Quantification par approche micromorphologique

Le sol : une ressource dynamique influencée par les activités humaines 

Le sol, interface complexe et majeure entre l’atmosphère, la lithosphère, l’hydrosphère et la biosphère (Stockmann et al., 2011), constitue un véritable capital pour l’Homme du fait des différents services qu’il fournit : services d’approvisionnement (nourriture, fibres, matériaux, ressources génétiques), services de régulation (climat, inondations, maladies, qualité de l’eau) et services culturels (support des paysages, des activités de loisirs, de pratiques spirituelles, religieuses ou éducatives) (Dominati et al., 2010). La pérennisation et l’optimisation de ces services font l’objet d’une attention intergouvernementale croissante notamment en ce qui concerne le rôle du sol en tant que support de la production agricole et d’alternative à la séquestration du carbone. Certains objectifs exposés lors de la dernière conférence sur le climat à Paris en 2015 (COP21) ou encore la déclaration de l’année 2015 comme Année Internationale des Sols par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture constituent des exemples de cette préoccupation grandissante.

Or, parmi les cinq grands facteurs de la pédogenèse que sont le climat, les organismes vivants, le relief, le matériel parental et le temps, l’Homme, partie intégrante du facteur « organismes vivants », représente aujourd’hui la principale variable de forçage du système sol que ce soit directement puisque les êtres humains utilisent environ un tiers de la surface émergée du globe pour l’agriculture (Smith et al., 2016) ou indirectement via leur impact sur les changements climatiques (Brinkman and Sombroek, 1996; Rounsevell et al., 1999). De plus, l’occupation des sols et les pratiques agricoles connaissent actuellement de profondes mutations du fait de l’émergence de nouvelles productions (biocarburants) ou de nouvelles manières de cultiver (agriculture de conservation). Les sols se trouvent ainsi exposés à une multitude de perturbations anthropiques d’intensités variables, et ce sur différentes échelles de temps, du ponctuel (p.ex. un sous-solage) au long terme (p.ex. modification du couvert végétal) en passant par le périodique (p.ex. les amendements calciques ou organiques), et celles-ci viennent se superposer aux perturbations naturelles (Lin, 2011). Même si les capacités de résilience et de résistance des sols sont reconnues, certains processus physiques, chimiques ou biologiques réagissent à ces perturbations anthropiques (Richter, 2007; Stockmann et al., 2011; Tugel et al., 2005). Ils sont alors susceptibles d’induire des évolutions des propriétés des sols avec in fine des conséquences positives ou négatives sur le type et l’intensité des services rendus par les sols (Figure 0-1).

Yaalon & Yaron proposent ainsi dès 1966 que les pédologues se consacrent davantage à la compréhension et à l’évaluation de l’influence de l’Homme sur l’évolution du sol. Richter (2007) souligne quarante années plus tard que l’impact des pratiques anthropiques sur les sols manque toujours de caractérisation et de quantification. En effet, si la dynamique des processus réactifs sur des pas de temps inférieurs à la dizaine d’années (érosion, cycle des matières organiques) a fait l’objet de nombreuses études, la dynamique des processus pédologiques supposés réactifs uniquement sur des pas de temps plus longs, i.e. de l’ordre du siècle, est encore aujourd’hui largement négligée et reste particulièrement méconnue (Cornu et al., 2009; Minasny et al., 2008; Rounsevell et al., 1999). Or, des effets significatifs du climat, du mode d’occupation et des pratiques agricoles sur la direction et l’intensité de ces processus et par voie de conséquence sur l’évolution du sol ont pourtant été mis en évidence sur de tels pas de temps (Montagne et al., 2008; Montagne and Cornu, 2010; Richter, 2007; Tugel et al., 2005). Ainsi, bien qu’il soit reconnu depuis plusieurs dizaines d’années que l’Homme est un facteur de pédogénèse à part entière, les effets de nombreuses activités anthropiques, notamment agricoles, sur la direction et l’intensité des principaux processus pédologiques nécessitent encore d’être quantifiés (Lin, 2011).

Le sol constitue un système complexe jouant un rôle essentiel au sein des écosystèmes. Pour garantir la pérennité des services qu’il rend, il parait nécessaire de quantifier à moyen terme (10-100 ans) les effets des modifications de l’usage des sols sur la direction et l’intensité des processus pédologiques.

