Adaptation et résilience des organisations de type bureaucratique en contexte extrême

Visions du fonctionnement des organisations bureaucratiques publiques dans la littérature scientifique

Souvent décriées pour leur inertie procédurière, souvent critiquées pour leur déconnexion du « monde réel » – celui du secteur privé, de l’entreprise productive – souvent mises à l’index pour leur manque de performance dans de nombreux domaines – gestionnaire, managérial, financier ou organisationnel – les grandes organisations publiques qu’elles relèvent de la fonction publique d’État, territoriale ou hospitalière, donnent l’image de structures incapables de s’adapter aux variations rapides de l’environnement dans lequel elles évoluent, sclérosées par la lourdeur de leur configuration. Parmi les recherches conduites sur les organisations publiques, les résultats des études du courant de la contingence structurelle ne participèrent guère à l’amélioration de cette image. Dès les années 60, Burns et Stalker mettent en avant dans leur typologie des structures qu’une organisation mécaniste – dont se rapproche le plus une organisation publique – ne serait bien adaptée que dans le cadre d’un environnement stable. Plus tard, c’est Mintzberg (1982) qui force le trait en présentant « les organisations gouvernementales [comme] donnant naissance à une forme fréquemment rencontrée […] : la bureaucratie mécaniste publique qui tant que l’environnement demeure parfaitement stable […] ne rencontre pas de grandes difficultés. » (pp. 290-303).

Si le courant de la contingence structurelle a eu le mérite de positionner l’organisation au sein de son environnement par rapport aux conceptions universalistes et technicistes développées par Fayol et Taylor au début du XXe siècle, et de montrer l’influence qu’exerce cet environnement sur l’entreprise, l’absence de considération du rôle de l’acteur est une critique fréquemment adressée à ce courant, la théorie de la contingence structurelle reléguant l’acteur à un rôle mineur quand il n’est pas tout simplement écarté. Crozier et Friedberg (1977) cherchent à dépasser cette vision macroscopique et déterministe qui lie la survie d’une organisation à sa capacité à ajuster sa structure à un environnement en perpétuel changement. Aussi lorsqu’ils insistent sur le rôle de l’acteur « qui sous tend l’organisation et qui seul lui donne vie et sur sa capacité à agir pour résoudre les problèmes posés par la technologie, l’environnement » (pp. 159-160), nous pouvons légitimement imaginer qu’ils se font les avocats indirects des bureaucraties mécanistes. Cette interprétation doit rapidement être mise de côté lorsque les auteurs rappellent plus loin (pp. 197-199) les difficultés de changement propres à l’organisation bureaucratique et partagent avec le reste du champ sociologique l’impression de rigidité léguée par le courant de la contingence structurelle.

Longtemps, et encore ancrée comme référence de l’analyse organisationnelle, la contingence structurelle a pourtant très rapidement montré les limites de sa pertinence. Au début des années 60, Chandler démontre que l’environnement n’a d’influence sur les structures qu’au travers de la stratégie de l’entreprise qui initie leur changement. En réponse, le changement engendré se répercute à son tour sur la stratégie de l’organisation. Cela nous ramène au rôle des acteurs construisant la perception qu’ils ont de leur environnement, la représentation qu’ils s’en font et le comportement que cela engendrera en retour chez eux pour ajuster la stratégie de l’organisation. Pour achever ce jeu d’interactions, les changements opérés dans les organisations provoquent à leur tour une évolution de l’environnement (Livian, 2010). Ces études mettent ainsi en lumière la fragilité du déterminisme ‘environnement – organisation’ avancé par les tenants de la contingence structurelle.

Deux organisations bureaucratiques publiques illustrant ces anomalies théoriques

Rôle de la structure, impact de l’environnement, importance de la stratégie, influence des acteurs, modes de coordination sont autant de facteurs de la théorie de la contingence qui ont été revisités au cours de ces dernières années pour en tempérer l’aspect déterministe et offrir d’autres schémas de compréhension. Bien que ces études aient apporté une touche de nuance au tableau de la contingence structurelle, les fondations générales de celle-ci n’en restent pas moins pertinentes. La configuration structurelle d’une bureaucratie mécaniste est souvent « vieille et grande », présente un « flux des décisions allant du haut vers le bas », une «décentralisation horizontale limitée » et autres caractéristiques décrites par Mintzberg (1982). Et ces dimensions organisationnelles ne militent pas en faveur d’une capacité d’adaptation à un environnement complexe et dynamique. Pour autant, deux organisations (l’une est une souscomposante de l’autre mais dispose d’un schéma organisationnel particulier dans le sens où elle relève d’une double tutelle hiérarchique et d’une double tutelle d’appartenance) semblent faire démentir les positions du courant de la contingence. Nous proposons d’explorer ces organisations en portant une attention particulière sur la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, mise en contexte au sein de l’armée de Terre pour en comprendre son positionnement et ses problématiques spécifiques.

