en 1975, lors de la fondation de la RDP Lao, émigrer à l’étranger pour des raisons politiques.

Le bassin de Vang Vieng dans la littérature 

Le bassin de Vang Vieng est aujourd’hui bien connu à la fois des Laotiens, des expatriés occidentaux et des touristes. Cependant, il a donné lieu à relativement peu de travaux de recherche. Les premières mentions qui en sont faites se trouvent dans les récits de voyage du Vice-consul de France, A. Pavie (Pavie, 1947) et du photographe A. Raquez (Raquez, 1902). Traversant le Royaume au début du vingtième siècle, de Vientiane à Louang Phrabang, ils mentionnent notamment dans leurs textes les villages de Vang Vieng et de Phatang : « Van Vien (Enceinte des palais) était jadis une ville importante et fortifiée. Quelques ruines de murailles et un tât assez original attestent seuls de son ancienne splendeur. Abandonnée à la suite des invasions, la ville fut réoccupée par les Thai Neua » (Raquez, 1902 p. 143) Le passage précise que les Taï Neua se sont installés dans l’enceinte de la ville désertée à la suite des invasions perpétrées par les Hô. Il est également question de Phatang, situé plus au nord sur la route de Vang Vieng à Louang Phrabang : «Pendant les mois plus secs, le courant [de la Nam Lik] diminue, les rochers des rapides ne sont plus recouverts par les eaux ; les rameurs peuvent alors débarquer et hâler sur les pirogues qui remontent ainsi jusqu’au confluent du Nam Sang [Nam Xong]. La rivière navigable en toute saison, jusqu’au village de Pa Tang où passe la grande route de Borikan à Luang Prabang. » (Pavie, p.246) Le passage donne des indications sur le choix de l’itinéraire d’A. Pavie, remontant la Nam Lik puis la Nam Xong jusqu’à Ban Phatang, puis empruntant « la grande route » jusqu’à Louang Phrabang. Celle-ci désigne la piste caravanière qui traversait déjà le pays et permettait de rejoindre les royaumes frontaliers (Chine au nord, Siam, Annam et Tonkin au sud et à l’est). Le village de Phatang est brièvement évoqué par le Capitaine de Malglaive en 1902. L’information la plus intéressante de ce passage concerne le nombre important de buffles élevés dans ce « gros » village, ce qui confirme le rôle prépondérant de Phatang au sein du Muang Vang Vieng dès le début du vingtième siècle : « A Pha tang, nous pénétrons dans un cirque presque entièrement fermé, même du coté du Nam Xong. Deux roches barrent la vallée au point de laisser tout juste place au cours d’eau et au sentier qui la côtoie. Pha tang est un gros village riche en buffles mais non en bonne volonté. Il nous sera difficile d’y trouver à vivre. » (Malglaive, 1902 pp. 56-7).

