Absence de sens et cadre familial

Absence de sens et cadre familial

Le premier contact

La première rencontre avec Joseph s’est faite lorsque j’ai été présenté aux résidents par la ME (moniteur-éducateur) de la maisonnée. Il était alors en compagnie de sa petite amie Léni, dans un des couloirs du foyer. D’emblée, Joseph manifeste un besoin d’écoute auquel je pourrais répondre. J’accepte sa demande et lui propose un suivi qui commence la semaine suivante. La forme du suivi n’a pas été définie clairement entre Joseph et moi. Le premier entretien a eu lieu dans sa chambre à sa demande, et les suivants, nous le verrons plus en avant, ont toujours pris place dans des endroits choisis par Joseph. Pour le moment, je vais mettre en avant le début de ma relation avec Joseph et la rencontre face à son énigme. Joseph est un homme âgé de cinquante-huit ans de taille moyenne et assez corpulent. Sa démarche est maladroite, il se déplace avec difficulté et souffle beaucoup. Il parle fort et avec aisance. Il emploie un vocabulaire adapté à la discussion qu’il est en train de mener, sa parole est fluide. Il rit souvent et parfois sans raison. Joseph s’intéresse à l’informatique et à la musique. Il pratique la guitare de manière ponctuelle avec l’aide d’un encadrant de la maisonnée. Il dispose également d’un appareil photo qu’il utilise rarement. Il réalise les photos de groupe lors de sorties au foyer. Ce sont ses principaux centres d’intérêt.

La compagne de Joseph, Léni, est une femme de taille moyenne. Tout comme Joseph, elle se déplace lentement et difficilement. Elle parle peu et a la voix rauque. Elle est un peu plus âgée que Joseph (soixante ans). Son discours porte souvent sur des plaintes somatiques. Elle dit souffrir des mains et du dos. Elle consulte régulièrement un médecin pour cela. Elle manifeste également de l’inquiétude quant à la vieillesse et au déclin de ses capacités physiques et mentales. Elle dit « avoir peur » de vieillir. Joseph et Léni forment un couple qui parle peu. Ensemble, ils réalisent quelques activités au foyer de vie comme les ateliers d’arts plastiques ou les sorties de groupe. Ils occupent la plupart de leur journée en regardant la télévision dans la chambre de Joseph. Il est à noter que j’ai peu connu Léni durant mon stage au foyer de vie.

Lorsque Joseph parle de Léni, il dit qu’il tient à elle, il l’appelle souvent sa « rose ». Joseph semble attaché à elle. Dès le début de cette rencontre, je me suis interrogé au sujet de Joseph. Notre premier contact m’a laissé perplexe. En effet, il m’a très sérieusement demandé si, puisque je venais d’Angers, je connaissais la « soucoupe ». Je lui ai demandé de quelle « soucoupe » il parlait. Il ne m’a pas donné plus d’information à ce sujet, m’indiquant seulement : « c’est bizarre qu’on laisse une soucoupe comme ça, tu trouves pas ? ». En vérité, après avoir demandé aux encadrants de la maisonnée s’ils connaissaient la « soucoupe de Joseph », il s’est avéré que ce dernier parlait du complexe marchand de l’Atoll à Angers. Il ne l’a lui-même jamais vu, mais ce qu’il a pu en entendre lui a laissé une forte impression. Cela m’a laissé un sentiment d’inquiétante étrangeté (Freud, 1919). En effet, quelque chose me dérangeait dans ce que me renvoyait Joseph, comme un malaise. Le sentiment d’inquiétante étrangeté renvoie bien à cette crainte de l’autre : « Le sentiment d’inquiétante étrangeté coïncide tout bonnement avec ce qui suscite l’angoisse en général » (p.213-214), « la notion d’incertitude intellectuelle ne nous est d’aucun secours pour la compréhension de cet effet » (p230-231). Ce sentiment a eu tendance à s’atténuer avec le temps, cependant je n’ai jamais cessé de le ressentir. Je vais maintenant présenter les informations concernant l’anamnèse de Joseph ce qui nous permettra à la fois de connaître son histoire clinique et de comprendre sa présence en institution.

Éléments d’anamnèse

Les informations qui suivent viennent à la fois des propos de Joseph sur sa propre histoire et de son dossier. Joseph est né en 1957. Issu d’une famille modeste, il est le dernier d’une fratrie de cinq enfants. Il a trois soeurs et un frère. Tous sont encore vivants. Selon le dossier, aujourd’hui, Joseph n’a de contact régulier qu’avec l’une de ses soeurs, qui est également sa tutrice. Il rend toutefois visite à peu près une fois tous les deux ans à son frère aîné. Nous n’avons pas d’informations écrites sur son enfance, son histoire écrite commence à l’âge de onze ans. Son père, ouvrier en bâtiment décède cette année-là d’une leucémie. Joseph me répète souvent qu’à la mort de son père, sa famille l’a abandonné et qu’il aurait pu entreprendre de grandes études car son père l’y aurait poussé. Sa mère, femme au foyer, a dû trouver un emploi suite au décès de son mari. À l’adolescence, il entre dans un collège technique pour suivre différentes formations comme la menuiserie ou la mécanique. Il abandonne systématiquement avant l’obtention de son diplôme. De plus, il n’assiste pas à l’ensemble des enseignements, il se détache de l’école et parfois « erre dans la rue » selon ses dires. Il soutient aujourd’hui que ces études l’ennuyaient.

