Ancrages et posture méthodologiques

ANCRAGES ET POSTURE MÉTHODOLOGIQUES

Ce travail s’inscrit dans une démarche de recherche qualitative. Les données sont issues d’une enquête de terrain de trois mois à Tokyo qui s’est déroulée de juillet à septembre 2017. Dans cette démarche, j’ai travaillé à partir d’entretiens semi-directifs, de participations observantes et d’observations-filmantes (LALLIER 2009). Pratiquant la danse flamenco depuis onze ans et de père andalou, j’ai pu m’immerger dans le milieu du flamenco comme élève durant les cours et les stages dans les écoles tokyoïtes, et comme spectatrice dans les tablaos, les peñas et les divers événements en lien avec le flamenco (festivals et concours). Je n’étais donc pas complètement « étrangère » à mon terrain, malgré la distance géographique. Cette posture d’insider, comme ont pour coutume de l’appeler les chercheur-euses de la discipline, implique de s’interroger sur son positionnement particulier en tant que chercheuse qui fait de « son propre monde » un « objet d’étude ». MUELLER (2010) remet en question cette distinction ontologique entre le point de vue de l’outsider et celui de l’insider. Selon lui, cette identification claire de ce qu’est in et de ce qu’est out est discutable, puisque « les frontières des groupes n’existent pas par nature, mais sont le résultat d’un accomplissement dont le travail de l’ethnographe est justement de rendre compte » (ibid :63). En effet, l’observateur-trice est toujours impliqué-e « as communicating humans studying humans communicating we are all inside what we are studying » (ELLIS & BOCHNER 2003: 216 cité par MUELLER 2015 :9). Sur cette base réflexive, MUELLER invite donc à repenser la dichotomie « insiders » vs « outsiders ». Il souligne que cette dichotomie postule une appartenance monolitique à un milieu ou une culture et semble ne pas être capable de prendre en considération la dimension multiple des identités devenue pourtant une évidence pour la recherche contemporaine. En effet, ma posture de chercheuse se révèle ambivalente et présente de multiples facettes. D’un côté j’appartiens à cette communauté de pratique par le fait d’être une aficionada de la danse flamenco que je pratique comme loisir de manière très engagée ; cette passion pour la danse m’a amenée à effectuer plusieurs voyages ces cinq dernières années à Séville et Jerez pour prendre des cours dans les écoles andalouses. Puis, en Suisse je prends entre 2 et 3 cours par semaine, et parallèlement je m’entraîne entre 1 et Mémoire en Sciences sociales – pilier Anthropologie 10 2 fois par semaine dans un studio que je partage avec une amie. Aussi, cette passion m’amène à assister à des spectacles de flamenco en Suisse et en Espagne, et à participer comme bénévole pour le Festival international du flamenco à Genève. Je peux également dire que je me suis intéressée au flamenco depuis mon enfance car mon père venant d’Andalousie, nous allions tous les étés à Malaga et je me réjouissais entres autres d’aller à la Feria de Malaga pour porter ces robes colorées flamencas. Mais, effectuer une anthropologie du proche amène certes des avantages liés par exemple à la compréhension de la langue et du discours émique, mais nécessite également un processus de distanciation (BEAUD & WEBER 2010) permanent auquel j’ai dû faire face. D’un autre côté, arrivée à Tokyo, j’ai dû très vite me présenter comme étudiantechercheuse venant de Suisse et effectuant un travail de recherche pour l’Université de Neuchâtel, car ma présence aux cours de danse ou dans les peñas et les tablaos a rapidement suscité quelques étonnements et surprises de la part de la communauté japonaise qui ne comprenait pas la raison pour laquelle je venais suivre le flamenco au Japon plutôt qu’en Andalousie. J’ai donc vacillé entre mes multiples identités aficionada/chercheuse, suisse/espagnole, élève/observatrice-participante. J’ai donc eu les avantages de « l’insider » qui partage avec les acteurs un savoir commun. J’ai également pu activer mon réseau de connaissances à Séville pour obtenir des contacts de flamenco-as au Japon. Puis, une de mes professeures de danse à Séville m’a mise en contact avec Tina Panadero, productrice et distributrice ayant travaillé pendant 35 ans avec le tablao japonais El Flamenco considéré comme le plus fameux dans le milieu professionnel et qui recevait toutes les grandes figures espagnoles du flamenco. Ainsi, le fait de faire partie de ce monde m’a permis d’accéder plus rapidement à certaines personnes, et il aurait été contre-productif, du point de vue de l’ethnographie, de s’en priver. Puis, j’ai eu les avantages d’être une outsider du circuit flamenco au Japon. En effet, aucun-e aficionadoa ne va au Japon pour le flamenco. Les aficionado-a-s ont l’habitude d’aller en Andalousie qui est considérée comme le lieu d’origine du flamenco. Les seul-e-s étrangers et étrangères que l’on retrouve dans le milieu du flamenco japonais sont les artistes espagnol-e-s qui se déplacent pour se produire dans les tablaos et les peñas et donner des cours et stages intensifs. Par conséquent, ne faisant pas partie des professionnel-les, j’étais de ce point de vue-là une outsider.

