Définition pratique de la notion d’occurrence

ALTERNANCE CODIQUE : ÉLÉMENTS D’EXPLICATION

Code

On peut classer les conceptualisations de la notion de code dans la littérature en trois « familles » (cf. Alvarez-Cáccamo, 1998), compte tenu du fait que ce ne sont pas des catégories formelles ni, en fin de compte, des définitions mutuellement exclusives. Une première conception de code est celle qu’on retrouve en cryptographie : un mécanisme de transduction qui permet d’établir des correspondances entre les éléments de deux ensembles (Alvarez-Cáccamo, 1998). Cette conception se retrouve aussi en linguistique, en particulier en phonologie structurale. On établit des correspondances entre des réalisations phonétiques et un phonème; c’est ce qui permet, par exemple, la compréhension des accents étrangers (Hockett, 1987 ; Jakobson, Fant, et Halle, 1963). Changer de code, dans cette conception, veut dire changer de « clé » d’interprétation, et n’implique pas nécessairement la production d’énoncés. Une deuxième conception, la plus courante, est celle du code en tant que système de conventions partagées. C’est le plus souvent à partir de cette conception qu’on fait l’équivalence entre code et langue dans le contexte de l’alternance codique, où la langue est conçue comme un système objectif, distinct d’autres langues, plutôt homogène et plutôt stable (voir à ce sujet Milroy, 2001).

Alternance codique réfère donc au fait de changer de système, c’est-à-dire de changer de langue. On retrouve cette conception surtout dans des approches structuralistes de la langue telles qu’on trouve en grammaire générative et en psycholinguistique (par exemple, Abutalebi et Green, 2008 ; Grosjean, 1997 ; MacSwan, 2013 ; Poplack, 1980). Cette conception se heurte toutefois à certaines difficultés. Elle occulte le fait qu’une langue n’est pas une entité objectivement déterminée ayant une existence propre, mais avant tout un ensemble flexible de pratiques sociales et créatives qui varient avec le temps, selon les communautés et même selon les individus (Gardner-Chloros et Edwards, 2004 ; Heller, 2007 ; Kemp, 2009 ; Le Page et Tabouret-Keller, 1985 ; Lüdi et Py, 2009). De plus, par cette objectivation des langues, elle implique que l’individu bilingue dispose de deux systèmes, distincts et autonomes. Autrement dit, cette conception de code en tant que langue-système immanente implique que le bilinguisme est une duplication du monolinguisme, et que l’individu bilingue est, ou devrait être, l’équivalent de deux individus monolingues en un3 (Lüdi et Py, 2009). Cependant, il est très rare, voire même impossible, qu’un locuteur bilingue atteigne dans sa deuxième langue une compétence identique à celle d’un locuteur monolingue4 de cette langue (Abrahamsson et Hyltenstam, 2009).

En même temps, le fait de connaître une deuxième langue a des effets observables sur l’ensemble des habitudes langagières de l’individu bilingue, y compris ses habitudes dans sa langue maternelle (Cook, 1992 ; Kroll et al., 2015 ; Pavlenko, 2011b). Considérés dans leur ensemble, ces constats semblent indiquer que le bilinguisme n’est pas la simple addition de monolinguismes — ce n’est pas un deuxième monolinguisme que le bilingue acquiert, et ce qu’il acquiert ne fonctionne pas comme un module autonome, mais s’intègre à l’ensemble de ses connaissances linguistiques. L’idée de langue-système reflétée dans cette conception de code prédit donc un fonctionnement du langage chez le bilingue qui ne se voit toutefois pas confirmé dans les faits. Selon une troisième conception, vue en sociolinguistique ainsi qu’en analyse conversationnelle, code s’applique à tout ensemble de comportements auquel est attribuée une signification par les membres d’une communauté donnée (voir par exemple Alvarez-Cáccamo, 1998 ; Auer, 1995 ; Blom et Gumperz, 2000 [1972] ; Heller, 1995 ; Li, 1998). Étant socialement significatif, un code est un mode de présentation de soi, permettant de signaler son appartenance à un groupe donné, d’indiquer comment on voit ou construit la situation de communication (ex. formelle, décontractée, etc.), de signaler le rôle qu’on adopte dans cette situation, de faire allusion à d’autres rôles ou d’autres situations, et ainsi de suite. Code, en ce sens, peut s’appliquer tant à une langue qu’à un dialecte, à une variété de langue, à un registre ou à un style, si l’on se restreint au plan linguistique (Alvarez-Cáccamo, 1990). Alternance codique réfère donc à l’emploi d’un autre ensemble significatif, ce qui représente un changement dans la façon dont on se présente aux autres. La perception et l’interprétation d’une occurrence d’alternance codique dépendent donc d’une connaissance des normes de la communauté quant à l’interaction, aux codes présents et aux valeurs qui y sont associées.

