Ambiguité du terme espace public

 AMBIGUITE DU TERME ESPACE PUBLIC

La notion d’ « espace public » recouvre des réalités différentes selon le champ de positionnement adopté qui peut être politique, juridique, sociologique, ou architectural et urbanistique: transversalité à la fois riche et ambiguë. Il s’agit donc de retracer ces différentes approches. Ces définitions concernent l’espace public tel qu’il est inscrit dans la culture occidentale et plus précisément européenne.

L’influence de la philosophie politique 

On attribue traditionnellement à Jürgen Habermas la paternité du concept d’ « espace public ». Le philosophe allemand dans sa thèse, élaborée dans les années 1950, postule l’organisation d’une sphère publique délibérative bourgeoise, en Angleterre tout d’abord, en France ensuite (au XVIII ème siècle), puis en Allemagne (au XIX ème siècle). Habermas examine l’affirmation d’un droit collectif à se protéger du pouvoir à partir du domaine bourgeois « privé »- celui en particulier du salon de discussion littéraire et philosophique- et montre comment la surrection de l’opinion publique manifeste la conquête du droit de contester l’instance politique. Le « public» pour Habermas est formé par des individus, se revendiquant comme tels et faisant usage de leur raison. L’espace public ou sphère publique est donc l’espace de contestation, de confrontation et de négociation par rapport aux pouvoirs établis. C’est le lieu de l’expression d’une opinion publique. La sphère publique se distingue de la sphère privée car elle relève du politique, des « affaires de la cité », alors que la sphère privée relève des affaires des individus en tant qu’ils appartiennent à des familles.

De façon générale, J.Habermas (1978) définit l’espace public comme un débat à l’intérieur d’une collectivité, d’une société. Un journal, une revue, un programme TV, une instance politique peuvent en être des exemples. La vie politique d’une société est ainsi constituée d’un ensemble important d’espaces publics qui ne sont que communicationnels et abstraits. L’espace public n’a pas ici de véritable réalité physique. On ne trouve point d’espace. Au sens de la philosophie politique, l’espace public constitue donc l’espace métaphorique du débat public.

Définition juridique : espace public et domaine public 

Le juriste utilise essentiellement la notion de « domaine public », qui recouvre des dépendances telles que les rues, places, immeubles administratifs… et qui est soumis comme tel à un régime juridique spécifique régi par le droit de propriété. Le domaine public est une création juridique, ouvert à la circulation générale ou aux usagers des services publics et soumis à un régime de droit administratif dominé par le principe d’inaliénabilité et comportant des règles diverses de délimitation, de protection pénale et d’utilisation. A l’inverse, le domaine privé est soumis à un régime de droit privé et au contentieux judiciaire.

L’espace public est une notion inconnue par le droit. Le domaine public et l’espace public demeurent deux notions bien distinctes. Nous pouvons globalement considérer comme espace public la partie non bâtie du domaine public affectée à des usages publics. Parce que composé d’espaces ouverts extérieurs, l’espace public s’oppose, au sein du domaine public, aux édifices publics. Il comporte aussi bien des espaces minéraux (rues, places, boulevards, passages couverts) que des espaces verts (parcs, jardins publics, squares…) ou des espaces plantés (mails, cours…). Nous excluons donc ici les édifices publics (musée, cathédrale…), c’est-à-dire le bâti à vocation public.

Les apports de la sociologie 

Certaines recherches en sciences sociales ont précisé les contours concrets qui caractérisent un espace public à travers une sociologie des interactions. Celle-ci apporte des éléments indispensables à la compréhension de l’espace public du point de vue de sa construction sociale.

La notion de coprésence et la ville comme « monde d’étrangers »

Jacques Lévy et Michel Lussault définissent la coprésence comme l’une des trois modalités (avec la mobilité et la télécommunication) des technologies de la distance, mises en jeu par les acteurs. La coprésence se caractérise par le « rassemblement et l’agrégation en un même lieu de réalités sociales distinctes ». Parce qu’il y a de la distance, l’espace est une dimension fondamentale de la société et les acteurs élaborent des stratégies permettant de se concilier la distance, d’en déjouer les contraintes et d’en jouer les atouts, tant il est vrai qu’il est parfois fondamental pour un individu et/ou pour un groupe de savoir et de pouvoir se distancier. Il s’agit là de rassembler en un même espace, en contiguïté, les « entités et objets spatialisés » afin de rendre possible leurs relations. Comme le confirment J.Lévy et M.Lussault, les logiques et les effets de la coprésence produisent de facto une accentuation de la densité et, en général, une augmentation de la diversité des objets coprésents. Diversité et densité sont le fondement des dynamiques des villes et de l’urbain et donc des espaces publics.