Méthodes de recherche : Grounded theory

J’ai appréhendé ma recherche en laissant le sujet et la problématique émerger du terrain, suivant la Grounded Theory (GLASER & STRAUSS 1967). En effet, une des grandes difficultés de ce travail réside au fait que la littérature en sciences sociales est extrêmement parcimonieuse en études de cas sur le flamenco hors du territoire espagnol. La majorité des études sur le flamenco sont focalisées sur les controverses liées aux origines du flamenco, sur le processus de patrimonialisation ainsi que son histoire. Comme mentionné plus haut, on ne trouve à ce jour que trois études traitant du flamenco au Japon. Ne sachant pas ce que j’allais pouvoir trouver et observer sur le terrain, j’ai commencé par élaborer mes entretiens autour de 8 thématiques : (1) Trajectoire et histoire personnelle en lien avec le flamenco, (2) Circulations liées au flamenco (voyages, destinations, objets ramenés), (3) Lieux du flamenco à Tokyo et histoire du flamenco au Japon, (4) Apprentissage et transmission du savoir, (5) Réseaux de personnes, (6) Diffusion du flamenco au Japon (qui sont les acteurs et quels moyens sont utilisés), (7) Références à l’histoire du flamenco, (8) Flamenco et patrimoine. Au fur et à mesure de mes entretiens et de mes rencontres, j’ai affiné certaines thématiques et laissé de côté d’autres qui étaient moins pertinentes dans le contexte dans lequel je me trouvais. Par exemple, la question de l’impact de la patrimonialisation était peu pertinente, car le flamenco était déjà bien installé au Japon bien avant son inscription à l’UNESCO. Aussi, les questions relatives à l’apprentissage et la transmission du savoir étaient difficiles à approfondir notamment auprès des élèves car la plupart ne parlaient pas espagnol ou anglais. De même que la question des lieux tels que les tablaos et les peñas et leurs propriétaires étaient également difficiles d’accès pour des questions linguistiques. Je ne pouvais donc pas accéder à certaines informations notamment autour de la gestion du lieu, de son histoire, ou de la manière dont ces propriétaires contractaient les artistes espagnol-e-s par exemple. Finalement, les interlocuteur-trice-s que j’ai le plus côtoyé-e-s étaient les artistes japonais-e-s et espagnol-e-s avec qui je pouvais facilement communiquer en espagnol. De plus, certaines thématiques ont émergé du terrain comme les tensions entre artistes espagnol-e-s et japonais-e-s qui finalement s’est avérée être une thématique centrale de mon travail, au vue de la qualité des données que j’avais à ce sujet. La délimitation de mon terrain s’est donc faite au hasard de l’enchaînement des Mémoire en Sciences sociales – pilier Anthropologie 12 rencontres et selon la logique du snowball sampling (SCHUTT 2001) et de la construction progressive de de l’« échantillon » (GLASER & STRAUSS 2006). Au retour de mon terrain, j’ai donc procédé à l’analyse de mes données comprenant non seulement les entretiens, mais aussi les données d’observation et le matériel récolté tel que les photos, flyers, affiches, brochures, articles de presse et vidéos. L’analyse a ensuite principalement été possible grâce à un codage thématique. J’ai d’abord appliqué un « open coding » (STRAUSS & CORBIN 1998), consistant à attribuer des codes aux entretiens et aux données, en restant relativement proche du discours des interviewé-es et observé-es et en reprenant leurs termes émiques. Ce premier codage m’a permis d’effectuer ensuite un « axial coding » 9 (FLICK 2009 : 310-312), en reprenant les codes ressortis et en les classifiant dans une famille de code plus large, séparée par catégorie. Enfin, j’ai pratiqué un « selective coding » (CHARMAZ 2001), à savoir une sélection de codes qui apparaissaient fréquemment, et rassemblé les « axial coding » pour en faire des catégories analytiques. Ce codage m’a permis de faire ressortir les éléments importants du terrain, pour leur donner ensuite un sens analytique, de façon inductive. Ces thématiques analytiques sont devenues par la suite les différents chapitres de mon analyse.