En mettant l’accent sur la nature sociale de la construction et de l’emploi des codes, cette conception rend mieux compte de la créativité et de la variété inhérentes à l’activité langagière, qui est menée par des individus singuliers5, membres de communautés particulières, avec des répertoires et des normes qui leur sont propres. De cette perspective, le bilinguisme n’est pas le simple ajout d’un système modulaire, mais un changement dans la constitution même du répertoire du locuteur, soit l’addition de ressources linguistiques6 (Lüdi et Py, 2009 ; voir aussi dans ce sens Heller, 2007 ; Lamarre, 2002). Cela n’implique toutefois pas l’abandon du terme langue, ni l’abandon du terme code pour référer à une langue, mais plutôt la reconnaissance qu’une langue n’est une langue (et un code n’est un code) que parce que les membres d’une communauté donnée la désignent comme telle7. Ce qu’on appelle une langue est en fait un ensemble socialement construit de comportements linguistiques; elle n’a pas d’existence propre en dehors de ses locuteurs. Ce sont les locuteurs d’une langue qui établissent ses conventions et ses normes et qui engendrent l’évolution de celles-ci, et ce sont les locuteurs qui forment la représentation collective de leurs pratiques langagières comme étant une langue. Cela est clairement illustré par le fait qu’il n’y a pas de critère objectif permettant de trancher, dans l’ensemble des contextes qu’on pourrait avoir à considérer, entre une langue et une variété de langue (diatopique ou autre) ou un sociolecte (Kemp, 2009 ; Lewis, Simons, et Fennig, 2015). Comme l’explique Kemp (2009) : « People, including researchers, abstract this social construct, reify it, and understand a language as existing in fact, not just as utterances. The ‘fact’ is much easier to understand and refer to than the complexity of the reality » (p. 16). Autrement dit, une langue, ainsi qu’un code, est plutôt une catégorie en soi, une simplification (nécessaire) qu’on impose sur la réalité.

Alternance

Tout comme la notion de code, représentant la matière qui est manipulée, la notion d’alternance, représentant la manipulation qui en est faite, est conceptualisée différemment dans la littérature selon l’approche. La conceptualisation d’alternance en tant qu’un basculement tranché (« switching ») découle de la conceptualisation de code en tant que langue-système. Comme ces systèmes sont distincts, un locuteur devrait se servir soit de l’un, soit de l’autre, et ce, à tout moment. Même si l’énoncé produit est mixte, les systèmes qui l’ont produit ne le sont pas. Plutôt, le locuteur basculerait effectivement entre systèmes, accédant d’abord au lexique et à la grammaire d’un système en délaissant l’autre pour formuler une partie de l’énoncé, et vice versa pour formuler une autre partie. Dans cette conception, il devient important de poser les frontières entre l’alternance codique et d’autres phénomènes de contact linguistique qui lui ressemblent, en particulier l’emprunt et le transfert8 (voir par exemple Clyne, 2000 [1987] ; Haugen, 1956 ; Sankoff et Poplack, 1981 ; Weinreich, 1970 [1953]). Dans cette perspective, l’emprunt, c’est-à-dire l’intégration d’une unité du code B au code A, ne constituerait pas une alternance codique, parce que le locuteur ne change pas de système en synchronie. Plutôt, on utilise toujours le code A qui, au cours de son histoire9, a subi une influence du code B. Ainsi, si on peut démontrer qu’une unité est « intégrée » au code A au moment de son emploi, cet emploi ne constitue pas une alternance codique, peu importe l’association de l’unité au code B. Turpin (1998) donne l’exemple du syntagme trois policewoman, où policewoman est considéré un emprunt, car la morphologie du pluriel suit, à l’oral, le système français plutôt que le système anglais. Cependant, ce qui constitue une intégration effective demeure pour l’instant une question sans réponse claire (voir la section 4.1.4 pour une discussion de quelques critères possibles).