Deux processus majeurs de transfert de matière : l’éluviation/illuviation et la bioturbation

Les processus de translocation de la fraction fine dans les sols

La fraction fine (< 2 μm) est principalement composée de minéraux argileux, d’oxyhydroxydes et de matières organiques. Son abondance, sa composition et sa distribution dans les sols conditionnent la structure du sol et donc le régime hydrique des sols. La fraction fine constitue par ailleurs une surface d’adsorption et d’échange des éléments chimiques dissous (Bonneau et al., 1994; Dümig et al., 2012). Les services rendus par les sols reposent ainsi en grande partie sur cette fraction fine des sols et il parait donc essentiel de se concentrer sur les processus qui la mettent en jeu. Soumise à des processus de transformation, de néoformation, ou encore de translocation, les dynamiques d’évolution de l’abondance, de la nature minéralogique ou encore de la distribution à l’échelle des profils de cette fraction fine sont plus rapides que ce qui est communément admis (Cornu et al., 2012b). En dehors des climats tropicaux pour lesquels les processus d’altération et de néoformation sont dominants, la fraction fine est redistribuée sans transformations minéralogiques majeures (Cornu et al., 2012b). Sous nos climats tempérés et humides, les transferts de matière particulaire par translocation sont essentiellement le résultat des processus d’éluviation/illuviation et de bioturbation (Bockheim et al., 2005; Phillips, 2007; Stockmann et al., 2011).

Transfert de matière par éluviation/illuviation

Le processus d’éluviation/illuviation (ou lessivage) est un processus de formation des sols se définissant par la migration verticale de particules fines au sein du profil de sol. Il correspond à un entrainement mécanique par les eaux gravitaires de la fraction fine des sols depuis les horizons supérieurs (éluviaux, notés E) vers les horizons profonds (illuviaux, notés BT). Trois étapes sont nécessaires à son déroulement : une phase de mobilisation des particules (éluviation), une phase de transport de ces particules éluviées via les eaux gravitaires et une phase de dépôt de ces particules par floculation et/ou filtration (illuviation). Ce processus se traduit finalement par i) un enrichissement en fraction fine des horizons illuviés, et ii) par l’apparition de revêtements argileux (ou argilanes) recouvrant les parois des pores de l’horizon illuvial. Le processus d’éluviation/illuviation est considéré comme le principal mécanisme à l’origine de la formation des luvisols, qui représentent à eux seuls plus de 60% des Unités Cartographiques de Sol en France, et ce principalement dans la moitié nord du pays (INRA, 1998 In Quénard et al. (2011)). Les études sur le processus d’éluviation/illuviation et sa dynamique ont essentiellement été conduites dans des microcosmes en laboratoire (Bockheim and Gennadiyev, 2009). Elles ont notamment permis d’identifier les facteurs pilotant son intensité : abondance et distribution de la pluviométrie, abondance et minéralogie des minéraux argileux, abondance des matières organiques, nature et abondance relative des cations compensateurs, conditions de pH, etc. Or, la mise en culture et les pratiques agricoles ont pour objectif et/ou pour effets secondaires une modification des conditions physico-chimiques du sol (via le chaulage et l’apport de matières organiques notamment) et de son fonctionnement hydrique (via la couverture végétale, l’irrigation et le drainage notamment), ou autrement dit de nombreuses propriétés des sols contrôlant l’intensité du processus d’éluviation/illuviation. Ainsi, Montagne et al. (2016, 2013, 2008) ont, par exemple, pu quantifier une intensification du processus d’éluviation/illuviation en réponse au drainage agricole de LUVISOLS DEGRADES (AFES, 2009).