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Table des matières

INTRODUCTION
Un isolat dans un espace de relations au peuplement pluriethnique
Le choix des villages étudiés
Les conditions de l’enquête
Le bassin de Vang Vieng dans la littérature
Le plan de la thèse
PREMIÈRE PARTIE
LA POPULATION DU BASSIN DANS LE TEMPS ET L’ESPACE
CHAPITRE 1 : PEUPLEMENT DU BASSIN ET PARCOURS MIGRATOIRES
1. Les débuts du peuplement taï
2. Les vagues successives de réfugiés à partir des années 1960
3. Les villages de minorités ethniques déplacés après 1975
4. L’intégration par les moyens de communication
4.1 Moyens de transport
4.2 Télécommunications
CHAPITRE 2 : ÉVOLUTION DÉMOGRAPHIQUE
1. Dynamique démographique
1.1 Accroissement 1967-2006
1.2 Pyramides et structures par âges
2. Statut marital des hommes et des femmes
3. Importance des flux migratoires
3.1 Lieu de naissance des conjoints et règles de résidence
3.2 Distribution de la population selon le lieu de naissance
3.3 Les migrations pendulaires vers la ville
CHAPITRE 3 : HABITAT ET INFRASTRUCTURES VILLAGEOISES
1. Évolution de l’habitat
2. Organisation sociale villageoise
3. Les institutions religieuses
4. Les infrastructures villageoises
5. Les infrastructures commerciales
CHAPITRE 4 : L’ÉMERGENCE D’UNE VILLE A LA TÊTE DU BASSIN
1. Signification et rôle du muang
2. Les dynamiques de transformation des infrastructures
3. L’émergence d’une population urbaine
DEUXIÈME PARTIE
TRANSFORMATION DES ÉCONOMIES VILLAGEOISES
CHAPITRE 5 : LES DYNAMIQUES ÉCONOMIQUES OBSERVÉES DANS LE BASSIN
1. La transition vers une agriculture commerciale
1.1 La rapidité et l’intensité des changements agricoles dans le nord du bassin
1.2 Une transition agricole plus lente dans la moitié méridionale du bassin
2. L’émergence de l’industrie minière
2.1 Le développement de la production de ciment
2.2 La multiplication des exploitations minières
3. Le développement touristique et commercial
3.1 L’explosion touristique
3.2 L’impact du tourisme sur le village urbain de Sengsavang et les autres villages du bassin
3.3 Le développement de la fonction commerciale
CHAPITRE 6 : L’OUTIL UTILISÉ : LES COMPTABILITÉS VILLAGEOISES
1. Le choix de l’outil méthodologique
1.1 L’objet des comptabilités villageoises
1.2 Quatre comptabilités villageoises et deux villages étudiés en contre-point
2. La définition des agents
2.1 Les différents types de ménages
2.2 Les autres agents : institutions villageoises et extérieur
3. Le choix des opérations
3.1 Les échanges monétaires
3.2 L’établissement des comptes et des tableaux économiques d’ensemble
3.3 L’évaluation de l’autoconsommation : le riz
CHAPITRE 7 : PHATANG ET SOMSAVATH, LA TRANSITION VERS L’AGRICULTURE COMMERCIALE
1. Les performances des systèmes économiques villageois et des ménages
1.1 La production villageoise brute
1.2 La consommation finale villageoise
1.3 L’épargne villageoise
2. Performances économiques des deux autres agents
2.1 Les institutions villageoises mesurant l’intégration sociale à l’intérieur du village
2.2 Balance des échanges extérieurs et coefficient de dépendance
3. Structures et modèles des revenus et des dépenses des ménages
3.1 Les revenus
3.2 Les dépenses des ménages
CHAPITRE 8 : SENGSAVANG ET HOUAY NGAM, SPÉCIALISATION DANS DE NOUVELLES ACTIVITÉS EN MILIEU URBAIN ET PERIURBAIN (TOURISME ET MINES)
1. La performance des systèmes économiques villageois et des ménages
1.1 La production villageoise brute
1.2 La consommation finale villageoise
1.3 L’épargne villageoise
2. Performances économiques des deux autres agents villageois
2.1 Administration villageoise
2.2 Balance des échanges extérieurs et coefficient de dépendance
2.3 La structure des échanges avec l’extérieur par types d’opérations
3. Structures et modèles des revenus et des dépenses des ménages
3.1 Les revenus
3.2 Les dépenses
CHAPITRE 9 : PHATHAO ET PHOUDINDENG, INSERTION ÉCONOMIQUE DES NOUVEAUX VILLAGES ISSUS DE DÉPLACEMENTS DES POPULATIONS SUR
DE GRANDES DISTANCES
1. Les revenus des ménages
2. Les dépenses des ménages
3. L’épargne des ménages
CHAPITRE 10 : LA DIFFÉRENCIATION DES SYSTÈMES ECONOMIQUES ET DES STRATÉGIES DES AGENTS VILLAGEOIS
1. La différenciation des villages d’après leurs performances économiques
1.1 L’identification et la comparaison des types de systèmes économiques villageois
1.2 Typologie des villages par agent selon les niveaux de revenus, dépenses et épargne
1.3 L’intégration économique des quatre systèmes villageois identifiés
2. Autres facteurs de différenciation économique des six villages étudiés
2.1 Différenciation selon l’ancienneté de l’installation, la position dans le cycle des maisonnées et l’intensité de l’immigration
2.2 Différenciation selon l’intensification des relations villes-campagne et la part qu’y prennent les femmes
2.3 Différenciation selon l’importance et l’extension des réseaux sociaux construits dans la durée
2.4 Différenciation selon le type et la qualité de l’habitation
CONCLUSION

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