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Table des matières

1. Introduction
1.1. Internationalisation du flamenco : un phénomène ambivalent entre territorialisation et
déterritorialisation de la pratique
1.2. Ma recherche : étude de cas du flamenco au Japon
2. Ancrages et posture méthodologiques
2.1. Méthodes de recherche : Grounded theory
2.2. Un terrain interconnecté : Espagne – Japon
2.3. Entretiens semi-directifs
2.4. Observations, participations et observations-filmantes
2.5. Régime d’écriture : une ethnographie du particulier
3. Ancrages théoriques
3.1. Construire les frontières du flamenco par un travail de « boundary work »
3.2. La sociologie de l’art
3.2.1. Le flamenco et ses conventions
3.2.2. La notion d’« artiste de flamenco »
4. Mythe fondateur : Construction des notions de pureté et d’authenticité autour des figures
du « Gitan » et de l’« Andalou »
4.1. Demofilo: cante gitano comme cante jondo
4.2. Lorca et De Falla: le chant primitif andalou comme cante jondo
4.3. Mairena, mairenisme et gitanisme
5. Eléments de contexte historique : le flamenco au Japon
5.1. Premières représentations de danse flamenco au Japon (années 1912 et 1930)
5.2. Deuxième vague 1950 : retour des compagnies espagnoles et émergence d’une scène
japonaise
5.3. Les premières circulations d’artistes japonais en Espagne : années 1950
6. Authenticité en jeu : une coquille vide à remplir
6.1. La circulation du message d’authenticité
6.1.1. Circulation vers le « centre-symbolique » : la communauté flamenca japonaise
6.1.2. Circulation vers la « périphérie-symbolique » : les artistes espagnol-e-s 53
6.2. Les « porteurs de l’authenticité » et le travail des frontières identitaires du flamenco
6.2.1. Ethnic boundary work et le discours dominant « el flamenco es nuestro »
6.2.2. Mobilisation des notions de culture, d’ethnicité et de territoire comme « cultural stuff »
dans la construction des frontières du flamenco
6.2.3. Hiérarchisation, légitimation et disqualification
6.2.4. Institutionnalisation des frontières
7. Stratégies de légitimation des artistes japonais-e-s et tentatives d’autonomisation
7.1. Devenir un-e flamenco-a par un travail de boundary crossing
7.1.1. Suivre la tradition et connaître la mémoire des anciens
7.1.2. Incorporation des conventions du flamenco
7.1.3. « Vivencias » : un passage obligatoire pour devenir flamenco-a
7.2. Redessiner et désethniciser les frontières du flamenco
7.2.1. Elargir la notion de tradition et de lieu d’origine du flamenco
7.2.2. Invoquer l’« universalisme » du flamenco : un art universel et un patrimoine dE
l’humanité
7.3. Se faire « consacré-e » : l’enjeu des rites de consécration et son capital symbolique
7.3.1. Le rôle des concours japonais de l’association ANIF et la fondation MARUWA dans la
consécration des artistes japonais-e-s de flamenco
7.3.2. Le rôle des institutions espagnoles dans la valorisation des artistes japonais-es
8. Conclusion
8.1. Synthèse
8.2. Ambivalence des stratégies de légitimation
8.3. Ouverture 126
9. Annexes 129
9.1. Instances espagnoles et processus d’institutionnalisation
9.2. Grille des entretiens semi-directifs
9.3. Grille des événements observés
9.4. Catalogue Shoji Kojima Neo-Flamenco japonais
9.5. Arbre des palos
10. Glossaire 37
11. Bibliographie

 

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