Transfert de matière par bioturbation

Le processus de bioturbation est, quant à lui actif dans tous les sols avec une intensité variable et ne concerne pas exclusivement la fraction fine. Meysman et al. (2006) le définit comme le remaniement biologique des sols et des sédiments par tous les types d’organismes incluant les microbes, les plantes à racines, et les animaux tunneliers. Sous climat tempéré continental, les organismes les plus bioturbateurs sont les vers de terre suivis des vertébrés, puis des fourmis, et en dernier lieu d’autres invertébrés éventuellement actifs (Bastardie et al., 2003; Gobat et al., 2004; Wilkinson et al., 2009). La macrofaune lombricienne a fait l’objet d’une classification fonctionnelle par Bouché (1972). On distingue ainsi i) les épigés qui sont des transformateurs de litière vivant en surface, ii) les anéciques qui sont tunneliers et creusent des galeries verticales leur permettant de se nourrir de matières organiques en surface tout en vivant en profondeur, et iii) les endogés qui se nourrissent de sol et se déplacent plutôt horizontalement en dessous de la surface en creusant également des galeries. La bioturbation par les lombriciens se traduit ainsi par i) la création et l’entretien à plus ou moins long terme d’un réseau de galeries (Peres, 2003), et ii) la production de rejets déposés à la surface des sols sous forme de turricules ou au sein même des sols sous la forme d’agrégats organo minéraux (Blouin et al., 2013; Lavelle et al., 1997; Pelosi, 2008). En modifiant la structure physique de leur habitat ainsi qu’en changeant, directement ou indirectement, la localisation et la disponibilité des éléments chimiques au sein des écosystèmes (Blouin et al., 2013; Jones et al., 1994), les vers de terre, considérés comme ingénieurs de l’écosystème, orientent l’évolution du sol temporellement et spatialement (Lavelle et al., 1997) mais les mécanismes et dynamiques associés restent peu connus (Meysman et al., 2006; Samouëlian and Cornu, 2008). Ces organismes sont par ailleurs particulièrement sensibles aux modes d’occupation et aux pratiques agricoles. Il est ainsi reconnu que les systèmes de monoculture, type maïs, présentent une plus faible abondance de vers de terre que les prairies permanentes ou les systèmes diversifiés incluant des prairies temporaires (Pelosi, 2008; Peres, 2003). Le travail du sol est par ailleurs responsable d’une diminution de l’abondance des vers anéciques suite à la destruction mécanique directe des populations et/ou aux perturbations de leur habitat et de la localisation des ressources trophiques (Chan, 2001). Les effets des matières actives utilisées pour la protection phytosanitaire des cultures sont aussi divers que les espèces de vers de terre existantes et la nature des molécules commercialisées (Edwards, 2004). A l’inverse, en augmentant les ressources trophiques disponibles pour les lombriciens, l’apport de matières organiques exogènes, comme le fumier ou le compost, favorise le développement des populations de vers de terre en comparaison de systèmes fertilisés avec des engrais minéraux (Capowiez et al., 2009). Quoi qu’il en soit, s’il existe une abondante littérature traitant des effets du mode d’occupation des sols ou des pratiques agricoles sur la diversité spécifique, la densité ou encore la biomasse des vers de terre, il reste très difficile de traduire ces effets en conséquences sur la nature et l’intensité de l’activité lombricienne.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
I. Le sol : une ressource dynamique influencée par les activités humaines
II. Deux processus majeurs de transfert de matière : l’éluviation/illuviation et la bioturbation
II.1. Les processus de translocation de la fraction fine dans les sols
II.2. Transfert de matière par éluviation/illuviation
II.3. Transfert de matière par bioturbation
III. L’approche morphologique : un moyen de quantifier l’intensité des processus
III.1. Les modes de quantification usuels de l’intensité des processus
III.2. Une approche morphologique pour quantifier l’intensité des processus
IV. L’échelle microscopique pour découpler et caractériser les processus
V. L’apport de l’analyse d’images à la micromorphologie quantitative
VI. Objectifs de la thèse et démarche associée
CHAPITRE I – SITE ET SOLS D’ETUDE: ECHANTILLONNAGE, METHODES D’ANALYSE ET DONNEES GENERALES
I. Présentation de la zone d’étude
I.1. Situation géographique
I.2. Contextes géologique et géomorphologique
I.3. Contexte pédoclimatique
I.4. Occupation actuelle et passée des sols
II. Construction d’une anthropo-chrono-séquence et échantillonnage des sols
II.1. Echantillonnage en anthropo-chrono-séquence
II.2. Echantillonnage des sols
III. Données de base
III.1. Description macromorphologique et micromorphologique des sols
III.2. Synthèse des caractéristiques analytiques des profils étudiés
III.3. Caractérisation des communautés lombriciennes
CHAPITRE II – QUANTIFICATION PAR APPROCHE MICROMORPHOLOGIQUE DE L’INTENSITE DU PROCESSUS D’ILLUVIATION : ETUDE DE FAISABILITE
I. Introduction
II. Materials and Methods
II.1. Study area
II.2. Sampling procedures and associated measurements
II.3. Micromorphological approach and quantification
II.4. Mass balance calculations
II.5. Statistical analysis
III. Results and discussion
III.1. Macromorphological analysis and analytical measurements
III.2. Micromorphological analysis
III.3. Quantification of illuviation intensity and sensitivity to land use change
III.4. Relative contribution of illuviation to the genesis of textural contrast
IV. Conclusion
CHAPITRE III – L’ANALYSE D’IMAGES POUR LA QUANTIFICATION DES TRAITS DIAGNOSTICS
I. Introduction
II. Materials and Methods
II.1. Study area, sampling and thin section preparation
II.2. Image acquisition
II.3. Image analysis procedure
II.4. Accuracy assessment procedure
II.5. Description of porosity parameters and associated classification
II.6. Description of illuvial clay parameters and associated classification
II.7. Representative elementary area estimation
III. Results and discussion
III.1. Assessment of the image analysis procedure
III.2. REA report
III.3. Porosity results
III.4. Illuvial clay results
III.5. Lateral variability at a metric scale
IV. Conclusion
CHAPITRE IV – QUANTIFICATION DE L’INTENSITE DES PROCESSUS DE TRANSFERT PAR BIOTURBATION ET ILLUVIATION DANS UN LUVISOL CULTIVE
I. Introduction
II. Matériel et Méthodes
II.1. Identification des pores revêtus et calcul d’un taux de remplissage
II.2. Quantification des flux de matière
II.3. Analyse statistique
III. Résultats
III.1. Evolution de la macroporosité avec la profondeur
III.2. Evolution de l’argile illuviale avec la profondeur
III.3. Porosité et revêtements argileux
III.4. Quantification des flux de matière
IV. Discussion
IV.1. Entre création et disparition : la dynamique du réseau poral
IV.2. L’illuviation : un processus actif et sélectif
IV.3. Les flux de matière
V. Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE

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