Tout comme pour l’alternance codique, le sujet du transfert connaît une prolifération de terminologie et de conceptualisations (Jarvis et Pavlenko, 2008 ; Treffers-Daller, 2009); pour en discuter, il s’avère donc nécessaire de faire une parenthèse terminologique. Le transfert a suscité des réactions négatives depuis l’Antiquité (Jarvis et Pavlenko, 2008), et même lorsque Weinreich (1970 [1953]) a présenté ce phénomène dans son travail pionnier (sous le terme interférence) comme étant une conséquence tout à fait compréhensible du bilinguisme, le jugement négatif a persisté. Pour Weinreich, l’interférence réfère à toute différence des normes monolingues et est causée par la réorganisation des éléments d’une langue-système due à la connaissance d’une autre. Toutefois, et tout comme son contemporain Haugen, il considère que le bilingue devait reproduire les normes monolingues. Donc, malgré la ressemblance de sa définition avec celle du concept moderne de cross-linguistic influence (voir ci-dessous), son application a été restreinte, de façon générale, à des influences inconscientes et négatives de la langue maternelle sur la langue seconde – autrement dit, un échec de la part d’un apprenant qui n’a pas veillé à garder ses deux langues bien séparées (« keeping the two languages apart », Haugen, 1956, p. 11).

Cette conception demeure dans certains travaux sur l’alternance codique (voir par exemple Poplack, 1987, p. 72 : « speech errors which involve both languages, and which may properly be considered “interference” »). De nos jours, le terme interférence est généralement rejeté dans le domaine de l’acquisition des langues secondes, vu sa connotation négative, mais il est toujours utilisé en psycholinguistique, où il réfère aux effets de l’activation des connaissances dans plusieurs langues sur les processus cognitifs de production de la parole (Treffers-Daller, 2009). En acquisition des langues secondes, transfert est interchangeable avec influence translinguistique (« cross-linguistic influence »), qui réfère à l’influence qu’a la connaissance d’une langue donnée sur la connaissance et l’emploi de toute autre langue (Jarvis et Pavlenko, 2008 ; Treffers-Daller, 2009). Ce terme représente un élargissement conceptuel par rapport à l’interférence, car il englobe des influences négatives et positives, ponctuelles ou permanentes, dont le locuteur est inconscient ou dont il fait l’emploi stratégique, ouvertement détectables ou subtiles, opérant dans toutes les directions entre toutes les langues connues par le locuteur (Jarvis et Pavlenko, 2008 ; Lüdi et Py, 2009 ; Treffers-Daller, 2009). Avec cette conceptualisation, le transfert pourrait englober tout phénomène de contact des langues, y compris l’alternance codique. Dans le cadre de la présente recherche, cependant, j’utilise transfert dans le sens typiquement employé dans les études qui le distinguent de l’alternance codique : une influence inconsciente et « erronée » d’une langue sur l’autre, qui éloigne cette dernière de la norme monolingue à viser (versus la juxtaposition en discours de deux codes monolingues bien maîtrisés). Dans cette perspective, et dans une approche qui considère l’alternance codique comme un basculement entre deux codes distincts, le transfert ne constituerait pas un changement de système; on utilise toujours le code A, mais ce code a subi l’influence du code B chez un locuteur donné.

