Agentivité et dynamiques représentationnelles d’organisation

La société dans laquelle nous vivons est une abstraction (Taylor, 1993), constituée d’une pluralité de « réalités » en continuelle évolution (Luckmann, Berger, 1966), dont chacun possède ses définitions. C’est par ce postulat que nous initions notre travail doctoral en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC).

Instruments de construction et d’interprétation sociale, nous proposons une étude approfondie des représentations sociales (Durkheim, 1898 ; Jodelet, 1989 ; Moscovici, 1976). Nous souhaitons mettre en évidence la manière dont elles émergent et s’articulent, participant ainsi à la construction sociale : « Décrire une représentation sociale (Moscovici, 1961, 1976) revient à décrire comment un objet – au sens large – est pensé par une communauté » (Lahlou, 2003, p. 37). Introduire la notion de communauté nous amène à considérer plus précisément ce qui fait son existence, à savoir des individus constituant, partageant et transformant constamment leurs connaissances, en interaction avec autrui. Doué de capacités post réflexives (Piaget, 1937), chacun devient producteur de communications permettant la conception de son « réel » connaissable et subjectif (Jonnaert, 2002 ; Le Moigne, 2001), permis dans un ajustement quotidien entre ses identités personnelles et sociales (Luckmann, Berger, 1966 ; Mucchielli, 2007). Produit de représentations sociales (Molinier, 1996), l’éclairage de notre monde nous invite à porter un regard sur la mise en œuvre de ces processus (Bouzon, 2004).

Fort de cet intérêt, il convient de re-situer cette ambition à une échelle adaptée à une recherche doctorale, par ailleurs limitée dans le temps. Notre inscription en SIC et la richesse des travaux menés dans cette discipline nous offrent plusieurs possibilités pour appréhender cet objet social. Sensibilisée à l’approche de la communication organisationnelle, nous acceptons la vision d’une organisation instable, produite par les communications (Bouillon, Bourdin, Loneux, 2008 ; Bouzon, 2006 ; Cooren, Taylor, Van Every, 2006 ; Delcambre, Taylor, 2011). Nous considérons la communication comme un élément organisant au caractère « allagmatique » (Carayol, 2004), c’est-à-dire avec une capacité à produire du changement :

Il s’agit de considérer les pratiques de communication, non plus seulement comme des « transferts » d’un contenu informatif ou des  « échanges », mais comme des moments possibles d’ordonnancement de la structure d’interaction, qui peut se reconfigurer selon un certain répertoire propre à la situation sociale considérée, à chaque événement communicatif, en situation de symétrie ou d’asymétrie en relation d’ordre, degré ou d’échange. Les pratiques de communications apparaissent ainsi comme des processus de configuration et d’ordonnancement, de mise en ordre des interactants (Ibid., p. 165). 

Les pratiques de communication étant définies comme « une instance d’actualisation des représentations » (Bouzon, 2004, p. 16), cette vision place dès lors notre objet d’étude au centre des dynamiques sociales.

La reconnaissance de capacités à la communication renvoie plus précisément aux éléments formant ces échanges. L’originalité de cette thèse tient alors à notre pratique de déconstruction des représentations sociales d’une organisation, par le regard que nous portons sur ces localités communicationnelles. En effet, ce mode d’appréhension fait l’objet de peu d’étude. Adoptant l’approche Constitutive de la Communication Organisationnelle (CCO), nous justifions ce choix par la volonté d’approfondir certaines perspectives de recherche introduites lors d’un mémoire de recherche en Master 2 (Baudry, 2012) .

Nous nous étions intéressée à la manière dont se construisaient des pages Facebook d’une collectivité territoriale. Nous nous étions inspirée de travaux issus de l’école de Montréal sur la « réalité » organisationnelle, et notamment sur la théorie de la conversation-texte (Taylor, 1993), pour éclairer ce phénomène. Nous avions plus spécifiquement reconnu l’importance de conférer, à la fois aux individus et aux non humains (Callon, Latour, 2006), des capacités potentielles à agir sur et/ou à faire agir d’autres éléments (Cooren, 2010a, Cooren, Taylor, Van Every, 2006). Là encore, cette volonté de porter attention aux localités communicationnelles et à leurs dimensions hybrides pour tenter de saisir des dynamiques représentationnelles d’organisation n’a, à notre connaissance, pas encore été proposée.

Une autre spécificité de cette recherche réside dans sa modalité de mise en œuvre, influant sur la précision de notre problématique. Nous évoluons dans le cadre d’un partenariat de recherche public-privé (Audoux, Gillet, 2011), permis par la ratification d’une Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE). Pensée comme une réelle opportunité de mise en application de notre ambition scientifique, nous avons quelque peu ajusté notre sujet aux attentes des porteurs de projets entrepreneuriaux.

En effet, nous avons eu l’opportunité d’investir quotidiennement, et sur une durée de trois ans, une entreprise internationale du secteur de l’industrie aéronautique et spatiale. Comptant un peu plus de mille salariés répartis dans six pays, Sogeclair aerospace est cependant considérée comme de taille modeste dans son secteur. Évoluant dans un contexte socio-économique tendu, notamment lié au mouvement de « développement fournisseur », elle doit adapter son « équipement organisationnel en réponse à de nouvelles prescriptions » (Hemont, 2011, p. 191) des donneurs d’ordres. Celles-ci favorisent l’émergence de tensions entre la gestion des compétences humaines et l’optimisation de la qualité, des coûts, et des délais des projets à livrer.