L’idée de coprésence renvoie à des représentations de la grande ville décrite par l’école de Chicago dans laquelle les sollicitations sensorielles sont multiples et où le citadin n’entend et ne voit que des étrangers : c’est l’inattention réciproque qui doit paraître à autrui. Si la coprésence produit et exige la proximité topographique, pour autant, elle peut aller de pair avec la faiblesse des interactions entre « objets coprésents ». On peut ainsi discerner des coprésences à interactions faibles. La coprésence d’individus ne se connaissant pas constitue le facteur essentiel du caractère public contemporain. Sachant que dans l’espace public urbain, la coprésence amène à ce que nous soyons sans cesse face à des inconnus. il s’agit bien là d’un « monde d’étrangers ».

L’espace public comme lieu d’exposition et d’observabilité

La gestion des apparences, et plus précisément les tensions entre exposition et observation, fondent la vulnérabilité fondamentale des espaces publics. De ce fait, les compétences du citadin sont de « gérer la diversité des expositions et le caractère implicite de l’ordre observable ». Pour E.Goffman (1962) une situation publique est créée dès qu’un individu est en présence d’un autre ; à l’intérieur de l’espace domestique, les individus sont pour cet auteur en « public » et « leur présentation de soi » s’adapte à cette situation de coprésence. Cependant, cette acceptation ne prend pas en compte la nature de l’interaction entre individus. En ce sens, elle ne peut être valide.

En effet, l’interconnaissance, en principe limitée dans les grands espaces urbains, l’inattention polie ou la réserve par rapport à autrui, sont convenues. L’absence de relation dans un espace public n’est pas forcément la preuve d’une socialité déficiente. C’est un travail de contrôle des gestes et attitudes pour différer parfois la relation, ou faire en sorte qu’elle ne se produise pas. L’espace public ne s’organise donc pas selon une logique d’appropriation territoriale comme dans un espace privé mais en fonction de l’exposition à l’autre . De ce fait, les compétences du citadin reviennent à « gérer la diversité des expositions et le caractère implicite de l’ordre observable » (I.Joseph). Toutefois l’observabilité n’est pas suffisante pour qualifier un espace comme public, celle-ci doit être réciproque selon Louis Quéré. Si les situations non réciproques (voir quelqu’un chez lui par la fenêtre éclairée par exemple) font partie du paysage visible, elles ne construisent pas de relations d’ordre public car la publicité requiert une symétrie. L’observabilité est donc un critère majeur de démarcation entre ce qui est public et ce qui est privé. Ce jeu d’observabilité/exposition conduit à une inattention civile qui implique de ne pas prêter attention à autrui et de créer de la distance entre les personnes.

Les notions de civilité et d’urbanité 

Les sciences sociales ramènent l’espace public à deux notions fondamentales : la civilité et l’urbanité. Michel Lussault qualifie la civilité comme la politique sans la politique. Ainsi peu ou prou du politique, le caractère public d’un lieu s’évalue à partir de la civilité, c’est-à-dire « une figure de retenue silencieuse et d’évitement circonspect ». Les dictionnaires définissent l’urbanité comme les qualités de l’homme de la ville. Cette qualité de l’homme lui permet d’instaurer avec autrui un mode de relations au moins formellement égalitaire en rupture avec les hiérarchies et les distances ordinaires. S’opère un effet de neutralisation des différences) dans « un univers pacifié où se mélangent ceux que d’ordinaire tout sépare ». Georg Simmel, dans son article sur les grandes villes décrit la « réserve » du citadin, une indifférence teintée d’une « légère aversion, une mutuelle étrangeté et une répulsion partagée ». Mais il note parallèlement la liberté de l’habitant de la grande ville débarrassé des mesquineries et des préjugés de la petite ville. Des attitudes contrastées sont juxtaposées : l’extravagance, une forme de recherche de l’individualisation face au nombre, et le conformisme, une attitude due à l’extrême division du travail et qui conduit à « l’étiolement de la personnalité ». L’attitude de tolérance résulte de cette proximité spatiale en même temps qu’une distance sociale généralisée. Richard Sennett (1995) énonce que « la ville devrait être le lieu où il est possible de s’unir aux autres sans tomber dans la compulsion de l’intimité ». De fait, le parcours dans l’espace public suppose une suspension de l’intime, de la privacy. L’anonymat est la garantie que l’autre urbain ne projettera pas son intimité sur la notre par une injonction à l’interconnaissance. Elle permet à l’individualité de se déployer. Max Weber pensait l’espace public comme lieu de rencontre pour des individus de classes sociales, de races et d’ethnies différentes. L’espace public devient alors synonyme d’universalité qui exclut l’appropriation par un groupe particulier. Les relations entre les hommes dans un espace public sont constituées « d’interactions brèves où les personnalités sont hors circuit ».