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Table des matières

1 INTRODUCTION
2 ÉTAT DE LA QUESTION ET APPROCHE
2.1 ALTERNANCE CODIQUE : ÉLÉMENTS DE DÉFINITION
2.1.1 Code
2.1.2 Alternance
2.2 DÉFINITIONS RETENUES ET IMPLICATIONS POUR L’ANALYSE
2.2.1 Code, langue et altérité codique
2.2.2 Répertoire du locuteur et catégorisation de l’altérité codique
2.2.3 Récapitulatif des définitions retenues
2.3 ALTERNANCE CODIQUE : ÉLÉMENTS D’EXPLICATION
2.4 AUTRES CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES PERTINENTES
2.4.1 Non-équivalence des synonymes et alternance codique
2.4.2 Paradigme lexical multicodique
2.4.3 Ressources linguistiques
2.4.4 Sélection lexicale
2.4.5 Communauté de pratique
2.4.6 Sémantisation, habitudes d’usage et recontextualisation
2.4.7 Sens canonique, sens en usage et visée référentielle
2.5 RÉCAPITULATIF DU CHAPITRE 2
3 LE CORPUS ANALYSÉ
3.1 CRITÈRES DE SÉLECTION DES CORPUS À ANALYSER
3.1.1 Critères favorisant une quantité suffisante d’occurrences d’alternance codique
3.1.1.1 Corpus existants et accessibles
3.1.1.2 Corpus de conversation libre ou semi-dirigée
3.1.1.3 Locuteurs bilingues
3.1.1.4 Enquêtes menées auprès des membres des communautés de langue minoritaire sur le plan régional
3.1.2 Critères concernant l’analysabilité des occurrences
3.1.2.1 Corpus sur support audio ou audiovisuel
3.1.2.2 Locuteurs bilingues anglais-français
3.1.2.3 Communautés en Amérique du Nord
3.1.3 Exclusion des corpus d’apprenants
3.1.4 Vue d’ensemble : caractéristiques des corpus retenus
3.2 CORPUS RETENUS
3.2.1 Description générale
3.2.2 Contexte sociohistorique pertinent des communautés en question
3.2.2.1 L’Alberta francophone
3.2.2.2 Le Maine francophone
3.3 CONSTITUTION DU CORPUS D’ANALYSE
3.4 RÉCAPITULATIF DU CHAPITRE 3
4 PRÉ-ANALYSES : REPÉRAGE D’OCCURRENCES, CATÉGORISATION ET TRANSCRIPTION
4.1 DÉFINITION PRATIQUE DE LA NOTION D’OCCURRENCE
4.1.1 Identification des codes représentés
4.1.2 Juxtaposition des codes
4.1.3 La notion d’unité lexicale
4.1.4 Identification et exclusion des unités ambiguës quant à leur association à un code donné : la question des emprunts
4.1.5 Identification et exclusion des noms propres
4.1.6 Exclusion sur la base de la réalisation phonétique
4.2 OCCURRENCES CIBLÉES POUR L’ANALYSE
4.2.1 Les occurrences isolables
4.2.2 Les occurrences en anglais
4.3 REPÉRAGE DES OCCURRENCES D’ALTERNANCE CODIQUE DANS LE CORPUS
4.4 CATÉGORISATION DES OCCURRENCES ISOLABLES REPÉRÉES
4.5 PROTOCOLE DE TRANSCRIPTION
4.6 RÉCAPITULATIF DU CHAPITRE 4
5 ANALYSES ET RÉSULTATS
5.1 COMPARAISON GLOBALE : LES CATÉGORIES FRÉQUENTES EN FRANÇAIS
5.2 CATÉGORIES FAISANT L’OBJET D’OBSERVATIONS GÉNÉRALES SEULEMENT
5.2.1 Les chiffres
5.2.2 Les expressions exclamatives
5.2.3 Les formules
5.2.4 Les formes d’adresse
5.2.5 Les termes de relation familiale
5.2.6 Les marqueurs de position épistémique
5.3 YEAH / YES / YEP
5.3.1 Aperçu global et statut
5.3.2 Fréquence d’usage par locuteur
5.3.3 Tendances thématiques et cooccurrences
5.3.4 Sens en usage et fonctions discursives
5.3.4.1 Établissement des catégories d’analyse
5.3.4.2 Résultats et discussion
5.4 RIGHT / THATS RIGHT / IS THAT RIGHT?
5.4.1 Aperçu
5.4.2 Tendances thématiques et cooccurrences
5.4.3 Sens en usage et fonctions discursives
5.5 LES MARQUEURS PRAGMATIQUES
5.5.1 Aperçu
5.5.2 So
5.5.3 Anyway
5.5.4 Now
5.6 DISCUSSION GÉNÉRALE
6 CONCLUSION
RÉFÉRENCES

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