CYCLE PARADIGMATIQUE DE LA RECHERCHE

Des représentations sociales à la construction organisationnelle

Le concept de représentations sociales : définitions conceptuelles et modalités d’appréhension 

Les réflexions sur les représentations sociales émergent en Sciences Humaines et Sociales (SHS) dès le 18ème siècle (Durkheim, 1898). Depuis ce temps, une diversité de travaux a permis de définir, redéfinir, enrichir et confronter aux terrains, les avancées progressives sur le sujet. Nous nous appuyons plus précisément sur certains d’entre eux pour préciser les contours de notre objet d’étude.

Les prémisses des représentations sociales

Le sociologue Durkheim (1898) peut être considéré comme un précurseur dans ce domaine. Il définit les représentations sociales comme des phénomènes participant au développement de la « réalité » sociale, en permettant aux individus de vivre ensemble : « la vie collective comme la vie mentale de l’individu est faite de représentations » (Durkheim, 1898, p. 273). Il opère une distinction entre les représentations collectives et individuelles. Les premières sont socialement construites, partagées par les membres de la société et durables : « ce que les représentations collectives traduisent, c’est la façon dont le groupe se pense dans ses rapports avec les objets qui l’affecte » (Durkheim, 1895, dans Cohen-Scali, Molinier, 2008, en ligne). Les secondes sont propres à l’individu, socialement déterminées par les premières, et disparaissent avec la mort de son détenteur. C’est donc par les représentations collectives que l’individu construit son rapport au monde. Durkheim (1898) introduit ainsi leur caractère dynamique, par une capacité à entrer plus ou moins en contact entre elles :

[…] pour en admettre la réalité, il n’est pas du tout nécessaire d’imaginer que les représentations sont des choses en soi ; il suffit d’accorder qu’elles ne sont pas des néants, qu’elles sont des phénomènes, mais réels, doués de propriétés spécifiques et qui se comportent de façons différentes les uns avec les autres, suivant qu’ils aient, ou non, des propriétés communes (Ibid., p. 286). 

Cependant, cette conception laisse peu de place à la liberté humaine individuelle, limitée par le poids des structures sociales. Les travaux de Durkheim inspirent, entre autres, des auteurs en psychologie sociale. Nous pensons notamment au travail de Moscovici (1972, 1976). Reconsidérant la vision durkheimienne, il reconsidère l’emprise de la société sur la construction individuelle, ses deux éléments étant aussi bien capables de s’influencer mutuellement. Il préconise donc de parler de représentations sociales au lieu de représentations individuelles et collectives. Renvoyant à un « système de valeurs, notions et pratiques relatives à des objets, aspects ou dimensions du milieu social » (Moscovici, 1976, p. 72), elles ont pour fonction de structurer les cadres de vie individuels et groupaux, tout en étant un instrument d’orientation des actions : « nous ne les considérons pas [les représentations sociales] comme des « opinions sur » un thème ou des « images de », mais comme des « théories », des « sciences collectives » sui generis, destinées à l’interprétation et au façonnement du réel » (Ibid., p. 48). Il met notamment en évidence le caractère produisant des représentations, dont le produit est une image de l’objet social considéré :

[…] si la première [l’image] est seulement un instrument d’interprétation du milieu social, un schéma figuratif qui plie les notions sur un système de valeurs existantes, étant donc uniquement un produit, la représentation est une action par laquelle nous re-présentons, donc un processus (Ibid., p. 148). 

Dans cette perspective, la représentation sociale transforme « l’inconnu en ce qui est familier » (Boggi-Cavallo, Iannaccone, 1993, en ligne), à partir des processus d’ancrage et d’objectivisation (Moscovici, 1976). Le premier renvoie à la considération de la nouveauté par la ressemblance. L’individu va prendre appui sur des catégories cognitives préétablies, et tenter de classer et nommer ce nouvel élément de savoir. Malgré les différences existantes, le rapprochement vers des connaissances actuelles lui permet de créer le lien avec la « réalité » sociale. Cette étape est complétée par le processus d’objectivisation, visant la caractérisation par la différence. En ne tenant pas compte des informations ne relevant pas directement de l’élément nouveau, l’individu tente de « réduire la complexité de l’environnement social » (Pianelli, Abric, Saad, 2010, p. 245). De ces processus émerge finalement un noyau figuratif, concrétisant « ce système de valeurs, de notions et de pratiques » de façon iconique. Cette image recense alors ce qui fait sens pour cet objet, pour un groupe social déterminé.

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Table des matières

Introduction générale
PARTIE 1 Cycle paradigmatique de la recherche
Chapitre 1 Des représentations sociales à la construction organisationnelle
Chapitre 2 Appréhender les représentations sociales par une approche communicationnelle des organisations
PARTIE 2 Contexte du terrain de recherche
Chapitre 1 Apports du contexte de recherche à la définition de la problématique
Chapitre 2 Méthodologie
PARTIE 3 De la déconstruction d’images à l’émergence de dynamiques représentationnelles
Chapitre 1 La dépendance
Chapitre 2 La matérialité
Chapitre 3 La spatialité
PARTIE 4 Discussion sur la « réalité » organisationnelle par une approche agentive des représentations sociales
Chapitre 1 Contribution aux avancées sur les formes agentives
Chapitre 2 Contribution à la « réalité organisationnelle » par les représentations sociales
Conclusion générale
Bibliographie
Table des figures
Table des tableaux

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