La conjoncture environnementale dans laquelle évoluent ces organisations présente un caractère « complexe et dynamique ». Complexe car il exige de ces organisations d’évoluer dans un environnement comprenant des acteurs multiples (tant en interne qu’en externe), un éventail de missions variées et nombreuses, et des temporalités différentes. Dynamique car cet environnement n’est jamais stabilisé et présente les caractères d’une situation de gestion extrême : de « l’évolutivité [qui traduit] des décalages rapides par rapport à des modes de fonctionnement antérieurs ou habituels ; [de] l’incertitude [qui souligne une] faible probabilité d’occurrence et/ou une difficulté, voire impossibilité, d’anticipation ; [du] risque [qui fait écho aux] possibilités de dommages à l’organisation et/ou à ses acteurs. » (Bouty, et al., 2011b). Pour l’armée de Terre, il s’agit de s’adapter en permanence à une situation géostratégique jamais figée :

– contre la menace asymétrique d’un ennemi implanté dans des pays dont le pouvoir de l’État est en faillite (selon l’expression habituellement utilisée en géopolitique) et qui compense sa faiblesse quantitative et qualitative en se mêlant à la population, en exerçant des actions de guérilla, en se dispersant sur de vastes territoires et en se montrant extrêmement mobile ;
– contre la grande puissance étatique qui retrouve des élans nationalistes et des velléités de conquêtes territoriales ;
– le tout en réagissant à la menace diffuse qui touche le territoire national ;
– il s’agit de concilier le long terme qu’imposent les programmes d’armements et la gestion de la ressource humaine avec le court terme électoral en cherchant à concilier des enjeux budgétaires opposés ;
– il s’agit enfin – au-delà de l’adaptation à un environnement ce qui ne dénoterait qu’une attitude passive et en réaction – « d’anticiper les enjeux de la menace. » (Bosser, 2016).

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Table des matières

Remerciements
Sommaire
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Visions du fonctionnement des organisations bureaucratiques publiques dans la littérature scientifique
Deux organisations bureaucratiques publiques illustrant ces anomalies théoriques
Des dimensions mal connues susceptibles d’éclairer le fonctionnement de ces
organisations ?
Du « fait surprenant » à la construction d’une recherche construite selon une approche systémique Infographie de la recherche
CHAPITRE 1. L’agilité organisationnelle : nouvel eldorado conceptuel des organisations face à l’incertitude ?
Section 1. Les organisations de type bureaucratique : une catégorisation sédimentée de la théorie de la contingence ?
Section 2. De l’adaptation à l’agilité : approches de la métamorphose des organisations
Synthèse du chapitre 1
CHAPITRE 2. L’influence du contexte extrême sur les organisations et les acteurs
Section 1. Les organisations confrontées à des contextes extrêmes
Section 2. L’acteur face aux risques et aux menaces
Section 3. Réagir à l’hostilité de l’environnement
Synthèse du chapitre 2
CHAPITRE 3. Problématique, épistémologie et méthodologie : divergences autour de l’agilité organisationnelle
Section 1. Problématiques de l’organisation bureaucratique en contexte extrême : le
prisme de l’agilité organisationnelle
Section 2. L’utilité d’une lecture renouvelée du fonctionnement de l’organisation
bureaucratique en contexte extrême
Section 3. L’agilité organisationnelle : utilisation d’un cadre théorique peu consolidé
mais prometteur ?
Section 4. Dogmes et débats autour du positionnement épistémologique et
paradigmatique
Section 5. Méthodologie
Synthèse du chapitre 3
CHAPITRE 4. La brigade de sapeurs-pompiers de Paris : une organisation influencée par son histoire militaire
Section 1. Une institution qui plonge ses racines au cœur de l’histoire de France
Section 2. Maîtriser la gestion d’une situation extrême par une réponse opérationnelle ad hoc : les organisations éphémères
Synthèse du chapitre 4
CHAPITRE 5. Entre rigidité et souplesse, une optimisation des structures et hommes:
synthèse des résultats, analyse et discussion
Section 1. Des ‘Business Units’ publiques et désintéressées : le résultat d’une adaptation
de l’organisation bureaucratique à un environnement instable
Section 2. Analyse de l’optimisation structurelle et humaine : une réponse adéquate des organisations évoluant en contexte extrême ?
Section 3. Discussion sur les dimensions statutaires négligées par la théorie des
configurations organisationnelles
Synthèse du chapitre 5
CONCLUSION GÉNÉRALE

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