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Table des matières

INTRODUCTION
I- PRESENTATION DU DOMAINE DE RECHERCHE
A- Ambiguité du terme espace public
1- L’influence de la philosophie politique
2- Définition juridique : espace public et domaine public
3- Les apports de la sociologie
a. La notion de coprésence et la ville comme « monde d’étrangers »
b. L’espace public comme lieu d’exposition et d’observabilité
c. Les notions de civilité et d’urbanité
4- Une approche à partir des éléments spatiaux
a. Espace public et forme urbaine
b. Les courants urbanistiques
c. Les « formes » d’espaces publics dans l’histoire
5- Les dimensions sémiologiques et émotionnelles de l’espace public
a. Des normes d’usage spécifiques
b. Les images véhiculées par l’espace public
6- La vision des urbanistes
a. La notion d’accessibilité au public
b. Les espaces centraux
B- Galerie commerciale et le modèle de la rue piétonne
1- Transformation et évolution du phénomène commercial
a. Modernisation du commerce de détail en France
b. Le centre commercial et son histoire
2- L’application de stratégies architecturales particulières
a. Au départ, des espaces sans aucune qualité urbanistique et architecturale
b. Mise en valeur progressive des centres commerciaux
c. Le simulacre de la rue piétonne comme principale stratégie commerciale
d. L’exemple du centre commercial des Rives d’Arcins à Bordeaux
II- DÉVELOPPEMENT DE LA PROBLÉMATIQUE : selon les individus, quels types de rapport de similitude existe-t-il entre la galerie commerciale et la rue piétonne ?
A- Les processus a l’œuvre dans la lecture de l’espace
1- Le rôle de l’individu dans l’acte de connaissance
a. Le courant « réaliste »
b. Le courant « idéaliste »
2- La notion de représentation
a. Représentation en tant que processus
b. Représentation en tant que produit
B- Définition du processus d’imitation
1- L’imitation : un type de rapport de similtude
a. Imitation et analogie
b. Imitation et existence d’un modèle
c. Imitation et intention
2- Deux acceptations de l’imitation
a. La « Mimesis » chez Platon et Aristote
b. Ressemblance et représentation
c. Image, indice/icône/symbole
3- Les effets de l’imitation
a. Imitation et vérité
b. Imitation et beauté
III- VÉRIFICATION DE L’HYPOTHÈSE DE RECHERCHE
A- Retour sur les objectifs de la recherche
B- Construction d’une approche méthodologique
1- Le centre commercial «Espace Anjou » comme lieu d’investigation
a. Justification des critères de choix
b. Présentation et description d’ « Espace Anjou »
2- Méthode et outils mis en œuvre pour le recueil des données
a. Une démarche fondée sur la méthode de l’entretien
b. Les comptes-rendus de perception en mouvement
3- Choix et caractéristiques de l’échantillon de référence
a. La taille de l’échantillon
b. La définition de la population
c. Les modes d’accès aux interviewés
d. La programmation de ces entretiens
4- Traitement et analyse du corpus praxéodiscursif
a. Déconstruction et reconstruction des discours d’existence
C- Analyse thématique
1- Les éléments de ressemblance
a. L’agencement général : formes, gabarits et proportions
b. Traitement : éléments d’architecture, matériaux, couleurs, lumière
c. Eléments de décor
2- Les éléments de représentation/référence
a. Ambiance et usages de l’espace
b. Qualificatifs de la galerie marchande
D- Conclusion de l’analyse thématique
a. Plusieurs niveaux de description : entre reconnaissance et authentification
b. La galerie commerciale : « copie » ou « simulacre » de la rue piétonne
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE GENERALE

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