À la fin de sa scolarité, vers 18 ans, il travaille dans différentes usines comme Yoplait ou Renault. Je ne sais pas ce qu’il y faisait exactement, toutefois, Joseph semble mal s’adapter à cette vie puisqu’il m’a dit qu’il avait été renvoyé de ces entreprises car ses supérieurs lui auraient dit qu’il travaillait « mal ». Selon le dossier, en 1978, à l’âge de 21, Joseph entre en dépression. Ce terme de dépression est à la fois utilisé dans le dossier et verbalisé par Joseph. Je ne sais pas ce que cela représente vraiment puisque le dossier ne donne pas de plus amples informations au sujet de cette dépression. Néanmoins, à ce propos, Joseph me décrit qu’il parlait « tout seul et très fort » et que sa mère ayant pris peur « a appelé les mecs de l’hôpital pour m’emmener chez les fous ». Il sera hospitalisé sept fois au total de 1978 à 1989. Il n’évoque jamais cette période. Selon le dossier durant ces séjours en milieu hospitalier, les psychiatres diagnostiquent Joseph comme schizophrène. Le tableau décrit est court et superficiel : « sentiment de persécution, mauvais rapport à la réalité, très angoissé, apragmatique et apathique ». C’est la seule description de cette période arrivée jusqu’à nous grâce au dossier. Je ne sais pas si Joseph était délirant. Il est très difficile de l’amener à en parler, à ce propos il me dit simplement que « c’étaient des conneries ». À la fin de sa dernière hospitalisation en 1989, Joseph retourne vivre chez sa mère. Il a un traitement médicamenteux qu’il continue de prendre encore aujourd’hui.

Ce traitement a subi plusieurs ajustements au fil des années. J’ignore si un suivi psychologique soutenu a été mis en place de manière parallèle. Toutefois, il est accompagné par une infirmière à domicile, il est 5 également stimulé par des activités thérapeutiques, grâce notamment, à un hôpital de jour. Joseph se décrit comme ayant alors des difficultés dans la vie au quotidien, son autonomie est relative. Cette période dure une dizaine d’années. En 2000, suite à des problèmes de santé de sa mère, il est hébergé en maison associative. Sa mère décède en 2001. Avant cela, cette dernière avait émis le souhait que Joseph intègre un foyer de vie. C’est ainsi qu’il entre dans l’établissement en 2002. Il y est donc depuis treize ans. Moins d’un an après son entrée au foyer, il se met en couple avec Léni. Ils sont toujours ensemble aujourd’hui.

Le choix de Joseph Joseph m’a tout de suite choisi comme interlocuteur privilégié. Dès nos premiers échanges, il m’a fait remarquer que je ressemblais à l’un de ses oncles à cause de ma barbe et de ma moustache. Cet oncle semble lui rappeler d’heureux souvenirs car il me dit cela avec le sourire. D’emblée, j’ai l’impression que ma figure lui inspire de la confiance. L’équipe de la maisonnée a été surprise par ce début de relation plutôt réussie car Joseph, pour la plupart des professionnels, demeure quelqu’un d’inaccessible. En effet, il communique peu avec les AMP de l’unité. De plus, il ne participe pas beaucoup aux activités proposées, préférant le calme de sa chambre et la compagnie de son amie Léni. Tous deux ne font pas lit commun. Cependant, leurs chambres respectives ne sont séparées que de quelques mètres. Cette disposition a été voulue par le couple, de plus toutes les chambres doubles de la maisonnée sont occupées. Joseph s’investit peu dans le foyer de vie.

Cela ne veut néanmoins pas dire qu’il est discret ou effacé car il peut parfois être violent aussi bien verbalement que physiquement. Par exemple, quand il y a une animosité entre un résident et Joseph, pour une raison quelconque, il n’est pas rare que ce dernier utilise la violence verbale (insultes) et la violence physique (coup de poings ou de pieds) envers le résident avec lequel il est en conflit. L’incompréhension et le mystère ont été les premiers ressentis que j’ai eus à son égard. Joseph m’a vraiment donné l’impression d’un homme perdu et en errance psychique, cependant je ne pouvais pas expliquer ce sentiment. En m’intéressant à Joseph et à son histoire, j’ai voulu rendre compte du mystère qu’il représentait à mes yeux. Les quelques points précédents ont déterminé mon choix quant au cas clinique présenté ici. Je crois que Joseph a davantage suscité ma curiosité que les autres résidents que j’ai pu rencontrer pour toutes ces raisons. De plus, il présente un mystère pour l’équipe encadrante de la maisonnée, mystère au sens où on ne le comprend pas, qu’il est difficile d’accès et qu’il communique peu. La rédaction de ce mémoire peut, à ce titre, rendre service à ceux qui travaillent au quotidien avec Joseph.

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Table des matières

Introduction
1 Dispositif de recherche
1.1 Présentation du lieu de stage
1.2 Contexte de la rencontre avec Joseph
1.2.1 Le premier contact
1.2.2 Éléments d’anamnèse
1.2.3 Le choix de Joseph
1.2.4 Cadre de la rencontre
1.2.5 Le choix du nom
1.3 Dynamique relationnelle
1.4 Limites de la recherche
1.5 Synthèse
2 Matériel clinique
2.1 Avant-propos
2.2 L’épreuve de confiance
2.3 Les figures parentales dans le discours de Joseph
2.3.1 « Mon père
2.3.2 « Ma mère
2.4 L’expérience du non-dit
2.5 Une famille sans parole
2.6 Joseph et la relation duelle
2.7 La question du paradoxe
2.8 Problématique
2.9 Synthèse
3 Pistes de compréhension
3.1 Absence de sens et cadre familial
3.1.1 Le travail de l’origine
3.1.2 L’expérience du non-dit comme manque à comprendre
3.1.3 Un cadre familial non-adapté
3.1.4 Aux origines du manque à comprendre dans l’histoire de Joseph
3.2 Joseph et la relation duelle
3.2.1 La question du cadre et de l’exclusivité
3.2.2 Les paradoxes de Joseph
3.3 Synthèse
Conclusion
Bibliographie

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